Un nouveau « consortium » de décideurs a émergé à la tête du crime organisé montréalais durant la pandémie, composé de Hells Angels et de mafieux influents ayant chacun sa spécialité. La police constate aussi que les différentes factions n’ont jamais autant travaillé main dans la main dans un seul et unique but : faire de l’argent. Daniel Renaud dresse le portrait du crime organisé au Québec.

Une nouvelle génération émerge

En novembre 2015, l’enquête Magot-Mastiff de la Sûreté du Québec (SQ) a révélé pour la première fois qu’une alliance motards-mafia-gang avait succédé au parrain de la mafia, Vito Rizzuto – mort deux ans plus tôt – à la tête du crime organisé montréalais.

Stefano Sollecito et Leonardo Rizzuto, fils cadet du parrain mort naturellement en décembre 2013, tous les deux du clan dominant des Siciliens, étaient alors considérés par la police comme les nouveaux chefs de la mafia et du crime organisé, appuyés par les Hells Angels Salvatore Cazzetta, Gilles Lambert et feu André Sauvageau, et le chef de gang Gregory Woolley.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Stefano Sollecito en 2018 au centre judiciaire Gouin, à Montréal

Aujourd’hui, six ans plus tard, ce sont les Hells Angels de la section de Montréal qui seraient les plus influents dans la mosaïque du crime organisé dans la métropole, a témoigné un policier du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), expert des motards, en cour récemment.

« Qui est le groupe criminel le plus puissant actuellement à Montréal ? a demandé MPhilippe Vallières-Roland, de la poursuite, à l’enquêteur Érick Monfette.

« Ce sont les Hells Angels. Principalement le chapitre de Montréal », a répondu le témoin.

« Est-ce que les Hells Angels ont toujours trôné en haut de la pyramide ? », a poursuivi le procureur.

« Ça n’a pas toujours été comme ça. Au fil des années, il y a eu un partage entre les différentes organisations criminelles. Je dirais que les Hells Angels sont à un niveau un peu supérieur à celui de la mafia sur l’échiquier criminel à Montréal », a ajouté l’enquêteur.

Le diable existe

Aujourd’hui, nos sources ne parlent plus d’une alliance tripartite, mais d’une direction Hells Angels-mafia.

Le troisième acteur de l’ancienne alliance de 2015, le gang, ne ferait actuellement plus partie de l’équation depuis que son chef, Gregory Woolley, a été condamné à une peine de huit ans pour gangstérisme dans la foulée du projet Magot-Mastiff et que l’écoute de cette importante enquête a été divulguée.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Gregory Woolley lors de son arrestation à son domicile de Saint-Hubert en novembre 2015

Selon nos renseignements, Stefano Sollecito et Leonardo Rizzuto, associés au clan des Siciliens, auraient également perdu de l’influence et même pris leurs distances.

Le cœur du crime organisé montréalais n’est plus le même. Des gens qui prenaient beaucoup de place avant, on les voit moins ou pas du tout. Ce qu’on voit, ce sont des Hells Angels de la section de Montréal qui prennent beaucoup de place.

L’inspecteur-chef Benoit Dubé, directeur des enquêtes criminelles à la Sûreté du Québec

Si certaines sources croient que le clan des Siciliens est encore le plus fort au sein de la mafia, elles s’entendent pour dire qu’il a perdu de la force. D’autres pensent qu’il n’est plus le plus puissant, mais qu’il est encore influent en raison de sa fortune et de noms de famille toujours respectés.

D’autres enfin croient que 2021 semble vouloir confirmer la lente éclipse du clan des Siciliens qui a dominé à Montréal durant plus de 30 ans et l’évanouissement tranquille de ces noms de familles mafieuses établies au profit de nouveaux.

« Il n’y a plus de clan sicilien à Montréal même si ses membres ont encore leurs vieux contacts et leur réseau international. Aujourd’hui, la mafia à Montréal, ce sont des individus qui travaillent ensemble, qui ont des occasions d’affaires et qui veulent faire de l’argent », nous a dit un policier sous le couvert de l’anonymat, car il n’est pas autorisé à parler aux médias.

« La mafia n’est plus prédominante, mais elle existe encore et elle veut qu’on pense qu’elle n’existe plus. Le meilleur coup que le diable a fait, c’est que l’on croie qu’il n’existe plus, disait le petit catéchisme », image ce policier.

Place à la nouvelle génération

Pendant que certains membres de la mafia verraient leur influence diminuer, d’autres, de la nouvelle génération, prendraient davantage de place auprès des Hells Angels les plus influents avec lesquels ils formeraient un « consortium ».

Les membres de ce consortium auraient chacun leur spécialité : importation de cocaïne, distribution de cocaïne, financement, blanchiment d’argent, paris sportifs, prêt usuraire, etc.

Nos sources nous renvoient à une fête tenue le 29 mai dernier dans un restaurant du quartier Rivière-des-Prairies pour avoir un aperçu de ce consortium composé, selon elles, des nouveaux hommes forts du crime organisé montréalais.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Martin Robert en 2018 lors de son mariage – fort couru – à Montréal

Dans une même pièce, lors de cette fête troublée par les membres de l’escouade Éclipse du SPVM, se trouvaient les Hells Angels les plus influents de la section de Montréal selon la police, Martin Robert et Stéphane Plouffe, assis à la même table que Francesco Del Balso, tandis que Marco Pizzi et Davide Barberio étaient attablés non loin.

« Le crime organisé est devenu un modèle d’affaires, une espèce de convention d’actionnaires. Ce sont des relations d’affaires, des partenariats occasionnels entre les différents groupes criminels organisés qui vont s’entraider afin d’arriver à un seul et unique but, faire de l’argent. Il n’y a pas de chef. Maintenant, on voit travailler ensemble les groupes criminels qui jadis travaillaient en silo », observe le nouveau commandant de la Division du crime organisé du SPVM, Francis Renaud.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Francis Renaud, commandant de la Division du crime organisé du SPVM

La rencontre au restaurant, on n’aurait jamais vu ça il y a dix ans. On aurait vu la mafia regarder les motards de haut. Maintenant, ils se regardent yeux dans les yeux, sur un pied d’égalité.

Francis Renaud, nouveau commandant de la Division du crime organisé au SPVM

M. Renaud ajoute que des groupes ou individus peuvent occasionnellement être plus importants que d’autres, en fonction des sphères d’activité ou des territoires.

« Maintenant que la pandémie est atténuée, on voit des associations comme on en a vu dans le projet Magot-Mastiff, des membres de la mafia et des Hells Angels qui sont très proches. On constate la domination de la section de Montréal en raison des acteurs qui en font partie. Si on regarde ce chapitre avec leurs prospects et on le compare avec les autres sections, c’est le club de hockey le plus fort », affirme de son côté l’inspecteur-chef Dubé, de la SQ.

Des rancunes révolues

Nos sources affirment que les tensions se sont apaisées au sein du crime organisé montréalais, surtout depuis les assassinats des deux frères Scoppa en 2019, mais que des règlements de comptes motivés par de vieilles rancunes sont toujours latents. Le meurtre récent du chef de gang Arsène Mompoint à Kanesatake entre vraisemblablement dans cette catégorie.

PHOTO LA PRESSE

Le mafieux Andrew Scoppa, à gauche, et le chef de gang Arsène Mompoint, à droite, lors d’une filature policière en 2016. Tous deux ont été assassinés ; le premier en 2019 à Pierrefonds, le second le 1er juillet dernier à Kanesatake.

Des inquiétudes étaient apparues à la suite de la libération de Raynald Desjardins à la mi-avril. Des individus ont été avisés que leur vie était en danger même si ces avertissements sont monnaie courante depuis des années.

Desjardins est toutefois retourné au pénitencier un mois plus tard pour avoir été vu en compagnie d’un homme qui aurait été son garde du corps et qui a des antécédents criminels.

Au moment de l’arrestation de Desjardins, son garde du corps aurait été en possession d’un document sur lequel étaient décrits plusieurs véhicules, mais nos sources disent qu’il ne s’agit pas nécessairement d’une liste d’ennemis.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Raynald Desjardins en 2011, à sa sortie du palais 
de justice de Joliette

D’après nos informations, les Hells Angels auraient été sollicités pour s’impliquer dans un règlement entre Raynald Desjardins et ses ennemis sans que l’on sache la suite.

« Les Siciliens sont avec les Hells Angels. Les Calabrais et les Siciliens sont en paix présentement. Il ne semble pas y avoir de guerre. Est-ce qu’il reste des conflits qui devront se régler ? Peut-être ? Mais il n’y a rien qui nous dit ça », explique l’inspecteur-chef Benoit Dubé.

« Martin Robert et les autres se fichent de ces rancunes de la vieille génération. Ils s’éloignent des gens au centre de ces conflits et ne veulent pas être impliqués. Il y a eu des rencontres entre des motards et des mafiosi influents et des messages ont été passés. Motards et mafia ne veulent pas de conflit et sont heureux que les ressources policières et l’attention médiatique soient dirigées ailleurs, vers les fusillades des gangs de rue. Ils veulent faire de l’argent », dit l’un de nos informateurs.

Les chefs du crime organisé montréalais ont compris que la violence attire les projecteurs de la police et que tout le monde doit avoir sa part pour que la paix demeure. Ils veulent que la stabilité actuelle demeure.

« N’oubliez pas ce que Vito Rizzuto disait : “Si tout le monde mange, on n’aura pas de problème” », a récemment rappelé à La Presse un policier bien au fait de la lutte contre le crime organisé.

La nébuleuse des groupes criminels

La structure du crime organisé n’est plus pyramidale mais cellulaire depuis déjà quelques années. En 2021, les Hells Angels, principalement ceux de la section de Montréal, sont au centre d’un partenariat avec les clans de la mafia et les autres groupes criminels de la métropole. Les individus les plus influents parmi ces groupes feraient partie, selon la police, d’un consortium de décideurs ou d’une espèce de conseil d’administration. Les clans ou individus s’entraident et s’échangent des services ou des contacts, mais n’ont pas toujours des liens aussi forts entre eux. Seuls les Hells Angels et les principaux clans actuels de la mafia montréalaise ont été dessinés sur ce plan pour faciliter la compréhension du lecteur.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Les décideurs

Martin Robert, 46 ans

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Martin Robert

En plus d’être membre de la section des Hells Angels de Montréal, Martin Robert est l’un des rares représentants mondiaux de l’organisation criminelle internationale. Il voyage beaucoup et a des contacts partout dans le monde.

Il a fait les manchettes lorsque sa conjointe, Annie Arbic, et lui se sont mariés devant plus de 200 invités dans une somptueuse salle de bal du centre-ville de Montréal en décembre 2018.

Selon la police, Robert a des liens avec plusieurs groupes criminels, y compris le crime organisé autochtone.

Robert a été condamné à neuf ans de pénitencier après avoir plaidé coupable à un chef réduit de complot pour meurtre dans la foulée de l’enquête antimotards SharQc.

Stéphane Plouffe, 52 ans

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Stéphane Plouffe

Stéphane Plouffe est un ex-membre des Death Riders, ancien club-école des Hells Angels, comme Martin Robert.

Il a été célébrant au mariage de Martin Robert.

Il a été condamné à plus de 11 ans de pénitencier après avoir plaidé coupable à un chef de complot pour meurtre à la suite de l’opération SharQc.

Il fait partie des Hells Angels qui poursuivent le gouvernement pour son incarcération après l’opération SharQc.

Marco Pizzi, 51 ans

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Marco Pizzi

Très présent dans le nord-est de Montréal, il est considéré par la police comme un acteur influent de la mafia montréalaise, un importateur et un distributeur de cocaïne.

En 2016, Pizzi a été arrêté et accusé de gangstérisme, importation, complot et trafic de cocaïne à l’issue de l’enquête Clemenza de la Gendarmerie royale du Canada, avant de bénéficier d’un arrêt du processus.

En 2014, il aurait été visé dans un attentat au cours duquel l’un de ses associés, Tonino Callocchia, a été tué.

Il a également été victime d’une spectaculaire tentative de meurtre dans l’est de Montréal en août 2016.

Davide Barberio, 41 ans

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Davide Barberio

Considéré comme le patron de la rue (streetboss) de la mafia montréalaise, il est proche de Marco Pizzi.

Il aurait pris de l’ampleur depuis les assassinats des frères Salvatore et Andrew Scoppa en 2019.

Barberio a été accusé de gangstérisme, trafic de stupéfiants, incendies criminels, enlèvement et possession d’armes dans le cadre du projet Clemenza, mais a lui aussi bénéficié d’un arrêt du processus.

En juillet 2020, les enquêteurs du SPVM ont arrêté des individus accusés d’extorsion et qui auraient agi pour le compte de Barberio. Le processus est toujours en cours.

En hausse

Erasmo Crivello, 41 ans

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Erasmo Crivello

Selon nos sources, Crivello aurait pris de l’importance ces derniers mois au sein du crime organisé montréalais.

Il a également été arrêté et accusé de gangstérisme, importation, complot et trafic de cocaïne à l’issue de l’enquête Clemenza et a obtenu un arrêt du processus.

Un document judiciaire révèle que, selon la preuve recueillie durant l’enquête Clemenza – qui n’a toutefois jamais été testée devant les tribunaux –, Crivello et Pizzi auraient fait des transferts de plus de 2,3 millions au Mexique et aux États-Unis pour des importations de cocaïne de Vittorio Mirarchi.

Le document révèle également qu’en mai 2011, Crivello a avisé un complice qu’ils ne devaient plus échanger par messages sur leurs téléphones BlackBerry mais plutôt utiliser la technologie PGP. « Mes avocats m’ont dit que les cochons peuvent intercepter les messages », avait-il écrit à l’autre individu.

Francesco Del Balso

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Francesco Del Balso

Condamné à 15 ans de pénitencier à la suite de son arrestation dans l’opération Colisée de la GRC, en 2006.

Tandis qu’il était en libération conditionnelle en 2017, un individu s’est présenté chez lui pour le tuer.

Alors que personne ne donnait cher de sa peau après sa libération, Del Balso a su gagner la confiance du Hells Angels Martin Robert.

Selon nos informations, il se serait notamment impliqué dans l’acquisition d’immeubles dans le nord-est de la métropole.

En baisse

Leonardo Rizzuto

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Leonardo Rizzuto

Considéré par la police comme l’un des chefs de la mafia en 2015, Leonardo Rizzuto aurait perdu de l’influence au sein du crime organisé montréalais ces dernières années, même si son nom de famille serait toujours respecté dans le milieu. Il est toutefois toujours associé par la police au clan des Siciliens.

Stefano Sollecito

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Stefano Sollecito

Celui qui était également étiqueté comme le chef de la mafia par la police en 2015 respirerait plus à l’aise depuis la mort d’Andrew Scoppa, soupçonné d’avoir orchestré l’assassinat de son père Rocco Sollecito en 2016.

Même s’il contrôlerait toujours certaines activités, notamment une partie du livre des paris sportifs, Stefano Sollecito aurait lui aussi perdu de l’influence ces dernières années.

En périphérie

Raynald Desjardins, 67 ans

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Raynald Desjardins

Ancien bras droit et homme de confiance du défunt parrain Vito Rizzuto.

Il s’est toutefois brouillé avec les Siciliens et aurait été impliqué avec d’autres clans, dont celui de Vittorio Mirarchi, dans un putsch contre les Rizzuto en 2010-2011.

Il a été la cible d’une spectaculaire tentative de meurtre à Laval en septembre 2011.

Condamné à 14 ans de pénitencier pour le meurtre de l’aspirant parrain Salvatore Montagna commis en novembre 2011, Desjardins a été libéré sous conditions en avril dernier, mais a été réincarcéré un mois plus tard.

Vittorio Mirarchi, 43 ans

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Vittorio Mirarchi

Le groupe de ce protégé de Raynald Desjardins était associé au caïd lors du conflit qui a secoué la mafia en 2010 et 2011.

Son clan, qui est notamment présent dans la Petite Italie, a la particularité d’être très soudé et discret. La police le soupçonne d’être impliqué dans l’importation de cocaïne, les paris sportifs et le prêt usuraire. Certains de ses associés ont fait l’acquisition d’entreprises, notamment dans le domaine du café, au cours des dernières années.

La GRC, qui a enquêté sur Mirarchi durant le projet Clemenza, évalue que le jeune chef de clan aurait importé ou comploté pour importer 1,4 tonne de cocaïne durant 11 mois vers 2010-2011, selon des documents judiciaires.

Condamné à neuf ans d’emprisonnement pour avoir comploté le meurtre de l’aspirant parrain Salvatore Montagna commis en 2011, Mirarchi a été libéré en décembre 2017.

Selon nos sources, il aurait fait la paix avec le clan des Siciliens après la mort du chef de clan Andrew Scoppa.

Pour joindre Daniel Renaud, composez-le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.