Tintin, le capitaine Haddock et le fidèle chien Milou se sont retrouvés vendredi au cœur de la défense d’un blogueur antiféministe accusé d’incitation à la haine contre les femmes. Comme le bédéiste Hergé, Jean-Claude Rochefort soutient avoir eu recours à la « satire » en illustrant le tueur de la Polytechnique dans son blogue célébrant la « Saint-Marc-Lépine-Day ».

Les albums de Tintin Les cigares du pharaon et Objectif Lune. Des extraits bourrés d’action du film de science-fiction Stargate mettant en vedette Kurt Russell. Ces œuvres de fiction présentées vendredi en salle d’audience font partie de l’étonnante défense de Jean-Claude Rochefort, un « vieux monsieur », qui a juré n’avoir rien contre « toutes les femmes ».

À la barre des témoins toute la journée vendredi, Jean-Claude Rochefort a d’abord discouru sur l’intrigue de l’album Les cigares du pharaon, sur la personnalité du chien Milou — « Il est alcoolique un peu » — et sur les pays imaginaires de l’univers de Tintin, la Bordurie et de la Syldavie, sujets d’un blogue de l’accusé. Il y a également été question du Château de Moulinsart.

« Je n’ai pas connaissance d’une défense de Tintin en droit criminel », est intervenu le juge Pierre Labrie, perplexe devant la démarche de la défense. « C’est pour apprécier les dialogues et les personnages. Ce n’est pas de connaissance judiciaire », a expliqué l’avocat de la défense, MRodolphe Bourgeois, qui a ensuite demandé à son client de décortiquer les deux albums.

Photo ROBERT SKINNER, LA PRESSE

MRodolphe Bourgeois, avocat de Jean-Claude Rochefort

Jean-Claude Rochefort est accusé d’avoir volontairement fomenté la haine contre les femmes dans des publications parues en 2019 avant les commémorations de la tuerie de la Polytechnique. Dans un « décompte » avant la « Saint-Marc-Lépine Day », l’auteur encourageait les « disciples » de Marc Lépine « à polir leur carabine ». Sur son dernier billet de blogue publié la veille des commémorations, l’accusé présentait un Marc Lépine tenant une arme longue devant une dizaine de femmes.

Si les personnages de Hergé se retrouvent ainsi dans la défense de l’accusé, c’est que Tintin et le capitaine Haddock sont utilisés dans certains montages de photos publiés par l’accusé. Par exemple, dans un billet publié trois jours avant les commémorations, Tintin présente le tueur Marc Lépine devant la « porte iconique » de la Polytechnique.

« L’important a été de le faire en douceur », dit alors le personnage au visage de Marc Lépine.

Selon Jean-Claude Rochefort, il ne faut pas prendre ces montages au sérieux, puisque les personnages de Hergé sont « un peu ridicules ». « Quand Tintin dit quelque chose, ce n’est pas sérieux », a soutenu l’accusé. Ainsi, quand il fait parler Marc Lépine avec une « longue bulle » de bande dessinée, c’est pour « tourner en ridicule une situation », a-t-il expliqué.

Notons qu’à de multiples occasions dans son blogue, Jean-Claude Rochefort présente un Marc Lépine armé jusqu’aux dents, notamment devant un mémorial à l’honneur des 14 femmes assassinées en décembre 1989. Il dépeint l’auteur du féminicide de masse comme un « héros ».

« C’est ma façon de critiquer, d’exagérer volontairement, tellement que tout le monde le voit. Ce n’est pas à prendre au pied de la lettre », s’est défendu Jean-Claude Rochefort.

Il n’est pas « contre toutes les femmes »

L’homme de 73 ans insiste ne pas être « contre toutes les femmes », bien au contraire. Dans son blogue, sa « satire » visait les « féministes radicales », celles qui sont « les plus virulentes et les plus agressives », a expliqué Jean-Claude Rochefort. Il se dit d’ailleurs très ouvert à parler avec une « femme raisonnable ». « Je ne suis pas irraisonnable », a-t-il assuré.

Quand il publiait son blogue, Jean-Claude Rochefort n’aurait jamais pensé que ces écrits pourraient avoir de telles conséquences, a-t-il maintenu. « Je ne voulais pas partir une croisade, je ne suis pas le chef d’aucun mouvement. Je fais une distinction entre féministe et les femmes », a-t-il soutenu.

Des groupes « incels » — une sous-culture d’hommes misogynes — lui demandaient d’écrire de plus en plus en texte, a-t-il admis. « Il fallait en produire 60 en 60 jours », a-t-il dit. Pas moins de 60 000 personnes lisaient chacun de ses billets, selon lui.

« Je ne pensais jamais que quelqu’un prendrait un fusil pour faire comme Marc Lépine, parce [qu’il a] lu le blogue », a maintenu l’accusé.

S’il célèbre la « Saint-Marc-Lépine Day » dans ses publications, c’est simplement pour « tourner en ridicule » la couverture exagérée des commémorations de la tuerie de la Polytechnique, a-t-il témoigné.

« Ça devient presque comme une cérémonie religieuse. C’est pour me moquer de ça. Il y a peut-être une exagération. Moi aussi, j’ai exagéré de mon côté. Eux, ils ont l’air de faire une petite religion avec des martyres, on va mettre un saint là-dedans », a expliqué Jean-Claude Rochefort.

Quand il évoque de « polir les carabines » et de poser des décorations pour célébrer la journée de la tuerie, Jean-Claude Rochefort soutient avoir simplement repris les écrits d’un polémiste américain nommé Bob Allen. « C’était de dire, on va célébrer ça, appelle ton chum, on va boire une bière, c’est pas plus que ça », a expliqué l’accusé

À ses yeux, certains « groupes idéologiques dans les universités » accusent « tous les hommes » d’être responsables de la tuerie et utilisent cet évènement pour « culpabiliser » les hommes. « C’était mon senti, et le senti du monsieur de la rue », a-t-il dit.

Son témoignage se poursuit lundi. Il sera ensuite contre-interrogé par la procureure de la Couronne, MRoxane Laporte.