(Ottawa) Les membres des Forces armées canadiennes (FAC) se voient interdire de porter leur uniforme militaire lors de procès civils.

Les forces armées ont publié un ordre à cet effet jeudi, indiquant que l’interdiction entrera en vigueur le 1er décembre.

Cette mesure interdit aux membres des FAC de porter un uniforme pendant les procédures judiciaires civiles, à moins qu’ils ne témoignent au nom de l’armée ou de la Couronne à titre militaire. Cela comprend les avocats militaires et la police.

La décision annoncée par la vice-chef d’état-major de la défense, la lieutenante-générale Frances Allen, fait suite à l’indignation suscitée par la décision du major général, Dany Fortin, de porter son uniforme et ses médailles lors de son procès pour agression sexuelle devant un tribunal civil.

M. Fortin, qui est l’ancien responsable de la campagne gouvernementale de vaccination contre la COVID-19, avait alors suscité un tollé.

Le porte-parole du ministère de la Défense, Daniel Le Bouthillier, n’a pas spécifiquement cité M. Fortin, qui a clamé son innocence et attend actuellement le verdict d’un juge, lorsqu’il a été interrogé sur les raisons de la lieutenante-générale Allen d’ordonner la fin du port de l’uniforme lors de procès civil.

Cependant, il a reconnu dans un communiqué que l’armée avait décidé de revoir sa politique existante « à la suite de préoccupations exprimées en septembre par ceux qui ont vécu des traumatismes ainsi que de questions des médias ».

M. Fortin a comparu pour la première fois en uniforme devant un tribunal civil en septembre et de nouveau en octobre. Un juge doit rendre un verdict dans cette affaire le 5 décembre.

L’ordre, qui fait suite aux promesses faites l’année dernière de commencer à transférer les affaires impliquant des comportements sexuels criminels du système de justice militaire aux tribunaux civils, interdit également le port de médailles lors de toute comparution devant un tribunal civil.

Les militaires peuvent demander une exception en adressant une demande officielle à leur chaîne de commandement, qui prendra une décision en fonction de plusieurs facteurs tels que la nature de la procédure et le rôle du membre dans les Forces armées.

Joint par courriel jeudi, M. Fortin a déclaré qu’il ne ferait aucun commentaire tant que le juge n’aurait pas rendu sa décision dans son dossier d’agression sexuelle.

Uniformiser les procédures

L’ordre a été accueilli par les applaudissements de Lori Buchart, qui était auparavant coprésidente de « It’s Not Just 20K », un groupe de soutien et de défense créé par des victimes d’inconduite sexuelle militaire.

Mme Buchart avait précédemment exprimé sa crainte que le port d’uniformes et de médailles devant les tribunaux civils puisse créer des préjugés lors des procès, en particulier ceux impliquant des jurys, et intimider les victimes d’inconduite sexuelle militaire.

« La décision d’interdire les uniformes sauf en cas de devoir est absolument la bonne décision », a déclaré Mme Buchart jeudi.

« Nous sommes extrêmement heureux que cette question soit clarifiée d’un point de vue politique. […] Nous apprécions que les FAC aient pris au sérieux les préoccupations des personnes touchées, comprenant le mal et le nouveau traumatisme qui peuvent survenir dans des situations comme celle-ci. »

Charlotte Duval-Lantoine, experte en inconduite sexuelle militaire à l’Institut canadien des affaires mondiales, a suggéré que le nouvel ordre pourrait uniformiser les règles du jeu en matière de procédures judiciaires.

« Comme nous l’avons vu dans de nombreux cas, certains peuvent considérer le service militaire comme le reflet du caractère d’un individu et comme un moyen de repousser les accusations », a-t-elle déclaré.

« Les avocats peuvent toujours plaider leur cause sans l’image puissante qui peut inconsciemment influencer un jury et un juge, ainsi que nuire inutilement à l’accusateur », poursuit l’experte.

Mme Duval-Lantoine a toutefois exprimé une certaine hésitation quant à la possibilité de demander une exception et à la manière dont ces décisions seront prises.

Le lieutenant-colonel à la retraite Rory Fowler, qui est maintenant avocat spécialisé dans les affaires militaires, s’est demandé si Mme Allen avait réellement le pouvoir de dicter quand et où les membres des Forces armées peuvent porter leurs médailles.

« Si (Mme Allen) suggère que le port de médailles en tenue civile est interdit, alors elle pourrait bien outrepasser les limites de son autorité », a déclaré M. Fowler dans un courriel.

« Lorsqu’elles sont portées avec la tenue des FAC, les médailles font partie de cette tenue. Le chef d’état-major de la défense peut partager des directives concernant la façon dont les médailles peuvent être portées avec des uniformes. Mais les médailles ne doivent pas nécessairement être portées avec la tenue des FAC. »

M. Fowler a également noté que bien que l’ordre de Mme Allen ait été partagé aux troupes via ce qu’on appelle un message général des FAC, appelé « Canforgen », les règlements vestimentaires réels de l’armée et autres directives juridiques restent inchangés.

« Les FAC continuent d’utiliser les ’’Canforgen’’ comme instrument politique, a-t-il souligné. Ils ne sont pas censés être des instruments politiques. Comme je l’ai déjà mentionné, les ’’Canforgens’’ représentent un système de message. […] Pourquoi (les directives) n’ont-elles pas été modifiées ? ».