Joseph-Christopher Luamba, un homme noir de 22 ans, dit avoir été interpellé sans motif à de nombreuses reprises depuis l’obtention de son permis de conduire. Il tente de faire déclarer inconstitutionnelles les interpellations aléatoires des automobilistes par les policiers, pour mettre fin au profilage racial.

Dans un procès civil qui a commencé lundi, le Montréalais affirme avoir été interpellé par les corps policiers de Montréal, Repentigny, Laval et Gatineau près d’une dizaine de fois au total entre l’obtention de son permis de conduire (8 mars 2019) et le dépôt de sa requête auprès de la Cour supérieure (20 novembre 2020).

Dans chacun des cas, le jeune homme soutient avoir respecté les règles de sécurité routière. Il dit avoir été victime d’arrestations « aléatoires », que ce soit comme conducteur ou passager, et soupçonne que la couleur de sa peau est un facteur.

Dans sa requête officielle, Joseph-Christopher Luamba demande au Tribunal que « le pouvoir d’intercepter un véhicule routier et son conducteur sans motif raisonnable » soit déclaré « inopérant et inconstitutionnel ».

« Quand ça arrive, je me sens nerveux, mais aussi frustré, exprime-t-il. Je me demande pourquoi ? Je suivais les règles, je n’ai commis aucune infraction. J’ai l’impression qu’ils vont souvent viser les mêmes personnes. »

« Mes interactions avec les policiers ne sont pas toujours amicales, a-t-il poursuivi. Ils me parlent sur un ton assez direct. C’est arrivé à plusieurs reprises d’avoir la nervosité de me sentir coupable même si j’étais complètement innocent. »

Son avocat, MMike Siméon, a déploré au juge Michel Yergeau que les personnes à la peau noire étaient statistiquement plus susceptibles de faire l’objet d’une arrestation « dite aléatoire » par la police, puisqu’on les juge « plus sujettes à être liées à des activités criminelles ».

Joseph-Christopher Luamba a aussi remarqué que les interpellations policières « dites aléatoires » étaient fréquentes chez ses amis dans la communauté noire, et même chez ses connaissances d’origine arabe. « Mes amis blancs sont étonnés de voir ça, parce qu’eux, ça ne leur arrive jamais, affirme le jeune homme. Ça montre qu’il y a du travail à faire. »

Un problème sociétal

MBruce Johnston, qui représente l’Association canadienne des libertés civiles, appuie M. Luamba dans ses démarches judiciaires. Le profilage racial constitue une problématique « centrale pour la santé de notre société », a-t-il fait valoir en cour.

MJohnston, qui a la peau blanche, a utilisé une comparaison ethnique lors de sa première intervention devant le tribunal. Dans toutes les familles noires, a-t-il expliqué, les parents ont, à un moment ou un autre, une discussion avec leur fils pour lui parler du moment où il va être intercepté par la police. « Pour eux, ce n’est pas une question, ça va arriver, a-t-il affirmé. Moi, je n’ai jamais eu cette conversation avec mes gars. »

C’est clair que le profilage racial existe, qu’il y a de l’abus de pouvoir par les policiers. Leurs préjugés inconscients ont toute une cascade d’effets négatifs.

MBruce Johnston

Il s’est ensuite directement adressé au juge Yergeau, lui aussi blanc : « Tout un corpus d’études démontre que [le profilage racial] est profondément traumatisant, dégradant et anxiogène. Imaginez qu’à chaque fois que vous prenez votre véhicule, vous vous dites que vous allez peut-être vous faire arrêter. »

Des sanctions policières, plutôt

Pour MMichel Déom, l’avocat du procureur général du Québec, il faut imposer des sanctions aux policiers fautifs plutôt que d’invalider la loi dans son entièreté.

Le problème, ce n’est pas le pouvoir [d’interpeller des automobilistes sans motif], mais l’application qu’on en fait.

MMichel Déom, avocat du procureur général du Québec

À son avis, pour dissoudre le biais inconscient que portent certains agents de la paix, il faut nécessairement passer par l’éducation de la population.

« Oui, ça prend du temps, mais il faut donner une chance à l’éducation, a-t-il plaidé. La ceinture de sécurité et l’alcool au volant, ç’a presque pris une génération. Ce n’est pas simple, on parle de modifier un comportement humain. »

L’avocat du procureur général du Canada, MIan Demers, a reconnu que le profilage racial était « contraire à la loi, à la Charte et aux valeurs canadiennes ». Mais il juge la requête du demandeur « beaucoup trop large ».

Il faut donner une marge de manœuvre aux agents de la paix, il faut les laisser faire leur travail.

MIan Demers, avocat du procureur général du Canada

Le procès continue mardi, au palais de justice de Montréal, et doit ensuite se tenir cinq jours par semaine entre le 6 et le 30 juin.

En savoir plus
  • 4,24
    Les personnes noires de Montréal ont 4,24 fois plus de risque d’être interpellées aléatoirement que les Blancs.
    source : Rapport Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées (2019)
    2,04
    Les personnes arabes de Montréal ont 2,04 fois plus de risque d’être interpellées aléatoirement que les Blancs.
    source : Rapport Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées (2019)
  • 4,62
    Les membres des Premières Nations de Montréal ont 4,62 fois plus de risque d’être interpellés aléatoirement que les Blancs.
    source : Rapport Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées (2019)