La Couronne a abandonné en catimini près de 5000 poursuites pénales l’an dernier en raison d’une erreur dans l’envoi de la documentation judiciaire aux accusés, a appris La Presse. « Une irrégularité dans la signification », vient d’admettre l’organisation.

La gaffe, passée sous silence jusqu’à maintenant, privera le Trésor public de sommes importantes. La situation soulève aussi des questions sur la validité d’un nombre inconnu de décisions de justice, rendues sans certitude que les personnes concernées aient été avisées.

Le problème : au début de la pandémie, Postes Canada a cessé d’exiger une signature sur les envois ExpressPost utilisés pour envoyer les poursuites pénales instituées par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). Or, le DPCP a continué à utiliser le service même s’il n’obtenait plus de confirmation que les accusés avaient bel et bien reçu la poursuite à leur endroit. Sans cette confirmation, pas de signification légale et donc pas condamnation possible.

Résultat : 4694 poursuites abandonnées, a confirmé mercredi soir le DPCP à La Presse. « Des dossiers de nature pénale de toutes lois confondues », a indiqué MPatricia Johnson, porte-parole adjointe de l’organisation.

Le DPCP a refusé la demande d’entrevue de La Presse, se limitant à fournir une déclaration écrite. L’organisation n’a pas répondu aux questions de précision soumises.

Le Bureau des affaires pénales (BAP) du DPCP agit comme poursuivant pour 275 organismes et ministères provinciaux. Les poursuites annulées peuvent donc concerner le Code de la sécurité routière, mais aussi des infractions environnementales, des infractions liées à la salubrité alimentaire ou encore des accrocs à la Charte de la langue française, par exemple.

C’est aussi ce bureau qui gérait l’application de la Loi sur la santé publique pendant la pandémie de COVID-19. Selon nos informations, il est actuellement miné par d’importants problèmes de climat de travail. L’an dernier, il a intenté près de 700 000 poursuites pénales, essentiellement liés à des infractions automobiles.

L’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales n’a pas voulu commenter le dossier.

45 274 constats d’infraction rescapés

MJohnson a souligné que « 45 274 constats d’infraction ont dû être resignifiés », donc réenvoyés, mais ils ont pu être rescapés.

Toutefois, en date d’avril dernier, « 3049 constats d’infraction ont dû faire l’objet d’un abandon de signification pour un délai de prescription dépassé » et « 1645 constats d’infraction transférés pour procès par défaut ont dû faire l’objet d’un arrêt de la poursuite (nolle prosequi) en raison de l’irrégularité de la signification ». Total : 4694 poursuites abandonnées, parce que les délais pour recommencer à zéro étaient écoulés.

C’est le 23 mars 2020 que Postes Canada a instauré sa politique « Sonner, déposer, quitter » afin de protéger ses facteurs. « Les employés de livraison cogneront ou sonneront à la porte, choisiront l’endroit le plus sécuritaire pour déposer l’article, puis se dirigeront à l’adresse suivante », expliquait la société d’État fédérale dans un communiqué émis à l’époque. Cette mesure avait été mise en place « afin d’éliminer les interactions avec les clients à la porte, de réduire l’achalandage aux bureaux de poste et d’appuyer les mesures d’éloignement physique et social ».

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le 23 mars 2020, Postes Canada a instauré sa politique « Sonner, déposer, quitter » afin de protéger ses facteurs contre la COVID-19.

Le 23 mars 2021, soit exactement un an plus tard, la méthode d’envoi des poursuites pénales a été modifiée. Le DPCP et le ministère de la Justice ont dû « opter pour le service ‟Xpresspost certifié » de Postes Canada qui exige une preuve de réception par signature pour récupérer l’envoi au comptoir postal », a continué MJohnson.

Au Québec, les citoyens peuvent recevoir deux types de constats d’infraction : le constat « portatif », remis en mains propres par le policier qui constate un excès de vitesse, par exemple, ainsi que le constat « général », autorisé par un procureur du DPCP et envoyé par la poste. Le problème de signification touchait ce second type de constat.

Les amendes imposées en droit pénal sont variées. Un pollueur qui viole la législation environnementale peut recevoir une amende allant de 1000 à 600 000 $, alors qu’un fraudeur électoral devrait allonger un chèque de 5000 à 20 000 $. Les lobbyistes qui violent leurs règles éthiques peuvent s’attendre à une amende de 500 à 25 000 $, alors que la projection publique d’un film sans les permis nécessaires peut coûter jusqu’à 1400 $ à l’individu qui s’en trouve coupable.

Ce n’est pas la première fois que le DPCP annule en masse des procédures pour des motifs procéduraux. En 2018, la Couronne avait fait une croix sur 8600 constats d’infraction parce qu’elle ne pouvait plus espérer respecter les délais imposés par l’arrêt Jordan de la Cour suprême du Canada.