Près d’une centaine d’interprètes afghans ayant travaillé avec les Forces armées canadiennes ont entamé une grève de la faim mercredi à Ottawa, pour réclamer la venue au Canada de leurs familles élargies qui « sont en grave danger ».

« Ma famille a reçu une lettre de menaces des talibans », raconte Zamarai Nikzad, qui a travaillé comme interprète pour l’armée canadienne de 2010 à 2011. Il affirme que ses proches ont fui leur maison par crainte de représailles des talibans. « Mais pour combien de temps pourront-ils se cacher ? Ça ne pourra pas être pour toujours. Tout peut leur arriver. »

Venus de partout au pays, des interprètes sont arrivés dès mardi soir à Ottawa. La grève de la faim tenue devant le parlement durera jusqu’à ce qu’un responsable du ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté fasse des actions concrètes, soutient M. Nikzad. « Si nous n’avons pas de résultats aujourd’hui, nous reviendrons demain et le surlendemain », assure-t-il.

Ce dernier fait valoir qu’en travaillant avec l’armée canadienne, ses confrères et lui ont mis leur vie en danger. Ils craignent maintenant pour leur famille. « Le gouvernement doit agir le plus rapidement possible », réitère-t-il.

Alexander Cohen, attaché de presse de Marco Mendicino, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, affirme que les familles pouvaient utiliser le « processus ciblé et simplifié » créé pour les aider à venir au Canada. « Nous [les] encourageons à commencer le processus de demande dès maintenant, en envoyant un courriel à la boîte de réception pour s’identifier comme étant admissibles », a-t-il écrit à La Presse.

Pour tenter de faire venir sa famille élargie au pays, M. Nikzad indique avoir soumis des demandes au Ministère, qui sont restées sans résultat. La grève de la faim pour se faire entendre demeure « la seule option », soutient-il.

Le 31 août, date du retrait définitif des troupes américaines en Afghanistan, le Canada a annoncé qu’il allait accueillir 5000 réfugiés supplémentaires évacués par les États-Unis. Au début du mois d’août, le gouvernement fédéral avait annoncé son intention d’accueillir 20 000 Afghans fuyant le régime des talibans.

« La situation empire chaque jour »

Avec le changement de régime récent, M. Nikzad souligne l’importance d’agir rapidement. « Nous vivons au Canada depuis 10 ans et nous n’avons jamais demandé cela, précise-t-il. Mais la situation en Afghanistan est vraiment mauvaise maintenant. »

M. Nikzad est sceptique au sujet des talibans qui avaient affirmé avoir « pardonné à tous ceux qui ont combattu contre [eux] » lors d’une conférence de presse à Kaboul à la mi-août.

PHOTO BLAIR GABLE, REUTERS

« Nos proches ne méritent pas de mourir ou d’être torturés à cause de notre travail d'interprètes », peut-on lire sur cette pancarte.

« La menace semble bien réelle », soutient Theodore McLauchlin, professeur agrégé au département de science politique de l’Université de Montréal. « Les représailles ont été bien documentées pour ceux qui ont travaillé avec les Occidentaux », souligne-t-il.

Mohammad Sharif Sharaf, qui a travaillé comme fixeur pour le Globe and Mail, reste en contact étroit avec ses proches toujours sur le sol afghan. Ce qu’il entend de sa famille l’inquiète. « La situation empire chaque jour », souffle-t-il.

Arrivé au Canada depuis peu, M. Sharaf est en quarantaine. « Mais j’aimerais être avec [les interprètes], souligne-t-il. Nous avons besoin d’aide pour nos familles. »

Avec Janie Gosselin, La Presse