La flambée de violence par armes à feu à Montréal n’est pas qu’une impression. Plus de 360 balles ont déjà été tirées lors d’une centaine de fusillades cette année, en forte hausse depuis un an, révèle un nouveau rapport. « Ce n’est plus épisodique, c’est répétitif. C’est quasi quotidien pour l’île de Montréal », soutient un expert, alarmé par la multiplication des balles perdues.

Alors qu’il s’agissait auparavant d’une situation exceptionnelle, il est maintenant commun qu’une dizaine de coups de feu soient échangés en pleine rue par des gangs rivaux, devant des citoyens terrorisés, et au mépris des victimes collatérales. Ces fusillades « à haute intensité » sont monnaie courante à Montréal depuis deux ans, observe le sergent-détective Marc-André Dubé, un expert en armes à feu qui a témoigné mercredi aux observations sur la peine de Hensley Jean au palais de justice de Saint-Jérôme.

« On ne parle plus d’un attentat avec un homme retrouvé dans le coffre d’une auto dans un boisé. On parle de scènes où je ramasse 43 douilles d’armes à feu sur deux coins de rue. On fait un spectacle », illustre l’expert de l’Équipe nationale de soutien à l’application de la Loi sur les armes à feu (ENSALA), pilotée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

Depuis 2019, l’enquêteur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) remarque une « recrudescence » des évènements impliquant des armes à feu, mais « surtout une hausse marquée de leur intensité et de leur nature ». Ainsi, des meurtres et tentatives de meurtre font les manchettes ces derniers temps, alors qu’une guerre de gangs fait rage dans l’est de la ville.

Selon une compilation de l’expert déposée en cour, environ 400 douilles ont été trouvées sur les scènes de crime à Montréal dans 115 évènements, en 2020. Cette année, en date du 24 août, on comptait déjà 367 douilles retrouvées lors de 100 fusillades. Cela sans compter les douilles disparues. À ce rythme, plus de 550 balles pourraient donc être tirées d’ici la fin de l’année dans la métropole. « La majorité [des fusillades] survient dans une zone résidentielle ou à proximité [d’une telle zone] », soutient Marc-André Dubé.

« On trouve ça alarmant, le fait que la sécurité publique est remise en jeu parce que des coups de feu sont tirés dans des zones urbaines. C’est préoccupant pour la sécurité publique. Notre conclusion, c’est qu’il y a des victimes collatérales », analyse Marc-André Dubé. Ainsi, les tireurs ont « très peu » de considération pour les citoyens, ajoute-t-il.

Alors que certains projectiles peuvent voyager jusqu’à 1,5 km, des balles perdues se retrouvent régulièrement sur des immeubles résidentiels lors de fusillades dans des quartiers densément peuplés. « Des gens dans des appartements deviennent des victimes potentielles », maintient l’expert. Dans le quartier Saint-Léonard, le 24 août dernier, des projectiles ont carrément été retrouvés dans le mur du salon d’un résidant.

« Le monsieur était incrédule. Le placement du projectile, c’est exactement où il s’assoit tous les soirs pour regarder la télévision. C’est un monsieur d’une soixantaine d’années. Il songe à déménager », a raconté le sergent-détective.

Les victimes collatérales de cette flambée de violence sont de plus en plus nombreuses. La mort de Meriem Boundaoui, cette adolescente de 15 ans, atteinte pendant une fusillade à Saint-Léonard en février 2021 avait choqué le public. Mais d’autres évènements sont aussi survenus sans faire de bruit. Un ado de 13 ans a notamment été atteint par balle pendant le tournage d’un vidéoclip musical l’an dernier. Une femme de 18 ans a aussi été atteinte dans une foule au Vieux-Port de Montréal. Les policiers sont aussi visés par des tireurs, notamment près du CUSM il y a quelques jours. Tôt mercredi matin encore, deux jeunes hommes ont été blessés par balles dans un échange de coups de feu à la sortie d’un bar du secteur de Chomedey, à Laval.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Des policiers ont aussi été visés par des tireurs, notamment près du Centre universitaire de santé McGill il y a quelques jours.

L’expert observe aussi « la banalisation et la glorification de la possession d’une arme à feu » sur les réseaux sociaux. De nombreux membres de gangs de rue exhibent en ligne leur pistolet pour montrer leur force, comme Hensley Jean sur Instagram. Il y a tellement de signalements d’armes montrées sur les réseaux sociaux que son escouade ne répond plus à la demande, ajoute le policier. « Présentement, on pourrait utiliser deux fois plus de ressources », dit-il.

De plus, la pandémie n’a aucunement freiné le trafic d’armes à feu au Québec, bien au contraire. « Le flot d’armes à feu actuel, il semble continu. Il n’y a pas de pénurie », analyse Marc-André Dubé. En ce moment, à Montréal, une arme à feu peut se vendre « jusqu’à 5000 $ » sur le marché noir, indique l’expert.

Une nouvelle technologie qui permet de copier le populaire pistolet Glock à faible coût et sans numéro de série est un véritable fléau en Amérique du Nord. Il s’agit d’un pistolet semi-automatique fabriqué à partir d’un châssis « artisanal » de marque Polymer80. « Le but de cette fabrication, c’est d’avoir une arme qui ne sera pas dépistable et qui va devenir une arme à feu fantôme, un ghost gun », explique Marc-André Dubé.

Ces témoignages d’experts sur la prolifération des armes à feu à Montréal et le rôle des gangs de rue dans la récente flambée de violence s’inscrivent dans la preuve de la Couronne aux observations sur la peine de Hensley Jean. Ce Montréalais proche du puissant gang Zone 43 a été reconnu coupable par un jury d’une tentative de meurtre avec une arme à feu à Saint-Eustache en 2019. Il serait lié à un autre meurtre à Laval.

PHOTO TIRÉE D’INSTAGRAM

Hensley Jean

Dans les secteurs chauds de Montréal-Nord et de Rivière-des-Prairies, la « majorité » des fusillades sont d’ailleurs liées à une guerre entre deux gangs rivaux d’allégeance rouge, les Zone 43 de Montréal-Nord et les Profit Boyz de Rivière-des-Prairies, a expliqué mardi la sergente-détective Caroline Raza. Les membres de gangs se tirent désormais dessus pour des « banalités », même entre alliés, a-t-elle expliqué.

Les plaidoiries sur la peine auront lieu plus tard cet automne au palais de justice de Montréal devant la juge Hélène Di Salvo. Le procureur de la Couronne, MSteve Baribeau, réclame la prison à vie pour Hensley Jean.