L’homme accusé d’avoir tenté de tuer le policier Sanjay Vig à Montréal le 28 janvier dernier a été retrouvé à Toronto jeudi, notamment grâce à des informations fournies par des enquêteurs de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), qui surveillaient certains des individus fréquentés par le suspect parce qu’ils les soupçonnaient d’adhérer à une mouvance extrémiste, dans le cadre d’une tout autre enquête, a appris La Presse.

Rien ne démontre toutefois à ce stade que les motifs de l’attaque contre le policier sont liés à cette mouvance ou que le suspect Ali Ngarukiye lui-même y adhère.

Selon des informations obtenues de plusieurs sources qui n’étaient pas autorisées à parler publiquement du dossier, l’Équipe intégrée de la sécurité nationale (EISN) pilotée par la GRC avait l’œil sur un groupe de suspects dans le cadre d’une enquête antiterroriste. Les agents affectés à la surveillance du groupe auraient remarqué qu’un homme qui frayait dans leur entourage avait quitté Montréal pour Toronto, tout de suite après l’agression du policier Sanjay Vig.

Ni le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ni la GRC n’ont voulu confirmer officiellement ce volet de l’affaire jeudi malgré les nombreuses questions de La Presse. Mais selon nos sources, l’information cruciale amassée dans le dossier antiterroriste s’est ajoutée à celles obtenues par les enquêteurs du SPVM chargés de l’enquête sur l’agression de Sanjay Vig. Ceux-ci ont passé au peigne fin une énorme quantité de données sur les téléphones qui s’étaient connectés aux tours de télécommunication dans le secteur où s’était produite l’agression. Ils ont fait des prélèvements d’ADN.

Son ADN obtenu à Toronto

Un autre volet de l’enquête concernait un véhicule Hyundai Elantra rouge qui avait été volé le 25 janvier et utilisé par le suspect trois jours plus tard lors de l’attaque, ainsi qu’un Honda CR-V noir qui avait lui aussi été volé le 25 janvier et avait ensuite été abandonné à Toronto. Des enquêteurs ont passé au peigne fin les dossiers récents de vols de voitures à Montréal à la recherche d’autres cas portant la signature caractéristique du suspect, qui semblait un voleur de véhicules expérimenté.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Le véhicule Hyundai Elantra rouge qui avait été volé le 25 janvier et utilisé par le suspect trois jours plus tard lors de l’attaque contre le policier Sanjay Vig

Toutes ces pistes ont mené les enquêteurs vers Ali Ngarukiye, 21 ans, ancien résidant d’Oshawa, en Ontario, qui avait passé un certain temps à Montréal au cours de la dernière année. L’homme a été pris en filature dans la région de Toronto, et c’est ainsi que son ADN a été obtenu. Une analyse menée par le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale est venue conforter les soupçons des policiers.

L’ADN du suspect a été trouvé sur la scène de crime et l’ADN de la victime a été trouvé sur des objets en possession du suspect.

David Shane, inspecteur du SPVM

Le mobile de l’attaque n’a pas encore été précisé. Le suspect avait reçu un constat d’infraction à Montréal l’an dernier alors qu’il circulait en voiture, mais il avait été remis par un agent de la Sûreté du Québec, selon les dossiers du palais de justice. Le suspect avait aussi été arrêté par le SPVM pour des vols de voitures l’été dernier, mais son procès n’avait toujours pas eu lieu. Selon la police, il a des antécédents de fraude en Ontario. Les enquêteurs croient qu’il a agi seul le soir de l’agression.

« On n’est pas encore en mesure de conclure sur le mobile, mais ce que je peux vous dire, c’est que le suspect n’a jamais reçu une contravention de la part de l’agent Vig », a dit l’inspecteur Shane.

Arrêté par le SWAT de Toronto

Ali Ngarukiye a été arrêté jeudi à Toronto par le SWAT de la police de la Ville Reine. Il doit comparaître au palais de justice de Montréal ce vendredi sous plusieurs chefs d’accusation, notamment tentative de meurtre, voies de fait graves, avoir désarmé un agent de la paix et avoir fait feu avec une arme à feu prohibée, ainsi que vol de deux voitures.

Des policiers de Montréal, dont certains sont accrédités comme agents de la paix en Ontario afin de pouvoir évoluer avec leur arme sur le terrain, se sont rendus sur place pour participer à l’opération jeudi. Des enquêteurs de l’EISN étaient aussi sur place.

Selon nos informations, l’arrestation a eu lieu tôt dans la journée, mais le SPVM a attendu avant de la rendre publique pour donner du temps aux agents qui menaient des perquisitions dans différents endroits fréquentés par M. Ngarukiye, notamment à Montréal.

Jeudi soir, l’arme de service du policier agressé n’avait toujours pas été retrouvée, mais les recherches se poursuivaient. Rappelons que le soir de l’agression, Sanjay Vig aurait été attaqué par-derrière alors qu’il revenait à son véhicule après avoir remis un constat d’infraction à un automobiliste. Le policier a été sévèrement battu à coups de bâton. Le suspect a ensuite pris son arme et a tiré dans sa direction sans l’atteindre.

Cette arrestation contribuera, nous l’espérons, au retour d’un sentiment de quiétude et de paix pour la victime, l’agent Vig, ainsi que pour la population montréalaise.

David Shane, inspecteur du SPVM

L'inspecteur Shane est aussi revenu sur le cafouillage des premières heures après l’agression, qui avait mené à une erreur sur la personne et à l’arrestation de Mamadi III Fara Camara, chargé de cours de Polytechnique qui n’avait rien à se reprocher et qui avait vu sa vie bouleversée.

« Nous avons également une pensée particulière pour M. Camara aujourd’hui, nous espérons que l’arrestation du véritable suspect dans cette affaire lui permette de clore un chapitre sur cet évènement aux conséquences importantes pour lui également », a déclaré l’inspecteur.

Jointe en soirée, l’avocate de M. Camara n’a pas souhaité faire de commentaires.

En conférence de presse, la mairesse Valérie Plante s’est réjouie de l’arrestation d'Ali Ngarukiye à Toronto. Elle a affirmé qu’elle était rassurée qu’un suspect soit derrière les barreaux après la sauvage agression, qui aurait pu être mortelle.

« Ça me faisait peur pour la population montréalaise. Donc je suis rassurée de savoir qu’il a été arrêté », a-t-elle dit. « Ça a été dur pour le corps policier. Les citoyens et les citoyennes veulent se sentir en sécurité et les policiers et les policières – qui font un travail exigeant, qui sont dans les quartiers – eux aussi veulent se sentir en sécurité pour faire leur travail. »

Avec la collaboration de Philippe Teisceira-Lessard et d'Alice Girard-Bossé, La Presse