(Ottawa) La chargée de cours Verushka Lieutenant-Duval, suspendue après avoir prononcé en classe le « mot qui commence par un N », était « coupable » aux yeux de l’Université d’Ottawa avant même d’avoir été entendue.

C’est du moins ce qu’a témoigné avoir ressenti Mme Lieutenant-Duval lors de sa première rencontre avec le doyen de la faculté des arts, Kevin Kee, quatre jours après sa suspension.

La chargée de cours poursuivait son témoignage, vendredi, lors de la troisième séance d’arbitrage contre son ex-employeur, à Ottawa.

Au cœur du litige : Mme Lieutenant-Duval reproche à l’Université d’Ottawa de l’avoir suspendue temporairement sans l’avoir d’abord consultée.

Le 6 octobre 2020, Mme Lieutenant-Duval rencontrait pour la première fois M. Kee, qui l’avait relevée de ses fonctions quatre jours plus tôt parce qu’elle avait prononcé le « mot qui commence par un N » dans le cadre de son cours Art and Gender.

« J’avais préparé un discours où je m’excusais et j’expliquais ce qui s’était passé », a raconté la chargée de cours devant l’arbitre Michelle Flaherty.

Mais son interlocuteur était « complètement fermé » à sa version des faits, selon Mme Lieutenant-Duval.

« Je me souviens de regarder le doyen et d’être comme devant quelqu’un qui entend ce que je dis, mais que ça sort par l’autre oreille », a-t-elle témoigné. « J’étais coupable et je le voyais, je le sentais. »

Plongée dans le noir

À la demande de la direction, Verushka Lieutenant-Duval a suivi deux formations (l’une sur le respect, qu’elle avait déjà suivie, l’autre sur le racisme) en vue de sa réintégration en classe.

Malgré cela, la chargée de cours a témoigné avoir été plongée dans le noir pendant plusieurs jours. « Je trouvais ça difficile d’avoir l’heure juste. On parlait de mon retour en classe, mais je ne savais pas quand », a-t-elle relaté.

Elle a aussi tenté d’ouvrir un dialogue sur l’usage de mots sensibles en classe avec la direction, qui ne s’y est pas montrée réceptive.

La veille d’une rencontre avec la conseillère à la diversité et à l’inclusion Steffany Bennett, Verushka Lieutenant-Duval a raconté lui avoir transmis deux vidéos. La première était « d’un professeur noir de Harvard », la seconde de Dany Laferrière, « qui affirment qu’on doit pouvoir mentionner tous les mots, même une personne blanche ».

« Quand je suis arrivée à la rencontre, je lui demande si elle a visionné les vidéos. Elle me répond que non. Je comprends que je suis devant quelqu’un qui est complètement fermé, encore une fois, et qui n’est pas là pour avoir une conversation sérieuse », a laissé tomber Mme Lieutenant-Duval.

Celle-ci aurait demandé s’il existait « une liste de mots interdits à l’Université d’Ottawa », ce à quoi Mme Bennett lui aurait répondu que « tous les mots peuvent être dits s’ils sont mis en contexte », toujours selon la version de la chargée de cours.

Mme Lieutenant-Duval a finalement repris l’enseignement de ses deux cours dix jours après qu’on les lui avait initialement retirés.

« Un tissu de mensonges »

Dans les mois suivants, le recteur de l’Université d’Ottawa, Jacques Frémont, a fait plusieurs déclarations publiques sur la controverse, dont un passage à l’émission Les faits d’abord d’Alain Gravel. Des déclarations que Mme Lieutenant-Duval a qualifiées de « fiction » et de « tissu de mensonges ».

La chargée de cours a déposé deux griefs contre l’Université d’Ottawa, qui aura défendu sa gestion de la crise jusqu’au bout.

La prochaine audience se tiendra le 1er décembre.