Le tribunal a invalidé une importante opération de type « Monsieur Big » qui impliquait des soupers dans des restaurants de prestige et des billets du Canadien

Johanne Johnson, femme de James Dubé, assassiné chez lui en Gaspésie en 1998, a été acquittée mardi de son meurtre dans un revirement qui met en lumière le rôle des opérations de type « Monsieur Big » dans les enquêtes policières.

La preuve reposait sur les « aveux » faits par Mme Johnson dans le cadre d’une opération fictive de longue haleine montée par les policiers et qui avait mené à sa condamnation en 2016. C’est cette opération que le juge de la Cour supérieure Carl Thibault a rejetée, évaluant que la conduite des policiers constituait un abus de procédures.

« Le Tribunal considère que la violence et les tactiques employées par les agents se sont avérées coercitives pour une personne comme madame Johnson », écrit le juge Thibault.

Selon MMorgane Laloum, avocate de Mme Johnson, l’opération policière a dépassé les bornes.

On lui a promis toutes sortes de choses : un appartement à Montréal, des voitures… Elle n’avait pas vraiment le choix d’avouer le meurtre rendu à l’entrevue finale.

MMorgane Laloum, avocate de Johanne Johnson

L’une des grandes préoccupations du juge était le fait que l’option de l’innocence n’a jamais été proposée à Mme Johnson durant l’opération. « Au scénario final, ils auraient pu dire : “Si tu es coupable, dis-le-nous, on va t’aider. Si tu es innocente, on va t’aider aussi.” Mais ça n’a jamais été fait dans ce cas », signale MLaloum.

Projet Esturgeon

C’est en 2012, soit 14 ans après le meurtre de James Dubé, pêcheur gaspésien retrouvé mort chez lui d’une balle à la tête, que les enquêteurs ont mis sur pied le Projet Esturgeon dans le but de connaître l’implication réelle de Johanne Johnson dans cette affaire.

Dès lors, un grand manège lancé par l’équipe des dossiers non résolus de la Sûreté du Québec avec la participation de la Gendarmerie royale du Canada et du Service de police de la Ville de Montréal s’est mis en marche.

En tout, 51 « scénarios » ont été réalisés. Au départ, une agente d’infiltration a pris contact avec Mme Johnson et lui a offert différentes tâches pour lesquelles elle la rémunérait. Elle devait, par exemple, transporter une voiture d’une région à l’autre. Petit à petit, le caractère illégal des tâches s’est révélé, et d’autres agents d’infiltration ont pris part aux rencontres. Mme Johnson, qui croyait alors travailler pour un groupe criminel, devait transporter des valises en autocar. Puis elle devait transporter des valises contenant des armes.

Pour célébrer, le groupe s’offrait des soupers copieux dans des restaurants haut de gamme, notamment chez La Bête, à Québec, ainsi que des billets pour assister à un match de hockey du Canadien au Centre Bell. Un condo à Montréal a aussi été promis à Mme Johnson.

Celle-ci a reçu environ 18 000 $ en argent comptant pour le travail effectué, et on lui a remboursé 2400 $ pour ses dépenses pendant l’opération d’infiltration, qui a duré plus de six mois.

Dans le cadre de cette opération, Mme Johnson a aussi été exposée à des scénarios de violence conjugale. « C’est particulièrement problématique puisqu’elle a elle-même été victime de violence conjugale », note MLaloum.

Aveux

Toute cette opération a culminé avec la rencontre avec le présumé chef de l’organisation, qui avait pour tâche d’aller au fond des choses concernant le meurtre de James Dubé. C’est lors de cette rencontre que Mme Johnson a « avoué » être la responsable du meurtre.

Or, le juge Thibault a conclu cette semaine que la valeur probante des aveux était inférieure au préjudice causé à Mme Johnson dans le cadre de l’opération.

La Couronne n’a pas encore indiqué si elle comptait en appeler de la décision.

MLaloum croit que la technique d’enquête « Monsieur Big » devrait être jetée aux oubliettes. « Il y a très peu de pays qui autorisent ces opérations. Ça a des coûts faramineux, ça teinte des aveux, il y a de temps en temps des erreurs judiciaires et des gens passent à travers des processus inhumains », dit-elle.

Qu’est-ce qu’un « Monsieur Big » ?

Un « Monsieur Big » est une méthode d’enquête visant à faire croire à un suspect qu’il est en voie de se joindre à un groupe criminel, et qui est utilisée dans le but de lui soutirer une confession. Au moins 350 opérations de cette nature ont été menées depuis 30 ans au Canada. En 2014, la Cour suprême a maintenu la validité des opérations de ce type, tout en restreignant leur admissibilité en preuve. Les critiques de l’utilisation de ces opérations soutiennent que la seule participation d’un suspect à une opération de ce type est susceptible d’entacher sa crédibilité aux yeux d’un jury.