Un climat « hyper nocif », marqué par les agressions verbales et l’intimidation, régnait au sein du programme de basketball féminin de l’école secondaire Saint-Laurent, dont trois entraîneurs ont été accusés jeudi de crimes de nature sexuelle, ont rapporté plusieurs sources à La Presse.

Bien connu dans le monde du sport scolaire, Daniel Lacasse, le responsable du programme de basketball de l’établissement montréalais, a été accusé d’exploitation sexuelle. Les deux autres entraîneurs impliqués, Robert Luu et Charles-Xavier Boislard, font face à des accusations de contact sexuel, d’incitation à des contacts sexuels et d’agression sexuelle. M. Boislard a également été accusé d’exploitation sexuelle.

PHOTOS FOURNIES PAR LE SPVM, VIA LA PRESSE CANADIENNE

De gauche à droite : Daniel Lacasse, Charles-Xavier Boislard et Robert Luu

Selon des sources policières, au moins trois plaignantes se sont manifestées au SPVM, jusqu’à présent. La troisième l’aurait fait à la suite de la publication de la nouvelle mercredi. Les mêmes sources rapportent que des éléments visuels compromettants ont été trouvés et saisis par les policiers lors des perquisitions, ce jour-là. Les plaignantes sont des joueuses ou d’ex-joueuses de basketball de l’école, mineures au moment des faits, issues de familles défavorisées ou monoparentales.

Jeudi, le corps de police a dit encore « chercher à identifier des victimes potentielles » des accusés. Les faits reprochés s’échelonnent de 2008 à 2017, mais les enquêteurs « ont des raisons de croire que d’autres jeunes filles pourraient avoir été victimes de gestes similaires, et ce, de 2005 à ce jour ».

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Perquisition chez l’entraîneur Daniel Lacasse, mercredi, à Laval

La nature sexuelle des gestes reprochés aux accusés a semé l’émoi à l’école Saint-Laurent, mais les entraîneurs se sont livrés à d’autres comportements inacceptables, ont raconté d’anciens entraîneurs, employés, parents et athlètes à La Presse.

« On a tous reçu une claque sur la gueule. Je pense qu’on est tous à blâmer pour avoir été témoins d’un type d’abus verbal, de criage, d’humiliation des filles. Ça, on l’a tous vu. On a été témoins de comportements déplacés dans un contexte d’abus verbal, et on n’a rien fait, parce qu’on se disait : il en fait tellement pour ces filles-là », raconte Patricia Demers, qui a été entraîneuse sportive à l’école Saint-Laurent de 2002 à 2007 et qui est aujourd’hui directrice générale de la Fondation de l’athlète d’excellence du Québec.

Pour le sport scolaire, dit Mme Demers, l’heure est à un « examen de conscience collectif […] par rapport à son inaction dans tout ça, dans l’environnement tant immédiat que moins immédiat ». « On justifiait presque certaines choses du fait qu’il y avait tellement de retombées positives sur l’école et sur les filles qui allaient jouer dans des universités, qui [décrochaient un diplôme] », regrette aussi l’ex-entraîneuse.

Il y a un an, un article du Bulletin sportif, blogue consacré au sport scolaire, dénombrait une vingtaine d’anciennes joueuses de l’école Saint-Laurent qui se sont taillé une place au sein d’équipes universitaires, dont près de la moitié dans des formations de la prestigieuse NCAA, aux États-Unis.

« Les jeunes avaient tellement peur »

Une ancienne employée de l’école secondaire Saint-Laurent, qui a souhaité taire son nom par crainte de représailles, a indiqué à La Presse avoir eu connaissance de comportements problématiques de Daniel Lacasse. « Les jeunes avaient tellement peur des répercussions qu’ils n’osaient pas dénoncer. C’était un climat hyper nocif », résume cette travailleuse, d’une voix émue.

C’est énorme, ce qui s’est passé dans cette école. Il y avait aussi beaucoup d’intimidation. Ça fait des années qu’on est plusieurs à le savoir.

Ancienne employée de l’école secondaire Saint-Laurent

« Je ne suis pas du tout surprise. Je l’entendais hurler après les joueuses, les insulter. C’était très violent. C’était un homme agressif, possessif, manipulateur. Tout ça, je pense que ça va aider à faire changer les choses, heureusement », a de son côté confié une ancienne joueuse de l’équipe de basketball du Québec, qui a aussi côtoyé Lacasse par le passé, en jouant contre ses équipes.

« Daniel intimidait les joueuses. Les filles rentraient à la maison en pleurant. Il les grondait, il les menaçait. Elles avaient peur », dit la mère d’une joueuse, qui a aussi préféré taire son nom pour ne pas identifier sa fille. Sa fille a reçu son diplôme de l’école Saint-Laurent en 2018. Des cadeaux auraient aussi été offerts aux élèves, selon elle. Une journée, en quittant l’école, Robert Luu avait invité sa fille à aller magasiner et lui aurait offert une paire de souliers, avant d’aller la reconduire chez elle. « Quand elle est revenue à la maison, je me suis fâchée. Je ne trouvais pas ça normal », dit-elle.

Des mécanismes à revoir

Le directeur général de Basketball Québec, Daniel Grimard, a dit être consterné par la nouvelle. Daniel Lacasse et Robert Luu ont été impliqués auprès d’équipes provinciales. « C’est un choc, souffle-t-il. C’est le seul mot que j’ai trouvé jusqu’à maintenant. C’est incroyable, c’est la première fois que je vis quelque chose comme ça. » M. Grimard s’est dit attristé pour les jeunes femmes concernées, ainsi que pour les entraîneurs ayant travaillé aux côtés des accusés.

Selon la professeure de l’Université Laval Sylvie Parent, titulaire de la Chaire de recherche sécurité et intégrité en milieu sportif, ce dossier illustre surtout combien il est urgent de « changer la culture » en milieux sportifs.

« Toute la question du filtrage des entraîneurs va être essentielle. Là où on a aussi du chemin à faire, c’est dans la formation minimale des intervenants sur la limite de la relation étudiants-entraîneurs, jusqu’où on peut aller. Ces limites-là, elles ne sont pas toujours connues par l’entourage », explique-t-elle.

Chaque survivant qui parle, chaque cas qui sort, c’est un clou de plus qui s’enfonce montrant qu’il faut se réveiller, qu’il faut changer les choses. Oui, il y a déjà des mesures en place, mais il reste du travail à faire.

Sylvie Parent, professeure de l’Université Laval

Des initiatives comme « Je porte plainte » existent sur le portail de la Fédération de basketball du Québec pour dénoncer les actes de harcèlement, d’abus ou de violence. « Mais on peut voir que ce n’est pas suffisant, admet Daniel Grimard. On va devoir développer d’autres moyens. » Basketball Québec ne tolère « d’aucune manière ces gestes et ces actions-là », ajoute le directeur général.

Daniel Lacasse et Robert Luu doivent revenir devant la Cour vendredi. Charles-Xavier Boislard, lui, a été remis en liberté après s’être engagé à respecter plusieurs conditions, notamment ne pas contacter la plaignante concernée et ne pas se trouver en contact avec des personnes de moins de 16 ans. Il reviendra devant le tribunal le 24 mars. Les trois hommes ont été suspendus de leur poste jeudi, a confirmé le directeur général du centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys, Dominic Bertrand, qui a lui-même été directeur de l’école au moment où les agressions auraient été commises.

La police invite toute victime ou tout témoin d’actes sexuels commis par les accusés à joindre sa Section des agressions sexuelles au 514 280-8502, ou à se rendre dans un poste de quartier.

Avec la collaboration de Daniel Renaud, de Florence Morin-Martel et d’Isabelle Ducas, La Presse