Les différentes factions du crime organisé, comme les motards et la mafia notamment, n’ont jamais été aussi interreliées, unies et partenaires. Après avoir été déstabilisées au début de la pandémie, elles se sont adaptées et ont peut-être profité de celle-ci pour faire encore plus d’argent, infiltrer l’économie légale et retourner dans l’ombre.

Elles ont recours à des systèmes de communication cryptée de plus en plus perfectionnés et difficiles à déchiffrer. Elles recyclent les millions qu’elles font en revenus illégaux – et qui échappent aux gouvernements et à la société – en ayant recours à des technologies toujours plus poussées et à des virements outre-mer qui rendent les transactions pénibles à suivre.

Devant un tel constat, on ne peut faire autrement que de penser que les gouvernements s’adapteront et feront de la lutte contre le crime organisé une priorité, que le renforcement des lois est dans les cartons et que les corps de police s’unissent encore plus pour lutter plus efficacement contre ces groupes.

Mais ce n’est pas le cas.

Par exemple, il y a plus d’un an, les enquêteurs de la Division C (Québec) de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ont quitté l’Escouade nationale de répression du crime organisé (ENRCO) dirigée par la Sûreté du Québec, dont le mandat est de s’attaquer aux têtes dirigeantes du crime organisé au Québec.

La Presse a tenté de connaître les raisons de ce départ, en vain. Des besoins ailleurs, une vision et des façons de faire différentes ont été, entre autres, des raisons évoquées dans les coulisses.

Il n’y a aucune intention ici de montrer du doigt un responsable ou de déterminer qui a tort et qui a raison ; seulement de déplorer la situation.

Alors que mafieux et Hells Angels n’ont jamais autant travaillé main dans la main, cela ne semble pas être le cas des deux grands corps de police spécialisés dans la lutte à ces organisations criminelles.

« Je sais qu’il peut y avoir des considérations budgétaires, mais je ne peux pas croire que nous recommençons à travailler en silo », a confié à La Presse un policier récemment.

« C’est clair qu’aujourd’hui, il n’y a pas le même niveau d’échanges entre la GRC et la SQ qu’il y a quelques années. Aujourd’hui, les corps de police se respectent, mais ne se parlent pas », a renchéri un policier retraité qui croit aussi que les crises qui ont secoué la police en général ces dernières années ont pu avoir un impact sur le lien de confiance.

Des enquêtes majeures

En 2011, la Sûreté du Québec n’aurait probablement pas pu accuser Raynald Desjardins et ses complices pour le meurtre de l’aspirant parrain Salvatore Montagna sans l’aide des enquêteurs de la GRC qui ont intercepté toutes les communications des suspects que ceux-ci croyaient inviolables.

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Arrestation d’un suspect à Laval dans le cadre de l’enquête sur le meurtre de l’aspirant parrain Salvatore Montagna, en 2013

En 2015, la GRC a pris une part active à l’enquête Magot-Mastiff de la Sûreté du Québec contre les chefs du crime organisé montréalais et posé micros et caméras dans le bureau de l’ancien criminaliste Loris Cavaliere. La police a pu capter des conversations importantes qui ont encore un impact dans le milieu criminel aujourd’hui et accuser Stefano Sollecito et Leonardo Rizzuto, qui s’en sont toutefois tirés pour des raisons de privilèges avocats-clients.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Leonardo Rizzuto arrêté lors d’une opération commune de la GRC, de la SQ et de policiers municipaux en novembre 2015 dans le cadre de l’enquête Magot-Mastiff.

En 2006, les enquêteurs de l’Unité mixte d’enquête sur le crime organisé (UMECO) de la GRC ont effectué la plus grande opération antimafia de l’histoire du Canada, Colisée. Des enquêteurs du SPVM et de la SQ y ont aussi joué un rôle important.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Arrestation du parrain Nicolo Rizzuto en 2006 lors de l’opération Colisée

En 2010-2011, l’UMECO a poursuivi sur sa lancée en ciblant la relève de la mafia montréalaise dans le projet Clemenza qui aurait pu être encore plus retentissant que Colisée, mais dont les processus judiciaires ont fini en queue de poisson parce qu’il a fallu protéger des techniques d’enquête.

La GRC ne s’était pas trompée dans la relève visée. Des accusés de Clemenza compteraient aujourd’hui parmi les membres les plus influents de la mafia montréalaise.

Reprendre le flambeau

La sécurité nationale a été la priorité de la GRC ces dernières années et a mobilisé beaucoup de ses ressources. L’UMECO s’est vidée, touchée en même temps par de nombreux départs à la retraite de limiers aguerris. Mais ses rangs ont été regarnis depuis par des enquêteurs qui voudraient sûrement reprendre le flambeau tendu par leurs prédécesseurs pour en découdre avec la mafia.

Le crime organisé a évolué. On a réfléchi sur le mandat de la GRC dans certaines provinces, dont le Québec. La contribution de la GRC chez nous a toutefois été évacuée de la réflexion provoquée par le livre vert – même si des rencontres virtuelles entre des officiers de la GRC et des membres du comité ont eu lieu –, car elle relève du fédéral.

N’empêche. On peut imaginer la force de frappe d’une véritable collaboration – pas seulement sur le plan du renseignement – entre enquêteurs de la GRC, de la SQ, du SPVM et d’autres corps de police.

L’expertise reconnue et les ressources de la police fédérale sont incontournables et seraient plus nécessaires que jamais dans la lutte contre le crime organisé au Québec, qui n’est plus seulement montréalais ou québécois, mais qui a des ramifications dans le reste du Canada et partout dans le monde.

L’enquête majeure Collecteur, menée par la GRC contre un réseau de blanchiment d’argent du crime organisé en février 2019, en est un exemple. La police fédérale pourrait également jouer un rôle important dans une nouvelle unité mixte spécialisée en cybercriminalité et en crimes économiques suggérée par les auteurs du livre vert qui a, du moins pour le moment, été mis sur les tablettes par le gouvernement Legault.

Le Canada, maillon faible

Il semble aussi y avoir des problèmes de collaboration entre les corps de police à l’échelle nationale et internationale.

Un ex-policier a confié à La Presse que des corps de police de villes ou de provinces canadiennes ont développé des liens plus étroits avec le FBI et la DEA américains qu’avec les différentes divisions de la GRC ou les corps de police d’ailleurs au pays.

Un ancien officier responsable des projets d’enquête majeurs pour la GRC en Colombie-Britannique, Calvin Chrustie, a récemment déclaré au collègue Vincent Larouche que les corps de police des autres pays sont réticents à travailler avec les polices canadiennes en raison de notre système de justice et de la loi sur la divulgation de la preuve, « incompatibles avec la nature du crime organisé moderne », et qui constituent « une menace pour leurs dossiers », selon lui.

L’ex-policier a ajouté que nos corps de police étaient souvent vus ailleurs dans le monde comme un maillon faible et qu’ils étaient exclus, ou que leur rôle était limité, dans les opérations internationales, telle la spectaculaire opération internationale Bouclier de Troie contre les appareils de communications cryptées annoncée récemment.

« Nous sommes comme l’enfant qui ne sait pas patiner au sein de l’équipe de hockey », a imagé le policier retraité.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.