Un Montréalais septuagénaire d’origine haïtienne affirme avoir été battu par un policier du poste de quartier 31 lors d’une interpellation survenue plutôt ce mois-ci durant laquelle il aurait demandé à l’agent du SPVM de mettre un masque contre la COVID-19.

« Depuis que c’est arrivé, ce n’est pas compliqué : j’ai du mal à marcher, j’ai mal à la tête tout le temps, et je ne dors plus », explique à La Presse Maurice Verjin.

Comme il le fait chaque jour depuis des années, l’homme de 73 ans conduisait pour aller chercher sa femme à son travail vers 23 h 30 dans la nuit du 1er décembre dernier, quand il a aperçu une voiture de patrouille qui filait vers l’ouest, gyrophares allumés, rue Jean-Talon, dans le quartier Villeray.

Alors sur l’avenue de Chateaubriand en direction sud, M. Verjin dit avoir immobilisé son véhicule à l’intersection afin de permettre au conducteur de la voiture de patrouille de continuer sa route. À sa surprise, le policier a arrêté la voiture à sa hauteur, lui bloquant le chemin.

« Je conduis une Acura blanche 2004, explique M. Verjin. Sur le coup, je me suis dit qu’ils cherchaient peut-être une voiture comme la mienne. »

Les policiers ont alors pointé un faisceau de lumière en sa direction. « J’étais aveuglé », explique le photographe de profession, père de neuf enfants et grand-père de trois petits-enfants.

M. Verjin est sorti de sa voiture pour demander ce qu’on attendait de lui, mais dit s’être fait répondre par un des deux policiers de « retourner dans son char ».

L’un des policiers serait venu de son côté, aurait ouvert sa portière et lui aurait demandé ses enregistrements et son permis de conduire. Entre-temps, M. Verjin avait appelé sa femme pour lui dire qu’il était avec des policiers.

J’essayais d’expliquer ce qui se passait à ma femme, elle ne comprenait pas, et le policier a répété son ordre. Puis il m’a pris mon téléphone des mains et a raccroché.

Maurice Verjin, 73 ans

M. Verjin aurait sorti son portefeuille pour prendre ses enregistrements. Son téléphone se serait remis à sonner.

« Le policier a pris mon portefeuille et a commencé à crier. Il me parlait si fort que ses postillons tombaient dans ma bouche. J’ai réalisé qu’il ne portait pas de masque, et moi non plus, d’ailleurs, j’étais seul dans mon auto. Je lui ai demandé d’aller mettre son masque, et il a éclaté », affirme M. Verjin, qui dit n’avoir jamais eu de problème avec la police depuis son arrivée au pays, il y a 51 ans.

Le policier lui aurait alors passé la main derrière la tête et frappé le crâne « trois ou quatre fois » contre le volant, faisant éclater les lentilles de ses lunettes sous la force de l’impact, dit-il.

Le policier aurait voulu le faire sortir de sa voiture. « Je m’agrippais à mon volant, j’avais peur, je n’avais rien fait. »

L’agent l’aurait mis par terre sur le ventre, aurait placé un genou sur son dos pour lui passer les menottes et aurait commencé à traîner M. Verjin pour l’emmener dans la voiture de patrouille. « Mes jambes ont traîné par terre, mes bottes se sont enlevées, et mes pantalons ont baissé jusqu’à mes genoux. Le deuxième policier l’a aidé et m’a amené par les épaules. »

On l’aurait bousculé « comme une poubelle » pour le faire entrer dans la voiture de patrouille.

J’avais la tête en avant et les pieds dehors. Le policier a fermé la porte de l’auto avec mes pieds encore dehors. C’est ça qui m’a fait mal au genou, et j’ai encore mal aujourd’hui.

Maurice Verjin

M. Verjin dit être resté « entre 30 et 45 minutes » dans cette position dans la voiture avec les policiers. « Je leur ai demandé : “Pourquoi je suis là ?” Ils ne m’ont donné aucune réponse. »

Les policiers ont fini par accepter de lui retirer les menottes et d’appeler sa femme, lui demandant de venir chercher son mari.

Les policiers auraient rempli un formulaire et auraient demandé à M. Verjin de le signer. Il a refusé, ne pouvant lire ce qui s’y trouvait puisque ses lunettes étaient brisées.

Il était près de 2 h du matin quand sa femme est arrivée, après avoir marché pendant une heure pour aller le retrouver. Les policiers ont dit à sa femme qu’il était agité et « avait l’air saoul », mais M. Verjin dit qu’il ne boit pas d’alcool.

Dans leur constat, les policiers ont signalé que M. Verjin avait immobilisé sa voiture au-delà de la ligne d’arrêt. « J’ai fait ça pour leur céder le passage », dit-il. Ils lui ont aussi remis une citation à comparaître à la cour pour entrave au travail des agents de la paix.

Trois fois aux urgences

Le passage à tabac dont dit avoir fait l’objet M. Verjin a d’abord été rapporté lundi par InTexto.ca, un journal de la communauté haïtienne.

C’est en rentrant chez lui cette nuit-là qu’il a senti quelque chose de liquide sur son front. Il s’est aperçu qu’il avait une plaie qui aurait été causée par le choc avec le volant. M. Verjin est retourné trois fois aux urgences depuis, se plaignant de maux de tête et d’un mal de genou.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Maurice Verjin, à sa sortie des urgences

Le service des communications du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a indiqué ne pas avoir « l’habitude de commenter une intervention policière en particulier, et ce, afin de prévenir toute influence sur un éventuel processus judiciaire, déontologique ou administratif. Si une personne s’est sentie lésée lors d’une intervention policière, il est de son droit de porter plainte contre le(s) policier(s) auprès du SPVM ou auprès d’un organisme indépendant ».

Dans les jours qui ont suivi, M. Verjin a déposé une plainte contre les policiers du poste 31, mais l’a fait en se rendant au poste 35. « J’ai peur d’aller au poste 31 », dit-il.

Il cherche aussi à retenir les services d’un avocat. « La façon dont les policiers m’ont traité, ce n’est pas correct. Je ne leur fais plus du tout confiance. »

Poursuite contre trois policiers liée à la pandémie

Ce n’est pas la première fois qu’un citoyen accuse des policiers d’avoir eu un comportement violent dans un contexte lié à la pandémie. Plus tôt cette année, Zaid Knari et Najate Knazzar, un couple de Montréalais, ont déposé une poursuite contre trois policiers qu’ils accusent d’avoir eu des comportements violents à leur égard en lien avec les mesures sanitaires. Ils accusent l’agent Mongeau et l’agent Audette d’être entrés chez eux le 31 mars dernier sans mandat ni permission pour examiner une fuite d’eau dans l’immeuble, et d’avoir menacé d’arrêter M. Knari car il leur posait des questions. Ces deux agents sont aussi accusés d’avoir utilisé une force abusive, injustifiée et disproportionnée à son égard, après qu’il eut déploré la présence d’un groupe de policiers non masqués chez lui. L’agent Rousseau est quant à lui accusé de ne pas avoir porté de masque et d’avoir « laissé ses collègues utiliser une force abusive sans les arrêter ou les dénoncer tel que requis par l’article 260 de la Loi sur la police », selon la poursuite.