Intimidation, dénigrement, entorses éthiques : un juge d’expérience du Tribunal administratif du travail (TAT) s’est tout permis pour arriver à ses fins dans un recours personnel devant son propre tribunal. Le juge Simon Lemire s’est même servi à de « nombreuses reprises » des ressources internes du TAT.

« Une personne bien informée conclurait facilement à la prise d’un avantage dû à sa charge de juge administratif », assène le juge administratif Jean M. Poirier, dans un jugement rendu le 7 avril dernier. Refusant de « jouer dans ce mauvais film », le juge s’est finalement récusé de cette cause hors norme.

Le juge Simon Lemire rend depuis plus de 30 ans des décisions en matière d’accident de travail et de maladie professionnelle. Il s’est toutefois retrouvé de l’autre côté du miroir en 2021, lorsqu’il a déposé à titre personnel des recours devant le TAT pour réclamer son droit à des aides techniques (un réveille-matin adapté, par exemple) pour sa surdité, déjà reconnue en 2012 comme lésion professionnelle. Il demandait également 80 $ en frais d’examen.

C’est donc un collègue de sa propre cour, le juge Jean M. Poirier, qui a été mandaté pour entendre cette cause, puisque le TAT détient la compétence exclusive en matière de lésion professionnelle. Mais pour le juge Lemire, la frontière entre son métier et sa vie personnelle semble s’être soudainement brouillée.

Ainsi, pour un recours pourtant personnel, Simon Lemire a demandé à une secrétaire du TAT d’envoyer au greffe des jurisprudences probablement tirées de la banque interne du Tribunal.

Le juge Lemire a également découvert à l’avance l’identité du juge assigné à son dossier, alors que la seule façon de le faire est de se servir d’un outil interne.

De plus, chaque fois qu’il communiquait avec le Tribunal, Simon Lemire s’est servi sans réserve de l’entête du TAT et de son bloc signature de juge, une façon de faire contraire à la déontologie, indique le juge Poirier.

« Cette utilisation indue du titre de M. Lemire ainsi que l’emploi des ressources humaines, matérielles et financières ont dès le départ posé un certain nombre de malaises au Tribunal. Au fil des jours, ces malaises ont augmenté au point d’amener la conclusion qui est tirée aujourd’hui », soutient le juge Poirier.

« Une forme d’intimidation », selon le juge Poirier

Mais ce n’est pas tout. Le 4 avril dernier, Simon Lemire a même écrit au juge Poirier pendant son délibéré, en mettant en copie la présidente du TAT, MLucie Nadeau. Dans ce courriel, il tutoie et nargue le juge Poirier pour réclamer sa récusation au motif que des courriels ont « souillé » son esprit. Il fait alors référence à des courriels envoyés lors d’un vote électronique tenu par leur association de juges.

Alors qu’il s’interroge sur le long délibéré du Tribunal pour des questions « aussi simples », Simon Lemire « pousse l’insulte et le dénigrement » en suggérant à son collègue de demander l’aide des services juridiques, déplore le juge Poirier. Simon Lemire en rajoute en écrivant que ce délai « ne peut s’expliquer que par une grande charge de travail, ou de longues vacances ».

Ultimement, on peut décoder de la demande de récusation, une forme d’intimidation de la part de M. Lemire. Il ne faut pas être une âme frileuse pour occuper la charge de juge. Cependant, les principes d’éthique, de droit et de moralité doivent toujours être mis à l’avant-plan.

Le juge Jean M. Poirier

Les agissements de Simon Lemire ont donc altéré « sérieusement la sérénité, voire l’indépendance du Tribunal », en plus de miner « sérieusement la confiance que doit avoir le Tribunal envers ce demandeur qui, rappelons-le, est un membre du même tribunal que le juge soussigné », écrit le juge pour justifier sa récusation.

Et qu’en est-il de la demande de remboursement de 80 $ pour un examen auditif ? Cette somme avait déjà été payée à Simon Lemire par la Régie de l’assurance maladie du Québec, apprend-on. « Sans autre preuve ou explication, la question de l’enrichissement sans cause pourrait se soulever », écrit le juge Poirier.

La présidente du TAT prévoit effectuer une « intervention » auprès de Simon Lemire à la suite des « éléments révélés » dans cette décision, a indiqué à La Presse le porte-parole du TAT, Marc Lalancette. Une rencontre à cet effet est prévue dans les prochains jours. Le juge Lemire continue d’exercer ses fonctions, ajoute le TAT.

Joint par La Presse, Simon Lemire nous a dirigés vers les services de communications du TAT. Ses recours personnels seront entendus par un autre juge le 1er juin prochain.