L’UQAM devra indemniser une employée qui se plaignait d’avoir été victime de racisme en corrigeant les copies d’examens d’un cours portant sur les stéréotypes racistes.

La correctrice a dû lire des réponses contenant du contenu discriminatoire, a tranché un arbitre du travail. La sévérité de ses corrections a aussi été critiquée par des étudiants, l’un d’eux l’attribuant au fait qu’elle était « étrangère » et « de l’école française ».

Gaëlle Étémé Lebogo a donc « été victime de harcèlement psychologique dans le cadre de son travail », selon la décision de l’arbitre du travail Robert Côté datée du mois dernier. « L’employeur a failli à prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser le harcèlement après en avoir été informé par la plaignante. »

La décision continue : « cette situation a privé la plaignante de son droit quasi constitutionnel à la sauvegarde de sa dignité […], mais aussi compromis son droit à l’égalité sur la base de son sexe et de son origine ethnique ».

L’UQAM devra lui verser 4000 $ en indemnisation. L’établissement défend ses politiques antiharcèlement.

Ambiance toxique

Le cours au centre du dossier, intitulé Introduction au féminisme noir, remonte à l’année 2018-2019. Il était assuré par l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) de l’UQAM, mais accessible aux étudiants de tous les programmes de l’université.

Mme Étémé Lebogo, une femme noire, a été choisie comme correctrice par la chargée de cours. La relation entre, d’une part, les étudiants et, d’autre part, la chargée de cours et la correctrice s’est dégradée après un examen de mi-session dont les résultats étaient particulièrement faibles.

« La réaction de certains étudiants aux résultats obtenus à la suite de ce premier examen constitue l’élément déclencheur des allégations de harcèlement que formule Mme Étémé Lebogo », explique la décision. Plusieurs copies contenaient des réponses « épousant les stéréotypes coloniaux », a assuré la correctrice.

La rencontre organisée ensuite avec la classe avait « un je ne sais quoi de pas propre », a continué Mme Étémé Lebogo, qui décrit une atmosphère toxique empreinte de discrimination. Ont suivi des courriels et des rencontres avec des étudiants mécontents, dont certains la tutoyaient. C’est à cette occasion qu’un étudiant lui aurait reproché sa correction inspirée « de l’école française » liée au fait qu’elle était « étrangère ».

La correctrice « bouleversée »

L’examen final demandait aux étudiants d’évoquer des stéréotypes raciaux associés aux femmes noires dans l’histoire. La correctrice a été « bouleversée » par la lecture des réponses.

La plupart de ces réponses ne constituent pas de la discrimination, a tranché Robert Côté. L’une des copies, par contre, allait trop loin.

« L’étudiant farcit littéralement son texte de qualificatifs animaliers, en particulier canins, pour illustrer son propos », rapporte l’arbitre. « À propos d’Aunt Jemima, qui selon [l’auteure afro-américaine Patricia Hill] Collins est le stéréotype de la femme noire serviable et soumise, il mentionnera qu’elle “fait partie de la famille, comme le chien”. S’agissant de la figure mythique de la n[ou]nou, qui n’existe pas vraiment, mais est uniquement fantasmée par la majorité blanche, il affirme “Comme le chien du domicile auquel est parfois comparée la nanou, les afro-américaines peuvent mordre et refuser ce rôle” ».

La correctrice s’est dite bouleversée par cette lecture et a ajouté avoir beaucoup pleuré.

Cet évènement « est donc retenu comme une conduite vexatoire », a tranché l’arbitre.

En réaction à des plaintes des étudiants, l’UQAM a décidé de refaire entièrement la correction effectuée par Mme Étémé Lebogo. Prendre cette décision sans l’en informer était aussi une conduite vexatoire, selon M. Côté.

L’UQAM « toujours soucieuse d’améliorer ses pratiques »

L’arbitre du travail Robert Côté conclut surtout que l’UQAM et l’IREF n’ont pas agi adéquatement face aux dénonciations de la correctrice.

« Plutôt que d’examiner et juger avec attention les allégations de la plaignante, que celles-ci s’avèrent ensuite fondées ou pas, les différents représentants de l’Université se sont, en quelque sorte, renvoyé la balle », a-t-il évalué.

Jeudi, l’université a défendu sa gestion du dossier, soulignant que l’arbitre avait reconnu l’existence de mécanismes antiharcèlement au sein de l’établissement.

« L’UQAM prend acte du jugement et est toujours soucieuse d’améliorer ses pratiques en ce qui a trait à ses interventions pour prévenir et faire cesser des situations de harcèlement, a affirmé Jenny Desrochers, responsable des communications de l’UQAM. En ce sens, une révision de la politique contre le harcèlement psychologique est entrée en vigueur en février 2020. »

Mme Desrochers a ajouté que l’IREF avait créé un nouveau cours intitulé Féminismes et antiracismes que les étudiants sont encouragés à suivre avant Introduction au féminisme noir. Gaëlle Étémé Lebogo avait recommandé que le cours qu’elle corrigeait ne soit accessible qu’aux étudiants inscrits en études féministes, plutôt qu’à tous.

Le Syndicat des étudiant·e·s employé·e·s de l’UQAM (SÉTUE), qui représentait Mme Étémé Lebogo, n’a pas voulu commenter le dossier. Le syndicat n’a pas mis en contact La Presse avec la plaignante. La Presse n’a pas été en mesure de s’entretenir avec cette dernière.