Une caméra dans la gorge de sa fille, des oiseaux qui veulent entrer dans sa tête, des entités maléfiques : une Montréalaise était en pleine psychose au moment de poignarder ses deux filles, dont l’une est morte, en avril 2020. Le strict confinement au début de la pandémie a joué un rôle majeur dans la détérioration de sa santé mentale, soutiennent les experts.

« Quand la COVID [est arrivée], elle s’est retrouvée chez elle pour faire des recherches. Ça a fait flamber tout ça », conclut le psychiatre Gilles Chamberland.

La mère de 35 ans est accusée d’avoir tué sa fille de 11 ans et d’avoir tenté de tuer son autre fille l’an dernier dans le quartier Villeray à Montréal. Son procès a été annulé cette semaine, puisque les avocats suggèrent maintenant de la faire déclarer non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux. Nous ne pouvons la nommer pour protéger l’identité des victimes.

Le récit de ce crime d’une horreur sans nom a été révélé pour la première fois vendredi au palais de justice de Montréal.

Le 25 avril 2020, l’accusée se trouve chez son ex-conjoint. Ils boivent une bière et discutent sur le balcon pendant que leurs filles s’amusent. L’accusée tient alors des propos qui font « peur » à son ex. Elle demande ensuite de refaire vie commune, mais celui-ci refuse. En pleurs, elle rentre dans l’appartement.

Monsieur entend l’une de ses filles hurler et se précipite dans le salon. Il découvre une scène inimaginable : ses filles gisent ensanglantées sur le divan. L’aînée mourra à l’hôpital, mais la plus jeune survit.

« [L’enfant de 5 ans] rapporte que sa mère s’est avancée sur sa sœur et elle en courant avec un couteau à la main et elle a d’abord poignardé sa sœur avant de lui donner deux coups de couteau au thorax », relate l’exposé des faits.

Pendant son interrogatoire policier, l’accusée déclare qu’elle n’en « pouvait plus des chicanes » avec son ex. Elle ajoute avoir voulu mettre fin à leurs souffrances pour « protéger ses enfants », a affirmé la procureure de la Couronne MJasmine Guillaume. « Elle l’a déclaré parce qu’elle était gelée comme une balle ! », a répliqué Me Véronique Robert, l’avocate de la défense.

Ces déclarations doivent cependant être relativisées, puisque l’accusée a tenté de « donner un sens logique » à son geste après coup, estime le DChamberland. L’accusée souffrait en effet d’un « trouble psychotique sévère » qui l’empêchait de distinguer le bien du mal, conclut la psychiatre Dre Marie-Frédérique Allard.

À ses yeux, le confinement imposé en avril 2020 a probablement été « l’accélérant à cette psychose », qui s’était installée depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois. « Madame avait ces pensées délirantes qui s’accentuaient. Elle avait plus de temps pour alimenter des éléments de son délire, elle n’était plus confrontée à la réalité quand on va travailler », explique Dre Allard. Ces « stresseurs » ont donc « précipité » la maladie de l’accusée, précise-t-elle.

« Madame était en psychose, c’est assez clair »

L’expert de la Couronne, le psychiatre Gilles Chamberland a confié avoir produit le « plus long » rapport de sa carrière, et l’un des « plus difficiles », en raison des « informations contradictoires » contenues dans le dossier. « Madame était en psychose, c’est assez clair », conclut-il. Or, « il y avait beaucoup de colère. Beaucoup, beaucoup, beaucoup contre son ex-conjoint », nuance le psychiatre.

Son diagnostic de « trouble du spectre de la schizophrénie » n’expliquait pas tout à fait le comportement de l’accusée, dont ses propos après le meurtre. C’est toutefois en décelant des « éléments de personnalité limite » chez l’accusée qu’il a conclu à la non-responsabilité criminelle. Il précise d’ailleurs qu’il est « presque impossible » de simuler cet état.

Il y a eu un « crescendo » dans la psychose de l’accusée, analyse le DChamberland. Au départ, celle-ci entretenait un « délire érotomane » à l’égard d’une personnalité connue. Elle était convaincue d’être en relation amoureuse avec cette personne et croyait lire des messages qui lui étaient spécifiquement destinés sur Instagram.

Son « délire » s’est poursuivi par des recherches sur les « Illuminati », l’achat de croix et des lectures ésotériques. « Un délire de persécution confus de plus en plus inquiétant », résume le psychiatre. Par exemple, quand sa fille a eu un mal de gorge, elle pensait que son ex-conjoint lui avait installé une caméra dans la gorge, illustre-t-il.

L’accusée se croyait alors de plus en plus en danger, menacée par son ex-conjoint et des « forces surnaturelles ». Son appartement avait d’ailleurs des portes pour les « entités », relate DChamberland. L’accusée pensait aussi que les oiseaux voulaient « rentrer dans [sa] tête » et que le soleil voulait la brûler, ajoute le psychiatre.

De plus, l’accusée a probablement fait des « centaines » de psychoses au cours de sa vie en prenant des quantités « impressionnantes » de drogue dure pendant sa jeunesse, selon DChamberland. Il est donc impératif qu’elle ne consomme plus jamais de drogue, en raison des risques de psychoses, tranche le psychiatre.

Si la juge Myriam Lachance déclare l’accusée non criminellement responsable, son sort sera entre les mains de la Commission d’examen des troubles mentaux. La cause se poursuit mercredi prochain.