Les enquêteurs du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ont arrêté mardi une trentaine d’individus soupçonnés d’avoir détourné à leurs profits plus de 30 millions de taxes reliées au commerce de l’or.

Selon des documents judiciaires que nous avons obtenus, cette enquête comme on en voit rarement – baptisée Prospecteur – a été déclenchée au printemps 2018 par les enquêteurs des Produits de la criminalité du SPVM, qui ont constaté l’existence d’un réseau qui aurait effectué la vente d’or impur et le rachat d’or pur par l’entremise de fausses bijouteries enregistrées à des prête-noms.

Les individus, qui tourneraient autour de deux cellules familiales, auraient enregistré au moins trois bijouteries fictives, se sont inscrits aux fichiers de taxe de vente harmonisée et ont ouvert des comptes de banque.

Ils auraient transformé de l’or pur en or impur à environ 90 % en y ajoutant d’autres métaux précieux.

Au Canada, l’or pur est exempt de taxe, mais pas l’or impur. Les suspects se seraient rendus dans une entreprise de raffinage d’or à Toronto, auraient vendu l’or impur à bon prix et auraient perçu des taxes qu’ils n’auraient jamais versées aux gouvernements.

Avec cet argent facilement obtenu, ils auraient racheté de l’or pur pour recommencer leur manège, vendu plus d’or impur et détourné des sommes toujours plus importantes.

Les autorités évaluent qu’avec l’aide de ces bijouteries fictives, les suspects auraient effectué des centaines de transactions qui leur auraient rapporté des millions en taxes non déclarées.

Visiblement, les suspects auraient choisi de vendre leur or en Ontario pour brouiller les pistes et passer sous le radar des agences du revenu du Québec et du Canada.

Les neuf individus soupçonnés d’avoir trempé dans cette fraude ont comparu mardi au palais de justice de Montréal : James Lykes Bui, 41 ans, Ravijeyakumar Kurukularajah, 51 ans, Alonso Arenas, 39 ans, Stanley Selvaraj, 42 ans, Balakumar Arumugam, 34 ans, Prasath Gnanachandran, 44 ans, Piratheeba Sivabalan, 42 ans, Pirashantan Sivabalan, 36 ans, et Katherine Bui, 38 ans, ont été accusés de fraude de plus de 5000 $ envers les gouvernements, complot et recyclage des produits de la criminalité.

Ils ont été libérés en attendant la suite des procédures moyennant des dépôts variant entre 2000 et 8000 $, et en s’engageant à respecter plusieurs conditions, notamment de remettre leur passeport.

Trois autres suspects accusés d’avoir pris part à la fraude étaient toujours recherchés au moment d’écrire ces lignes et un autre venait d’être arrêté.

Entre les lattes du plancher

L’an dernier, le Procureur général du Québec a déposé au civil une demande introductive visant à confisquer – en tant que bien infractionnel – un immeuble de la rue Saint-Hubert à Montréal qui aurait servi à la commission du crime présumé.

Selon les prétentions de la poursuite obtenues par La Presse, le propriétaire de l’immeuble, James Bui, ses parents, deux de ses oncles et ses locataires auraient participé au stratagème de fraude.

Le 6 novembre 2021, les enquêteurs ont perquisitionné dans le domicile des parents de M. Bui et saisi notamment 152 lb d’or pur et impur, 30 000 $ et une machine à compter de l’argent.

Les policiers soupçonnaient que le logement de l’un des locataires servait de lieu de transformation de l’or, et 15 jours plus tard, ils ont perquisitionné dans ses coffrets de sûreté bancaire et l’ont avisé le lendemain.

Par la suite, les limiers ont trouvé, jetés dans un conteneur à déchets, de l’équipement de fonderie, des pots à mélanger, un plat de cuisson, des moules rectangulaires, des mitaines isolantes et une paire de pinces servant à manipuler les métaux fondus.

Deux jours plus tard, ils ont perquisitionné dans l’immeuble de la rue Saint-Hubert et trouvé des bijoux, des montres Rolex, huit clés de coffrets de sûreté, un appareil permettant de tester la qualité de l’or, plus de 18 000 $ et des grenailles d’or et de métaux précieux fondus tombés entre les lattes du plancher.

Les policiers ont également filé les locataires et observé qu’ils se sont déplacés en Maserati Levante 2018 d’une valeur d’environ 100 000 $ incompatible avec leur occupation.

Ils ont également constaté qu’en 2017, le propriétaire de l’immeuble avait déposé 600 000 $ dans ses comptes de banque, qu’il avait effectué deux versements totalisant 328 000 $ dans des comptes de banque au Viêtnam au nom de sa mère et qu’il avait utilisé plusieurs véhicules de luxe.

Un volet cannabis

Selon nos informations, l’enquête Prospecteur comprend également un volet cannabis dans lequel les policiers soupçonnent que les premières sommes d’argent ayant servi à l’achat d’or provenaient de la vente illégale de marijuana par des trafiquants ayant obtenu des certificats d’inscription de production à des fins personnelles de Santé Canada.

Les policiers ont notamment démantelé une production illégale de près de 1000 plants à Sainte-Sophie, dans les Laurentides. Sur place, ils ont trouvé quatre certificats de Santé Canada et un équipement sophistiqué qui nécessitait des dépenses d’électricité de 80 000 $ par année.

Ils ont également démantelé d’autres plantations illégales ailleurs dans les Laurentides.

Treize autres individus sont ciblés dans ce volet de l’enquête.

Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron, La Presse

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.