Le DPCP craint des retards dans le processus judiciaire

La pénurie de main-d’œuvre frappe de plein fouet le système de justice, au point de faire craindre des arrêts du processus judiciaire. Cinq salles du palais de justice de Montréal sont restées fermées mardi matin faute de greffiers, ce qui a eu pour effet de retarder des causes d’agression sexuelle et de meurtre. Un problème récurrent qui préoccupe tant les juges que le ministère public.

« Le délai [prévu par l’arrêt] Jordan est un risque. On ne voudrait pas se retrouver avec des dossiers avec des victimes vulnérables qui n’ont pas eu lieu dans le délai requis à cause d’une situation de pénurie de personnel. […] On joue un peu avec le feu », s’inquiète en entrevue MMartin Chalifour, procureur en chef du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) au bureau de Montréal.

Malgré leur rôle crucial, les greffiers-audienciers ou greffières-audiencières gagnent à peine de 35 000 à 45 000 $, selon l’échelle salariale du ministère de la Justice en 2019. Selon le juge en chef de la Cour supérieure du Québec, Jacques Fournier, les salaires du personnel judiciaire « ne sont pas compétitifs » eu égard aux responsabilités de ces employés. Une erreur d’un greffier au criminel peut devenir un motif d’appel, a-t-il illustré, dans une entrevue avec La Presse le mois dernier.

« Les difficultés de recrutement et de rétention de ce personnel sont récurrentes et existent depuis de nombreuses années et tendent d’ailleurs à s’aggraver. D’ailleurs, les autorités ministérielles sont bien informées de cette situation », a déclaré par courriel Scott Hughes, juge en chef associé de la Cour du Québec.

Dans les derniers mois, il arrivait à l’occasion qu’une salle d’audience ouvre tardivement en raison de l’absence d’un greffier-audiencier. Or, mardi, sur une vingtaine de salles en matière criminelle, cinq sont restées closes à 9 h 30. Celles-ci n’ont pu ouvrir qu’en fin de matinée, voire en après-midi, ce qui a retardé de nombreux dossiers impliquant des témoins et des accusés.

« C’est une situation exceptionnelle. Je n’ai jamais vu ça, cinq salles fermées la même journée. C’est quelque chose qui sort de l’ordinaire », observe MChalifour.

Les fermetures de salles ont mis à l’épreuve la patience des magistrats mardi. Le juge Christian M. Tremblay fulminait en après-midi en s’adressant aux nombreux avocats amassés dans la salle d’audience. « Je commence mon rôle à 14 h aujourd’hui ! On n’avait pas de greffier pour ouvrir cette salle ce matin. Plusieurs autres salles du palais aussi », a lancé le juge de la Cour du Québec.

En matinée, une plaignante devait témoigner dans un procès pour agression sexuelle prévu pour deux jours. Cette femme était venue de Toronto pour témoigner contre son agresseur allégué. Or, elle a dû patienter de longues heures avant d’amorcer son douloureux récit vers 15 h, au grand dam du juge Tremblay.

Exaspéré, le juge Tremblay a prévenu d’autres accusés, dont la cause a été remise en février, de se tenir prêts à toute éventualité. « Il manque de personnel. Si vous tombez sur un mauvais jour et qu’il manque de personnel… On vit des périodes d’incertitude présentement », a-t-il lâché.

Un homme prêt à plaider coupable à des accusations sérieuses a aussi dû patienter jusqu’à vendredi en raison de l’encombrement du rôle, malgré les efforts du juge Tremblay pour trouver un collègue disponible pour une demi-heure. « Il n’y a pas assez de greffiers », a conclu le juge.

Ce jour-là, l’enquête préliminaire d’un homme accusé de meurtre s’est amorcée seulement en après-midi en l’absence d’un greffier. Une situation vivement dénoncée par le juge Érick Vanchestein qui a tenu à s’excuser au nom du système judiciaire auprès des membres de la famille de la victime. Le juge a également affirmé que le ministère de la Justice devait maintenant agir.

Une porte-parole du ministère de la Justice a indiqué par courriel qu’aucun procès n’avait été « reporté en raison d’un manque de personnel ». « Certaines salles ont dû ouvrir plus tard, mais une réorganisation a permis d’éviter la remise de procès », a-t-elle déclaré.

Mais sur le terrain, la situation est critique, insiste une source du système judiciaire qui doit garder l’anonymat en raison de son emploi. « Les palais de justice se vident du personnel en ce moment, et c’est dans tous les palais. Même dans les greffes, il n’y a tellement plus de monde que les dossiers se perdent », déplore cette source.

Protéger les victimes

Le procureur en chef du DPCP de Montréal a demandé à ses procureurs d’être « extrêmement vigilants » pour que les retards causés par le manque de personnel judiciaire aient le moins d’impact possible sur les victimes vulnérables.

Dans ces dossiers, des témoins se déplacent, des victimes se déplacent, ça fait des mois qu’ils attendent. On ne veut pas les perdre.

MMartin Chalifour, procureur en chef du Directeur des poursuites criminelles et pénales à Montréal

Le procureur salue d’ailleurs le travail de la Cour du Québec pour s’assurer que ces dossiers soient traités « le plus rapidement possible ».

La pénurie de personnel judiciaire préoccupe également le juge en chef de la Cour supérieure du Québec. « C’est un problème qui frappe l’ensemble de la société. Je trouve ça ironique qu’on parle des problèmes des restaurateurs à trouver du personnel, mais on ne parle pas des problèmes des trois pivots de la démocratie à recruter du personnel », a affirmé Jacques Fournier.

Avec la collaboration de Tristan Péloquin et de Daniel Renaud, La Presse