Les avortements de procès se suivent et se ressemblent dans les enquêtes anticorruption au Québec. Americo Comparelli, ex-fonctionnaire qui avait pourtant été reconnu coupable d’abus de confiance l’an dernier parce qu’il se faisait payer secrètement pour aider des entreprises à payer moins d’impôt, a finalement bénéficié d’un arrêt du processus judiciaire de dernière minute lundi, avant d’avoir le temps de recevoir sa peine.

« Monsieur Comparelli, je suppose que cela termine votre séjour avec nous ici », a laissé tomber le juge Salvatore Mascia, de la Cour du Québec. Quelques instants plus tôt, le procureur du Service des poursuites pénales du Canada, MFrançois Blanchette, avait jeté l’éponge et demandé l’arrêt du processus judiciaire.

L’ancien fonctionnaire fédéral s’est ensuite levé et a quitté le palais de justice de Montréal en homme libre. Un revirement de situation majeur pour lui, alors qu’il risquait jusque-là plusieurs années de prison.

Vaste enquête de la GRC

Americo Comparelli avait été arrêté par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en 2014, dans le cadre du projet Coche, une vaste enquête sur la corruption aux bureaux montréalais de l’Agence du revenu du Canada.

M. Comparelli travaillait alors comme auditeur financier au service de recherche scientifique et développement expérimental du fisc. Mais selon la police, il était aussi partenaire « silencieux » de la firme-conseil Delvex, dont la spécialité était de présenter des demandes de crédit d’impôt en recherche et développement. Des clients le payaient donc pour les aider dans leurs demandes, qui étaient ensuite étudiées par lui et ses collègues.

En décembre 2020, dans un jugement-fleuve de 144 pages, le juge Mascia avait reconnu l’ancien fonctionnaire coupable d’abus de confiance, de complot pour abus de confiance et de complot pour commettre une fraude envers le gouvernement.

Le magistrat avait souligné à quel point le dossier s’était révélé complexe et volumineux. « Les procès pour fraude – surtout ceux impliquant des fraudes fiscales et de la corruption comme dans le présent dossier – deviennent de plus en plus compliqués », avait-il observé.

Pour 800 boîtes de preuve

Mais avant que le juge n’ait le temps d’entendre les plaidoiries sur la peine à imposer, un évènement inattendu est venu tout perturber.

D’autres accusés épinglés dans un autre volet du projet Coche, et qui étaient accusés d’avoir organisé un système dans lequel des fonctionnaires du fisc recevaient des pots-de-vin en échange de leur bienveillance, ont eu leur procès à leur tour, l’hiver dernier. Parmi ces accusés se trouvait l’ancien entrepreneur en construction Tony Accurso.

Les avocats de la défense au procès Accurso ont découvert que la GRC et le Service des poursuites pénales du Canada, la Couronne fédérale, travaillaient à partir de copies des documents saisis lors de perquisitions en 2008 et en 2009.

Les originaux avaient été emportés par le fisc provincial, Revenu Québec, qui menait sa propre enquête sur ce même groupe d’entrepreneurs, et qui conservait le tout dans environ 800 boîtes de preuve à ses bureaux.

Existait-il des différences entre les originaux et les copies ? Peut-être manquait-il certains passages dans les copies qui auraient permis d’innocenter les accusés ? La défense voulait avoir accès aux 800 boîtes de preuve pour le savoir, et elle y avait droit, avait tranché la cour.

Mais la poursuite n’était pas capable de fournir tout ce nouveau matériel à temps pour se conformer aux barèmes fixés par la Cour suprême dans son arrêt Jordan sur le droit à être jugé dans un délai raisonnable. Le procès Accurso avait donc avorté.

Balle saisie au bond

Les avocats d’Americo Comparelli, MAlexandre Bien-Aimé et MAndrée-Anne Dion, ont saisi la balle au bond. Ils ont annoncé que même si, de son côté, leur client avait déjà été reconnu coupable, ils allaient présenter une requête en avortement de procès à la lumière de ces nouvelles découvertes, puisque ces centaines de boîtes de preuve n’avaient jamais été divulguées à leur client, ce qui avait, selon eux, nui à l’équité des procédures.

Voyant qu’elle s’acheminait vers le même résultat que dans le dossier Accurso, la Couronne a demandé l’arrêt du processus judiciaire contre M. Comparelli, ainsi que contre un coaccusé, l’entrepreneur Francesco Bruno, qui, de son côté, n’avait pas encore eu son procès. « Nous allons demander l’arrêt du processus dans les deux dossiers », a expliqué au juge le procureur Blanchette.

Ce nouveau revers du corps policier fédéral et du Service des poursuites pénales du Canada survient trois semaines jour pour jour après l’effondrement du procès pour corruption de l’ancien maire de Terrebonne. Dans ce dossier, ce sont l’Unité permanente anticorruption (UPAC) et le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), la Couronne provinciale, qui avaient été blâmés pour avoir caché à la défense des informations qui auraient pu nuire à la crédibilité d’un témoin.