Le tribunal a ordonné lundi l’arrêt du processus judiciaire dans le procès criminel de l’ancien maire de Terrebonne Jean-Marc Robitaille, en raison de l’inconduite de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) et des procureurs de la Couronne, qui ont caché aux accusés de l’information pouvant nuire à la crédibilité d’un témoin important en raison de leur « volonté de gagner à tout prix ».

Dans son jugement rendu en après-midi au palais de justice de Saint-Jérôme, la juge de la Cour du Québec Nancy McKenna tire à boulets rouges sur le comportement des enquêteurs et des procureurs affectés à ce dossier. Elle dénonce les « représentations trompeuses », les « propos mensongers » et la « malhonnêteté » destinés à cacher de la preuve potentiellement favorable aux accusés.

Les représentants de l’État étaient dans la « recherche de la victoire à tout prix », déplore-t-elle plus d’une fois.

« Les transgressions répétées par différents acteurs de l’État violent les règles du franc-jeu et de la décence auxquelles la société est en droit de s’attendre de collaborateurs de la justice », souligne la magistrate, qui a ordonné l’arrêt du processus judiciaire contre les quatre accusés.

Pots-de-vin, voyages, travaux de rénovation

L’ancien maire Robitaille, son ex-chef de cabinet Daniel Bélec, l’ancien directeur général adjoint Luc Papillon et l’entrepreneur Normand Trudel étaient accusés de corruption dans les affaires municipales et d’abus de confiance. Ils avaient été arrêtés en 2018 dans le cadre d’une enquête de l’UPAC baptisée Projet Médiator.

Selon la théorie de la Couronne, deux firmes d’ingénierie se partageaient les contrats publics à Terrebonne en vertu d’une « directive » du maire Robitaille. Celui-ci aurait mis en place entre 2000 et 2012 un « système de corruption » basé sur le partage de contrats et l’octroi de cadeaux aux hauts fonctionnaires, plaide la poursuite. Il était question de pots-de-vin, de voyages, d’expéditions de pêche et de travaux de rénovation domiciliaires offerts aux bénéficiaires du système.

Le maire de l’époque, Jean-Marc Robitaille, aurait profité personnellement de nombreux avantages grâce à ce système de corruption, selon la poursuite.

Mais après le début du procès, la défense a découvert que les policiers et les procureurs du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) avaient caché l’existence de preuve, notamment des rapports détenus par l’UPAC, qui auraient pu être utiles aux accusés parce qu’elle nuisait à la crédibilité d’un témoin clé de la poursuite.

Ce témoin aurait lui-même été soupçonné de participer à un stratagème de corruption et de partage de contrats, sur fond d’intimidation de ses rivaux. L’UPAC avait reçu des signalements à son sujet et fait certaines vérifications, mais le dossier avait été fermé hâtivement. Certains policiers soupçonnaient même que la dénonciation visait à attaquer leur témoin.

Procureurs et policiers montrés du doigt

Lorsque l’existence de cette preuve a été découverte, plusieurs représentants de l’État se sont livrés à des manœuvres pour éviter qu’elle soit divulguée, souligne le jugement. La juge montre directement du doigt deux procureurs du DPCP, MAlice Bourbonnais-Rougeau et, « dans une moindre mesure », MMartin Duquette, qui auraient fait des déclarations trompeuses en cour alors qu’ils avaient connaissance du matériel recherché par la défense.

La juge épingle aussi plusieurs policiers, notamment le responsable actuel des enquêtes à l’UPAC, Sylvain Baillargeon, dont elle juge la crédibilité « ternie ».

L’avocat Michel Massicotte, qui représentait l’entrepreneur Normand Trudel, a dit en fin de journée qu’il espérait que ce jugement serve de rappel quant à l’importance de permettre aux accusés d’obtenir des autorités toute la preuve pertinente à leur défense dans le cadre d’un procès.

Ce jugement redonne ses lettres de noblesse à la communication de la preuve et à la nécessité pour le ministère public de la faire de façon honnête et transparente.

L’avocat Michel Massicotte, qui représentait l’entrepreneur Normand Trudel

Le maire actuel de Terrebonne, Marc-André Plante, s’est dit déçu de cette tournure des évènements, mais assure que sa ville va poursuivre les procédures pour récupérer les sommes qu’elle estime s’être fait voler.

« C’est avec déception et stupéfaction que j’ai pris connaissance du jugement visant l’arrêt des procédures », a déclaré le maire.

« Par ailleurs, l’arrêt des procédures ne signifie pas la fin du processus légal visant à récupérer les sommes volées aux citoyens de Terrebonne. Mon administration a embauché deux avocats et deux analystes pour entreprendre des procédures judiciaires afin de récupérer l’argent des citoyens. C’est notre devoir d’aller jusqu’au bout », a-t-il ajouté.

19 ans

Nombre d’années en poste de Jean-Marc Robitaille comme maire de Terrebonne, de 1997 à 2016

4 ans

Nombre d’années d’enquête de l’UPAC dans le cadre du Projet Médiator

120 000 habitants

Population de la Ville de Terrebonne

Sources : sites web de la Ville de Terrebonne et de l'UPAC