Les enquêteurs de l’opération Centaure, stratégie provinciale de lutte contre la violence liée aux armes à feu annoncée il y a une semaine par la ministre de la Sécurité publique du Québec, Geneviève Guilbault, ont commencé à rendre visite aux acteurs du crime organisé au cours des derniers jours, dans le but de secouer le pommier, a appris La Presse.

Selon nos informations, les enquêteurs ont rencontré au moins une quinzaine de membres des Hells Angels des cinq sections de la province, dont des membres influents des sections de Montréal et South. Ils leur ont fait savoir qu’ils seraient constamment sur leur dos pour lutter contre la violence liée aux armes à feu et le trafic d’armes.

Jeudi, c’était au tour de certaines personnes influentes sur un territoire autochtone de recevoir la visite des enquêteurs, et dans les prochains jours, ce sont les membres d’autres organisations criminelles qui seront visés, nous dit-on.

« Pourquoi est-ce qu’on les rencontre ? Pour leur faire passer le message suivant : “On vous met déjà de la pression, mais on va vous en mettre encore plus. Ce n’est pas vrai qu’on va s’amuser à arrêter des jeunes de 15-16 ans. On veut couper les lignes de distribution et c’est ce qu’on va faire” », a expliqué une source policière à La Presse.

Les fournisseurs et les importateurs d’abord

Selon la police, les groupes criminels seraient les principaux fournisseurs des armes à feu illégales qui se retrouvent entre les mains de jeunes individus, liés aux gangs de rue ou non, qui sont impliqués dans les évènements de coups de feu dont le nombre ne cesse d’augmenter, en particulier à Montréal, depuis plus de deux ans.

Sans compter que les acteurs du crime organisé, motards ou mafieux, contrôlent la rue dans des secteurs de Montréal, en particulier dans l’Est et le Nord, où les évènements de coups de feu sont devenus quasi quotidiens.

Ces groupes criminels seraient également impliqués dans l’importation d’armes à feu illégales. Le mandat premier de l’opération Centaure est de s’attaquer aux importateurs, mais surtout aux fournisseurs, alors qu’un corps de police comme le SPVM, en plus de faire partie de la stratégie provinciale, s’attaque aussi aux armes à feu au niveau de la rue.

D’après nos renseignements, certains des motards rencontrés cette semaine n’ont pas apprécié la visite des policiers.

Certains motards visités nous ont dit que ce n’était pas leur problème. Mais oui, c’est leur problème. Ce sont eux qui contrôlent les réseaux et reçoivent une ristourne. Quand on va couper la ligne de distribution, la ristourne ne montera plus et ils ne feront plus d’argent.

Une source policière

À une certaine époque, des « vétérans » de gangs de rue ou des membres de groupes criminels avaient une certaine influence sur les individus plus jeunes et désorganisés, et pouvaient calmer les situations tendues, ce qui serait toutefois moins vrai aujourd’hui. Par ces visites à des membres importants du crime organisé, la police espère peut-être également que certaines personnes soient en mesure de calmer le jeu, en partie du moins.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, lors de la conférence de presse de vendredi dernier

La glace est brisée

Cette semaine, les enquêteurs de Centaure ont effectué leur première saisie depuis que la ministre Guilbault a annoncé l’injection de 90 millions de dollars d’argent frais, qui se traduira par l’embauche d’environ 80 policiers supplémentaires affectés exclusivement à la lutte contre la violence liée aux armes à feu.

Vers 23 h mercredi soir, les enquêteurs de l’Escouade régionale mixte (ERM) de l’Estrie ont arrêté un homme de 21 ans et une femme de 22 ans alors que ceux-ci se trouvaient dans une voiture à Farnham.

Les policiers ont perquisitionné dans la voiture et le domicile du couple et ont saisi une arme à feu, des munitions et plus de 1600 $.

Même si le couple est soupçonné d’être impliqué dans le trafic de stupéfiants, aucune drogue n’a été trouvée. Les deux suspects, qui auraient des liens avec des individus de Laval, ont été relâchés après qu’on leur a fait signer une promesse de comparaître au palais de justice de Granby.

L’opération Centaure est une stratégie provinciale à laquelle participent diverses escouades déjà existantes à la Sûreté du Québec, dont les ERM, l’Escouade nationale de répression du crime organisé (ENRCO), spécialisée dans les enquêtes visant les chefs des motards et du crime organisé, les Équipes intégrées de lutte au trafic d’armes à feu (EILTA), la Gendarmerie royale du Canada (GRC), le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), le Service de police de Laval (SPL), le Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL), 25 autres corps de police municipaux, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), les Services correctionnels du Québec et des organisations américaines, dont la Homeland Security.

Centaure est un acronyme qui signifie « Coordination de l’effort national contre le trafic d’armes unifié dans la répression et les enquêtes ».

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à denaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

270

Plus de 270 policiers de la SQ, de la GRC, du SPVM et de 25 autres corps de police participent à l’opération Centaure.

450

Plus de 450 armes à feu illégales ayant servi à des crimes ont été saisies depuis le début de l’année à Montréal.

Source : SPVM

« On ne deviendra pas le nouveau Toronto »

Alors que Montréal est aux prises avec une flambée de violence inédite, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a précisé les fonctions de sa nouvelle Équipe multisectorielle dédiée aux armes à feu (EMAF), axée sur la collecte de renseignements et la présence accrue des policiers dans tous les secteurs de la métropole. « On suit les tendances des grandes villes américaines. On est deux ans en retard avec ce que Toronto a vécu il y a quelques années. Mais je veux dire aux gens qu’on ne deviendra pas le nouveau Toronto », a indiqué le chef du service des enquêtes criminelles, David Bertrand, lors d’une séance d’information organisée pour les médias. Quand une arme à feu est impliquée par exemple dans une enquête sur les stupéfiants, les effectifs accordent la priorité à cette enquête, explique Francis Renaud, commandant de la Division du crime organisé au SPVM. Il constate que les médias sociaux contribuent à glorifier la culture des armes à feu et à envenimer les conflits entre gangs. Alors que les victimes collaborent peu avec les policiers, la collecte d’information devient plus ardue. Les policiers s’engagent toutefois à un travail de terrain conséquent.

Mayssa Ferah, La Presse