L’auteur présumé des trois homicides commis cette semaine dans la région de Montréal avait été autorisé à séjourner dans la communauté après une longue hospitalisation reliée à des problèmes de santé mentale, même si un psychiatre jugeait en mars dernier qu’il représentait « toujours un risque important pour la sécurité du public ».

Abattu jeudi par la police, Abdulla Shaikh, 26 ans, traînait d’importants antécédents judiciaires et d’hospitalisation en lien avec des enjeux de santé mentale, révèle une décision de la Commission d’examen des troubles mentaux (CETM) rendue en mars dernier et dont La Presse a obtenu copie.

L’homme avait été libéré d’un établissement de santé mentale à la suite d’une décision rendue par ce même tribunal administratif le 25 janvier 2021. Abdulla Shaikh s’y trouvait alors depuis l’été 2020 puisque sa famille, avec qui il habitait alors, avait exprimé des inquiétudes devant ses « comportements bizarres et dangereux ».

Cette hospitalisation découlait d’une série de méfaits commis à l’aéroport Montréal-Trudeau en juillet 2018 à la suite de laquelle il avait obtenu un diagnostic de schizophrénie.

Shaikh avait alors brûlé son passeport à l’aide d’une chandelle près des clôtures d’entrée. Incohérent, il fait alors « allusion à un projet, mais il reste évasif », peut-on lire dans un résumé des faits inclus dans le document.

À noter, Abdulla Shaikh était aussi accusé d’agression armée, d’agression sexuelle, de voies de fait et de menaces pour des faits survenus en 2016. Il était d’ailleurs en attente de son procès, prévu en janvier 2023 à Laval.

Craint de « préjudice sérieux »

En janvier 2021, la CETM a statué que Shaikh était suffisamment rétabli pour retourner vivre dans un endroit approuvé par les responsables de l’hôpital, où il était toujours traité, à plusieurs conditions. Parmi celles-ci : garder la paix, s’abstenir de consommer toute drogue, se soumettre à des tests urinaires de dépistage de drogues lorsqu’exigé.

En mars dernier, dans une révision de cette première décision, la Commission a confirmé qu’Abdulla Shaikh pouvait poursuivre ses traitements tout en demeurant dans la communauté. Mais les magistrats ont alors soulevé l’existence de plusieurs facteurs de risque pouvant mener Shaikh à « commettre un acte pouvant causer un préjudice sérieux à autrui ». Parmi ceux-ci, la possibilité qu’il pose « des gestes imprévisibles et agressifs ».

En effet, dans son rapport lu lors de l’audience du 29 mars 2022, le psychiatre Martin Vézina soulignait qu’Abdulla Shaikh « représente toujours un risque important pour la sécurité du public en raison de son état mental ».

« Parmi nos inquiétudes persistantes : le déni et la banalisation des troubles de comportements, de la violence et de la pathologie psychiatrique. Les lourds antécédents d’accusations d’actes criminels de différentes natures demeurent niés, ce qui banalise les risques futurs d’acting-out. Rappelons que le patient a proféré de multiples menaces, implicites et explicites, lors de la dernière hospitalisation », souligne l’expert.

C’est pourquoi les juges administratifs ont jugé « essentiel » que l’équipe traitante responsable de l’homme « puisse bénéficier de moyens rapides et efficaces afin d’intervenir, si l’état mental de Monsieur venait à se détériorer, mettant en danger la sécurité du public ».

« La Commission retient de la preuve que Monsieur représente toujours, en raison de son état mental, un risque important pour la sécurité du public », peut-on lire, en conclusion de la décision.

La famille persiste à le croire innocent

Rencontré jeudi, quelques heures seulement après la mort du présumé tueur dans un motel de l’arrondissement de Saint-Laurent, sa famille a confirmé qu’il était aux prises avec des problèmes de santé mentale. Malgré tout, le frère du défunt comprend mal pourquoi les policiers ont tiré sur le jeune homme, alors « qu’aucune preuve » n’indique qu’il était l’auteur des crimes, selon lui.

« Nous sommes sous le choc. Mon frère n’était pas dangereux. C’est impossible », a-t-il murmuré au travers de la porte du logement de ses parents à Laval, des trémolos dans la voix. « Mon frère était innocent. La police n’a aucune preuve qu’il était le suspect. »

Selon lui, Abdulla Shaikh prenait ses médicaments et contrôlait ses problèmes de santé mentale. Il consultait. « Je l’ai vu mardi. Il était calme. Normal, doux. Il n’avait rien d’agressif. Ils n’auraient jamais dû lui tirer dessus. »

Tant que l’enquête n’est pas complétée, on ne sait pas si c’est mon frère qui a fait ça.

Frère du suspect tué jeudi matin

« Il avait déjà été arrêté il y a longtemps. Il souffrait de graves problèmes de santé mentale. Il avait été à l’hôpital psychiatrique pendant un mois », raconte le père du jeune suspect, rencontré jeudi par La Presse. La famille confirme plusieurs séjours en psychiatrie au cours des dernières années.

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Le père du suspect

« La dernière fois qu’on l’a vu, c’était mardi. Tout allait bien. Il a des traitements », a renchéri la mère. Son fils avait déjà été arrêté par les policiers à l’aéroport de Montréal « vers le mois d’avril », alors qu’il tentait de se rendre dans un autre pays. Les autorités n’avaient pas écarté l’hypothèse que ses troubles mentaux aient pu le radicaliser et le pousser à vouloir quitter le Canada dans le passé, nous confie une source policière.

Trois meurtres, un tireur

Les autorités ont confirmé aux médias dans la journée que les trois homicides qui ont secoué la région de Montréal ces derniers jours auraient été commis par un seul tireur.

Abdulla Shaikh est le principal suspect en lien avec les meurtres de trois victimes innocentes, selon nos informations policières. Il aurait agi seul.

Des perquisitions ont eu lieu peu avant 7 h au motel Pierre, dans l’arrondissement de Saint-Laurent, où se cachait le suspect. D’après nos sources, les équipes ont localisé au cours de la nuit un véhicule – une Dodge Challenger blanche – loué par le suspect par l’entremise de la plateforme Turo. Un vaste périmètre policier avait été érigé depuis au moins quelques heures lorsqu’Abdulld’a Shaikh a été tué dans le stationnement de l’établissement.

Comme l’homme de 26 ans a été abattu lors d’une opération policière, le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) sera chargé de l’enquête. Le dossier des trois meurtres a été transféré à la Sûreté du Québec (SQ).

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Le véhicule que le suspect avait loué avait été repéré au cours de la nuit par les policiers.

C’est le Groupe tactique d’intervention (GTI) qui est intervenu auprès du suspect. « Sur place, ils auraient été confrontés par un homme en possession d’une arme à feu. Des coups de feu auraient été tirés », indique le BEI par communiqué.

Le présumé meurtrier aurait été atteint par au moins un projectile et son décès a été constaté sur place. Sur Twitter, la mairesse Valérie Plante a salué le travail de la police, qui démontre selon elle une fois de plus « son efficacité et son dévouement pour la sécurité des Montréalais ». « Les dernières 48 heures ont été éprouvantes pour tout le monde », a-t-elle insisté.

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La Sûreté du Québec a pris en charge le dossier des trois meurtres.

Deux hommes avaient été tués à une heure d’intervalle mardi soir, André Fernand Lemieux, 64 ans, et Mohamed Salah Belhaj, 48 ans. La troisième victime de cette série d’homicides est Alex Lévis Crevier, un Lavallois de 22 ans.

Le SPVM « conscient de l’impact » des évènements

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Sophie Roy, directrice par intérim du Service de police de la Ville de Montréal

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) est conscient de l’impact des trois meurtres sur la population montréalaise, a déclaré la directrice par intérim Sophie Roy en conférence de presse.

Il n’y a qu’un seul suspect pour les trois homicides, a-t-elle précisé, sans confirmer s’il s’agissait de l’homme abattu plus tôt dans la journée et sans dévoiler son identité.

Le SPVM estime ne pouvoir « commenter plus amplement les évènements et enquêtes en cours », a souligné Sophie Roy.

« Ça a été un travail concerté de nos équipes, tant sur le terrain que l’enquête, pour localiser le suspect. Ensuite, il y a eu le travail plus du côté judiciaire pour obtenir les autorisations pour procéder à son arrestation. […] Ce que je peux dire aujourd’hui, c’est que la menace a été neutralisée », a confirmé le commandant du poste de quartier 49, Emmanuel Anglade, jeudi.

« Les meurtres commis depuis [mardi] nous ont tous touchés, a déclaré Mme Roy. Le SPVM est conscient de leur impact sur le sentiment de sécurité pour la population montréalaise. »

La directrice par intérim a aussi tenu à offrir ses condoléances aux familles et amis des défunts. « Nous sommes tous sensibles à la douleur des familles. »

Dans les quartiers touchés, les services de sécurisation du SPVM se poursuivront dans les prochains jours. « Le sentiment de sécurité des Montréalais restera toujours au cœur des préoccupations du SPVM », a affirmé Mme Roy.

Avec la collaboration d’Isabelle Ducas, de Lila Dussault et de Daniel Renaud, La Presse