(Montréal) La guérilla juridique entre le gouvernement du Québec et ses juristes est maintenant terminée, mais le vrai travail de négociation, qui traîne depuis six ans, reste à faire.

La Cour suprême a en effet refusé, jeudi, d’entendre cette cause, confirmant ainsi que la loi spéciale qui avait forcé le retour au travail des juristes en 2017 était inconstitutionnelle. C’est ce qu’avait jugé la Cour supérieure en septembre 2019 et que la Cour d’appel avait confirmé en avril dernier.

« On ne peut être que satisfaits puisque la Cour suprême fait en sorte de confirmer la décision de la Cour d’appel du Québec comme quoi la loi spéciale était inconstitutionnelle », s’est réjoui Me Marc Dion, président de Les avocats et notaires du gouvernement (LANEQ), en entrevue avec La Presse Canadienne.

Il s’agit d’une victoire pour LANEQ, dont les membres avaient été forcés de retourner au travail après une grève de quatre mois en 2016 et 2017. Le retour au travail s’était effectué sous la menace de fortes amendes qui étaient prévues dans la loi spéciale du ministre Pierre Moreau, alors président du Conseil du Trésor.

De plus, la loi spéciale leur interdisait aussi de faire la grève pendant trois ans, instituait un mécanisme de négociation et, à défaut d’une entente, les conditions de travail devaient être imposées.

Dans sa décision en première instance, la juge Johanne Brodeur avait déterminé que la loi spéciale constituait « une entrave substantielle à la liberté d’association » et que sa justification n’avait pas été démontrée. C’est sur cette question que LANEQ peut désormais crier victoire.

Québec doit faire ses devoirs

Cependant, Québec n’était pas seul en appel sur la décision : LANEQ contestait de son côté la décision des tribunaux inférieurs de ne pas fixer les règles de négociation. Le syndicat des juristes avait en effet demandé dès le départ au tribunal d’imposer la création d’un véritable mécanisme de règlement des différends qui aurait pris la forme d’un arbitrage obligatoire dont les conclusions auraient lié les deux parties.

La juge Brodeur avait toutefois estimé que ce n’était pas là le rôle des tribunaux. « Il appartient aux parties de négocier ou au législateur d’édicter un mécanisme de règlement des différends respectueux des droits et libertés garantis par la Charte canadienne. Le Tribunal rejette cette demande dans le respect du principe de séparation des pouvoirs », écrivait-elle dans sa décision.

En Cour d’appel, toutefois, la décision rédigée par le juge Yves-Marie Morissette signalait que même s’il ne revient pas aux tribunaux de décider d’un mécanisme de règlement des différends, la jurisprudence a établi que le gouvernement doit en instaurer un lorsqu’il retire un droit de grève.

« La Cour d’appel a non seulement dit que la loi était inconstitutionnelle, mais que le gouvernement n’avait pas mis en place un mécanisme compensatoire de règlement de différends. Cette décision a quand même une certaine force », fait valoir Me Dion.

« La Cour d’appel dit que le gouvernement a failli à respecter la décision de la Cour suprême dans Saskatchewan (contre Saskatchewan Federation of Labour) qui dit que quand on enlève un droit de grève, il faut mettre un mécanisme compensatoire, ce que le gouvernement n’a pas fait en l’espèce », explique-t-il.

Négociations : six ans de retard

Ainsi, l’État et les juristes doivent maintenant trouver une voie de passage pour finalement régler la convention collective de 2015-2020 et déjà se pencher sur celle de 2020-2023.

Ces discussions étaient d’ailleurs en cours avant la décision du plus haut tribunal, a précisé Me Dion. « Me Lucien Bouchard, notre ancien premier ministre, a accepté de nous représenter pour discuter avec le gouvernement pour tenter de sortir de l’impasse et tenter de régler de façon négociée nos conditions de travail pour 2015-2020. On est effectivement en discussion avec le gouvernement et il y a du mouvement entre les parties. » Il signale au passage que la Coalition avenir Québec s’était opposée à la loi spéciale et avait promis un nouveau régime de négociation pour les juristes.

Outre ce fameux mécanisme, l’autre point central en litige qui avait mené au déclenchement de la grève était la recherche de la parité de rémunération avec les procureurs aux poursuites criminelles et pénales. « Il n’y a pas de raison qu’on soit traités de façon différente des procureurs de la Couronne parce que notre travail est tout aussi important », a martelé Me Dion.

Des acteurs cruciaux

« Nous sommes dans toutes les sphères d’activité de l’État, que ce soit en droit de l’environnement, la construction, les recours collectifs dans la santé. Tous les décrets de la pandémie qui sont contestés, c’est nous qui sommes là-dedans. La contestation de la loi 21, c’est nous qui représentons le gouvernement ; les contestations constitutionnelles devant la Cour suprême sur les attaques constitutionnelles que fait parfois le fédéral envers le provincial, c’est encore nous », illustre-t-il.

La grève de quatre mois des avocats et notaires du gouvernement avait eu pour effet de paralyser une grande partie du fonctionnement de l’État. Non seulement ces juristes plaident-ils toutes les causes impliquant le gouvernement devant les tribunaux administratifs, leur grève avait également stoppé la préparation de projets de loi et règlements, la préparation et l’analyse des innombrables contrats du gouvernement et ainsi de suite.