L’attaque qui a fait trois morts à Rivière-des-Prairies lundi soir était la goutte de trop : le SPVM veut mettre fin dès maintenant à ces actes de violence qui inondent la ville depuis le début de l’été. La police promet d’avoir les gangs de rue à l’œil.

La police veut « prévenir la réplique »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Périmètre de sécurité mardi aux abords de l’immeuble du boulevard Perras, à Rivière-des-Prairies, vers lequel des coups de feu ont été tirés la veille

L’avertissement ne pouvait être plus clair : « Assez, c’est assez. À partir d’aujourd’hui, vous avez toutes les forces du SPVM sur le dos. Si j’ai une recommandation à vous faire, c’est de cesser immédiatement tous les actes de violence », a tonné David Shane, porte-parole du corps policier, à l’attention des groupes criminels derrière les fusillades survenues cet été dans la métropole.

« Il aurait pu y avoir des victimes collatérales », a poursuivi l’inspecteur d’un ton grave, offrant ses condoléances aux familles des personnes tuées lundi soir, à Rivière-des-Prairies, au cours de la fusillade.

Cet épisode sanglant s’inscrit dans la foulée des nombreux évènements survenus au cours de l’été [voir notre carte à l’onglet suivant].

Devant cette flambée de violence, la Sûreté du Québec (SQ) collaborera dorénavant avec le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) pour lutter contre le trafic d’armes à feu. Pour accentuer la pression sur les groupes criminels, des ressources spécialisées en enquête criminelle viendront prêter main-forte.

Un conflit qui s’exacerbe

Les cinq hommes visés lundi soir, des individus connus des policiers, se trouvaient à l’avant et à l’intérieur de l’appartement 2 au 9301, boulevard Perras, à Rivière-des-Prairies. L’immeuble avait déjà été visé par des tirs, le 5 juin dernier, sans faire de blessés. Selon de nombreuses sources policières, il s’agit du repaire des Profits Kollectaz, gang de rue d’allégeance rouge présent dans le nord-est de Montréal.

Trois personnes sont mortes et deux se sont retrouvées à l’hôpital dans un état stable. L’un des hommes tués était muni d’une arme à feu chargée. Il n’y a pas eu d’échange de coups de feu, mais une trentaine de projectiles ont été tirés.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Trou de balle visible dans une fenêtre de l’appartement
où s’est produit la fusillade, au passage de La Presse mardi soir

Devant l’appartement où s’est produit la fusillade, un trou de balle était visible dans la fenêtre avant du balcon, au passage de La Presse mardi soir, alors que le périmètre de sécurité installé par les policiers venait d’être levé, peu après 20 h.

Les policiers y étaient depuis la veille ; au total, le périmètre de sécurité est donc resté en place environ 24 heures.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Policiers près du lieu de la fusillade, mardi

« Nos enquêteurs avaient des expertises à faire sur place. Ils ont rencontré des témoins, récolté de l’information. Aujourd’hui, c’était surtout l’analyse de la scène avec l’identité judiciaire. Dans un cas d’homicide, c’est très, très minutieux. C’est la raison pour laquelle ça peut prendre autant de temps », a résumé en soirée l’agente Véronique Comtois, porte-parole du SPVM.

Dans le quartier, bien des résidants semblaient inquiets après la levée du périmètre de sécurité, mardi soir. « On espère que tout ça va s’arrêter, mais la réalité, c’est qu’on ne le sait pas », résume un résidant du quartier, sous le couvert de l’anonymat. De son balcon, il affirme que la fusillade et la violence dans le secteur l’incitent à aller s’installer ailleurs, tant pour sa sécurité que pour celle de ses proches. « On ne prendra pas de risques », poursuit-il en soupirant. « On ne sait pas ce qui peut arriver. C’est sûr que c’est assez préoccupant », ajoute un autre résidant.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

L’entrée du 9301, boulevard Perras, mardi

Parmi les trois défunts, on compte un membre des Profits Kollectaz et deux membres des Block Boys, groupe affilié à cette clique, ont confirmé à La Presse des sources policières. Selon une personne proche des Profits Kollectaz, le conflit s’est exacerbé au terme de multiples provocations sur les réseaux sociaux. Durant la pandémie, les gangs opposés n’avaient pas accès l’un à l’autre.

Craintes de répliques

La majorité des actes violents des derniers mois sont attribuables à des groupes criminels, selon David Shane. Il s’agit de conflits personnels ou de disputes territoriales liées au trafic de stupéfiants.

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L’inspecteur David Shane, porte-parole du SPVM,
en conférence de presse, mardi

De nombreux résidants des secteurs environnants craignent aussi de potentielles ripostes de cliques rivales. « Notre priorité, c’est de prévenir la réplique. Des effectifs supplémentaires feront des patrouilles ciblées dans les endroits que nous connaissons », explique l’inspecteur Shane.

En entrevue avec La Presse, le porte-parole a évoqué une banalisation des armes à feu. Ainsi, des luttes de territoire, des conflits personnels entre des chefs ou des tentatives de contrôle de gangs de rue par des groupes du crime organisé sont tous des facteurs pouvant faire augmenter le nombre de fusillades dans la métropole, explique Maria Mourani, criminologue et présidente de Mourani-Criminologie. « Tout ça fait en sorte qu’il y a des années [où] c’est très calme, et des années où c’est plus chaud », explique-t-elle.

Faire des choix

Pour lutter contre cette flambée de violence qui génère inquiétude et insécurité chez la population, le SPVM a mis en place une équipe vouée à la lutte contre le trafic d’armes (ELTA). Au lendemain des évènements de Rivière-des-Prairies, de nombreux résidants remettaient en question les efforts policiers mis en place et le peu d’arrestations. « Je vois des patrouilles, mais pas plus qu’avant », soutient Christina Grandpierre, jeune résidante du boulevard Perras depuis 19 ans.

Bien que les membres de groupes criminels soient connus des services policiers, « il y a une différence entre l’information, le renseignement et la preuve », justifie David Shane.

L’ELTA ne peut pas être partout. Aucun corps policier ne peut être à chaque coin de rue, tout le temps. Il faut faire des choix stratégiques.

David Shane, inspecteur du SPVM

La clé du succès, c’est la collaboration du public, dit-il. Conscient de la peur face à de possibles représailles, il invite tout de même la population à divulguer le plus d’informations possible sur de potentielles activités criminelles. « De grâce, on vous appelle à communiquer. Il n’y a pas d’information trop petite pour nous. Chaque arme qui va être enlevée sauve une vie. »

Plus de 350 armes à feu ont été saisies depuis la création de l’ELTA, en janvier. Ramener l’escouade Gangs de rue n’est pas sur la table, indique M. Shane. « Ce travail, on le fait de façon organique à même nos unités. »

Selon le professeur à l’École de criminologie de l’Université de Montréal Marc Ouimet, nous sommes témoins d’une « accessibilité grandissante [aux] armes de poing ». Le nombre d’armes saisies a grimpé de 23,8 %. Une tendance qui semble se poursuivre en 2021.

Un contrôle serré des armes à feu fait partie des solutions à instaurer afin que les fusillades diminuent à Montréal, selon la criminologue Maria Mourani.

Il y a un grand marché des armes. Personnellement, je trouve qu’on ne s’attaque pas assez à ce phénomène.

La criminologue Maria Mourani

La surveillance des frontières est aussi capitale, selon la spécialiste. « En même temps, 80 % des armes illégales viennent des États-Unis, affirme-t-elle. Il y a une différence entre nos lois et les leurs, qui font que les armes à feu sont très accessibles et qu’elles traversent facilement les frontières. »

En février, alors que l’ELTA voyait le jour, la présidente de l’Ordre professionnel des criminologues du Québec, Michèle Goyette, avait soutenu qu’il était « possible de réduire le besoin d’appartenance aux gangs de rue auprès des jeunes, à condition de fournir des activités où ils peuvent se réaliser, que ce soit dans le sport ou les activités parascolaires ».

Évènements troublants

Les importants déploiements policiers sont chose commune pour Christina Grandpierre. Mais les évènements de lundi soir étaient « particuliers ».

« Il y a toujours eu ces conflits. On ne s’en mêle pas, et c’est tout. Mais trois morts et deux blessés à l’intérieur… C’est un choc. Avant, les fusillades, c’était plus devant les commerces, pas les résidences », fait remarquer la résidante du boulevard Perras.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Caroline Bourgeois, mairesse de l’arrondissement
de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles, mardi

« Il n’y a rien qui me fait plus mal que d’entendre ces citoyens qui disent vouloir quitter leur quartier », a ajouté Caroline Bourgeois, mairesse de l’arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles et responsable de la sécurité publique à la Ville de Montréal.

Elle a souligné les efforts du SPVM, mais considère que la lutte contre la violence armée doit être une priorité nationale. « Montréal ne peut pas être seul au front là-dedans. »

Ils et elles ont dit

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

François Legault, premier ministre du Québec

Que des fusillades surviennent chez nous, c’est troublant et préoccupant. Mes condoléances aux proches des victimes. On va protéger les Montréalais et les Québécois.

François Legault, premier ministre du Québec

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Valérie Plante, mairesse de Montréal

Comme la population montréalaise, je suis choquée par la fusillade d’hier [lundi] à [Rivière-des-Prairies]. La violence armée doit cesser. La sécurité des Montréalais-es est une priorité inconditionnelle. Notre équipe est pleinement mobilisée et travaille avec le SPVM pour trouver les coupables.

Valérie Plante, mairesse de Montréal

PHOTO PATRICK DOYLE, ARCHIVES REUTERS

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

La fusillade d’hier [lundi] et l’augmentation de la violence par arme à feu à Montréal au cours des dernières semaines sont troublantes, et ça doit cesser. J’offre mes condoléances aux familles et aux amis des victimes. Mes pensées vous accompagnent pendant cette période difficile.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Marc Tanguay, porte-parole du Parti libéral du Québec en matière de justice

Mes condoléances aux proches des victimes. Nous devons tous lutter contre la criminalité et débarrasser nos quartiers de cette violence. Les citoyens ont le droit à la sécurité.

Marc Tanguay, porte-parole du Parti libéral du Québec en matière de justice

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Martin Ouellet, porte-parole du Parti québécois en matière de sécurité publique

Plusieurs morts et blessés causés par une fusillade à Montréal, encore. Il faut agir pour que cesse cette intolérable escalade de violence par arme à feu. Les citoyens et les familles ont droit à la sécurité. Sincères condoléances aux familles éprouvées.

Martin Ouellet, porte-parole du Parti québécois en matière de sécurité publique

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Denis Coderre, candidat à la mairie de Montréal

Montréal a besoin de quiétude. Montréal n’est pas sécuritaire présentement, et on a besoin d’envoyer des messages très clairs à la population.

Denis Coderre, candidat à la mairie de Montréal

Propos colligés par Coralie Laplante et Mayssa Ferrah, La Presse

Flambée de violence

Plus de 20 évènements impliquant des armes à feu. Deux homicides. Près d’une dizaine de tentatives de meurtre. En l’espace d’un mois, en juillet, le territoire du SPVM a connu une inédite flambée de violence. Alors que s’amorce le mois d’août, deux fusillades sont déjà survenues à Montréal, qui ont fait quatre blessés et trois morts.

1er juillet

Saint-Michel
25e Avenue
Des coups de feu ont été tirés par un suspect de 21 ans, ne faisant ni mort ni blessé.

2 juillet

Montréal-Nord
Rue Pierre
Vers 18 h 45, un homme de 29 ans a été visé par des coups de feu provenant d’un véhicule.

3 juillet

Sud-Ouest
Rue Canning
Un homme de 21 ans, Suman Mohammed Sayum, a été abattu alors qu’il se trouvait dans son véhicule.

5 juillet

Montréal-Nord
À l’angle de l’avenue de Paris et de la rue Monselet
Un homme de 43 ans, Ernst Exantus, a été abattu peu avant minuit. La victime était surveillée par les policiers dans quelques enquêtes majeures ces dernières années.

6 juillet

Saint-Michel
Parc Champdoré
Tentative de meurtre survenue pendant la nuit. Un homme de 18 ans a été blessé par balle.

7 juillet

Sud-Ouest
À l’angle du boulevard Newman et de la rue Viola-Desmond
Un homme d’âge inconnu a été blessé par balle près d’un immeuble résidentiel vers 15 h.

9 juillet

Côte-des-Neiges
Chemin de la Côte-des-Neiges
Deux hommes de 17 et 19 ans ont été blessés par balle au milieu de la nuit.

11 juillet

Ville-Marie
À l’angle des rues Atateken et Saint-Antoine Est
Échange de coups de feu entre deux groupes d’individus, sans faire de blessé.

11 juillet

Sud-Ouest
À l’angle des rues Quesnel et Canning
Projectile d’arme à feu tiré sur la fenêtre d’une résidence, aucun blessé.

11 juillet

Verdun
À l’angle des rues Gilberte-Dubé et Wellington
En plein jour, un coup de feu est tiré vers le véhicule d’un homme de 28 ans, qui n’a pas été blessé.

11 juillet

Saint-Laurent
À l’angle de la rue Robert-Choquette et du carré Pauline-Lighstone
Un homme de 27 ans a été blessé par balle vers 19 h alors qu’il se trouvait dans son véhicule.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Des coups de feu ont été tirés dans la nuit du 13 au 14 juillet rue Jolicœur, dans le quartier de Ville-Émard.

14 juillet

Sud-Ouest
Rue Jolicœur
Plusieurs tirs ont traversé la fenêtre d’un logement, sans faire de blessé.

16 juillet

Plateau Mont-Royal
Avenue Coloniale
Ni mort ni blessé malgré plusieurs tirs.

17 juillet

Montréal-Nord
À l’angle des rues Pascale et Rolland
Ni mort ni blessé.

18 juillet

Pointe-Claire
Stationnement du centre commercial Fairview
Une voiture criblée de balles après une altercation entre deux individus, qui ont quitté la scène avant l’arrivée des policiers.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

Le 22 juillet, un homme qui n’était pas visé par les tirs a été blessé par des éclats de verre lors d'une fusillade devant le Café Sorrento, à Saint-Léonard.

22 juillet

Saint-Léonard
Café Sorrento
Un homme qui n’était pas visé par les tirs a été blessé par des éclats de verre lors de cette fusillade possiblement liée au crime organisé.

24 juillet

Hochelaga
Avenue de Carignan
Un impact de projectile à travers la fenêtre d’un logement, aucun blessé.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Des enquêteurs du SPVM à l’angle des rues Dominion et Quesnel, dans le Sud-Ouest, le 26 juillet

25 juillet

Sud-Ouest
À l’angle des rues Dominion et Quesnel
Une femme de 22 ans est blessée par des éclats de verre à l’intérieur de son véhicule.

30 juillet

Ville-Marie
Près du Centre Bell
Un homme de 22 ans est atteint par balle après une altercation.

30 juillet

Saint-Michel
21e Avenue
Deux femmes ont trouvé la porte de leur domicile criblée de balles.

1er août

Saint-Léonard
Rue De Capri
Vers 20 h 45, un conflit aurait éclaté entre un groupe de personnes. Un homme de 18 ans a été blessé par balle.

2 août

Rivière-des-Prairies
Boulevard Perras
Une fusillade en fin de soirée fait trois morts et deux blessés, tous des hommes connus des policiers.

Avec Daniel Renaud, La Presse