Le juge en chef du Canada Richard Wagner dénonce les « tyrannies » comme la Russie et la Chine, où il n’y a pas de liberté de la presse ni d’indépendance judiciaire.

« La règle est presque mathématique : quand on attaque les juges, les avocats, les médias, on fait face à une tyrannie. C’est ce qui se passe dans certains pays du monde, en Chine, en Russie. […] C’est inacceptable, on ne veut pas aller là », s’inquiète le juge en chef de la Cour suprême du Canada Richard Wagner, qui participait mercredi à une conférence du Barreau du Québec sur le droit des médias et des communications.

La liberté de la presse, l’indépendance judiciaire et des médias indépendants forts sont autant d’éléments « fondamentaux » d’une « saine démocratie », selon le juge en chef de la Cour suprême du Canada. « L’indépendance judiciaire et la liberté de la presse, ça va de pair », dit-il.

[Un régime tyrannique] va museler la presse, on l’a vu récemment en Russie. On va peut-être mettre les juges en prison. [Les juges] qu’on va garder, ils vont dire la même chose que le gouvernement. On muselle également les juges, on l’a vu dans d’autres pays. Un autre indice : on regarde s’il y a un Barreau indépendant. Sinon, c’est un indice que vous avez une tyrannie.

Richard Wagner lors d’une discussion avec MChristian Leblanc, associé au cabinet Fasken et spécialiste en droit des médias.

« On voit que [la démocratie] peut être fragile »

« On le vit, il faut le reconnaître sans nécessairement se donner des tapes dans le dos, dans une forte démocratie [au Canada], dit le juge en chef Wagner. Il y a encore un respect des institutions. On voit que ça peut être fragile. L’erreur qu’il ne faudrait pas faire, c’est de tenir ça pour acquis. Il faut toujours être aux aguets. C’est un travail continuel. On le voit dans le monde entier, des démocraties qui sombrent soudainement, qui prétendant être des grandes démocraties [mais où des élus posent] des gestes absolument incroyables de tyrannie. »

Le juge en chef Wagner rappelle que « la publicité des débats est fondamentale dans notre démocratie. » Depuis un mois, le milieu juridique québécois dénonce de l’existence d’un procès criminel qui a été tenu en secret au Québec pour un informateur (ou une informatrice) de police. En entrevue au Devoir plus tôt ce mois-ci, le juge en chef Wagner a qualifié ce procès secret d’évènement « invraisemblable » et « très déplorable » qui « n’aide pas la cause de la justice ». (Si le sujet n’a pas été abordé mercredi, c’est que la discussion avait été préenregistrée avant le dévoilement de ce procès secret. Le juge en chef Wagner ne pouvait participer en direct car la Cour suprême siégeait mercredi.)

L’importance des médias traditionnels

Au cours de cette discussion d’une trentaine de minutes, le juge en chef Richard Wagner a réitéré plusieurs fois l’importance du rôle des médias d’information. Notamment pour bien expliquer les décisions judiciaires.

Je souhaiterais qu’il y ait des médias [traditionnels] dans toutes les salles de cours. Les médias traditionnels sont très importants. Je parle des médias traditionnels soumis à des codes d’éthique, des normes professionnelles, qui ont une certaine expertise, qui vont faire leur travail convenablement. Ils sont les seuls qui peuvent vraiment informer, décortiquer, analyser une information juridique pour l’intérêt des citoyens.

Richard Wagner, juge en chef du Canada

Le juge en chef Wagner constate que les médias traditionnels n’ont plus les mêmes moyens et « ressources financières » qu’il y a « 15-20 ans », notamment « à cause des réseaux sociaux et de la concurrence ». C’est pourquoi la Cour suprême tente de trouver des façons « d’informer la population directement » sur ses décisions, notamment avec un nouveau service de vulgarisation.

« 60 % de la population au Canada prend ses nouvelles des médias sociaux, dit le juge en chef Wagner. Les réseaux sociaux, il y a toutes sortes de choses là-dedans, pas nécessairement de l’information réelle et adéquate. Il faut suppléer à ça. […] Pour que les jugements soient bien compris par la population. Pour s’assurer que la population continue d’avoir confiance en leur système de justice. Lorsque les gens n’auront plus confiance dans leur système de justice, c’est le début de l’anarchie. Les gens font se faire justice eux-mêmes. »

L’arrêt Jordan

Le juge en chef Wagner a aussi défendu l’arrêt Jordan, qui a provoqué une petite révolution en établissant à 30 mois (18 mois pour les accusations par voie sommaire) la limite du délai raisonnable pour subir un procès criminel.

« [L’arrêt Jordan] a fait réaliser que le système de justice n’avait pas été traité convenablement pendant trop d’années, dit le juge en chef Wagner. On n’a pas assez investi dans le système de justice. Les gouvernements, les juges, les avocats, les associations d’avocats ont réalisé qu’ils avaient un rôle à jouer pour s’assurer de l’accès à la justice. Quand on parle d’accès à la justice, pratiquement, on parle de démocratie. »

L’ex-vice-première ministre Nathalie Normandeau, certains co-accusés de l’ex-maire Gilles Vaillancourt et le présumé membre influent des Hells Angels Salvatore Cazzetta ont notamment bénéficié d’un arrêt de procédures en raison de l’arrêt Jordan, rendu par la Cour suprême en 2016.