(Ottawa) Deux criminologues soutiennent que plusieurs détenus fédéraux placés en isolement ne passent même pas quelques heures par jour hors de leurs cellules, ce qui pourrait s’apparenter à un traitement inhumain ou même à de la torture.

Le rapport est rédigé par les criminologues Jane Sprott, de l’Université Ryerson, et Anthony Doob, de l’Université de Toronto. En 2019, le gouvernement fédéral avait nommé M. Doob à un comité consultatif sur les « Unités d’intervention structurée », qui devaient remplacer l’isolement cellulaire dans ses prisons.

Dans leur rapport basé sur des données carcérales, les deux universitaires soutiennent que près de trois détenus sur dix placés dans des unités d’isolement n’ont pas eu droit, en tout ou en partie, à leurs quatre heures par jour à l’extérieur de leur cellule, comme le prévoient les règles fédérales.

Et un détenu sur 10 a été maintenu en isolement excessif pendant 16 jours ou plus, ce qui, selon le droit international et les décisions des tribunaux canadiens, constitue un traitement cruel, ajoutent les criminologues.

Leurs résultats suggèrent que le système carcéral fédéral est loin de respecter les lignes directrices que le gouvernement libéral a introduites pour ses « Unités d’intervention structurée ». Ces unités ont été conçues pour permettre un meilleur accès aux programmes et aux soins de santé mentale pour les détenus qui doivent être isolés parce qu’ils « ne peuvent être gérés en toute sécurité dans la population carcérale régulière ».

Les prisonniers transférés dans ces Unités d’intervention structurée sont censés être autorisés à sortir de leur cellule pendant quatre heures par jour, « dont deux heures d’interactions significatives avec les autres ». Certains détenus refusent cette opportunité.

Les deux criminologues estiment qu’il faudrait mieux surveiller la façon dont ces unités sont gérées, car les résultats de leur étude montrent qu’actuellement, le Canada pratique « la torture sans la nommer ».

Le Québec bon élève

Les criminologues recommandent dans leur rapport la création d’un organisme permanent pour assurer une surveillance systématique de ces unités. Ils suggèrent aussi l’élaboration de procédures et de délais stricts pour éviter que les détenus soient placés dans des conditions considérées comme cruelles ou inhumaines.

Le rapport est basé sur les données fournies par le Service correctionnel du Canada dans le cadre de son examen continu des pratiques dans ces Unités d’intervention structurée. Le rapport des criminologues conclut que parmi les cas qui tombaient dans la catégorie « torture », telle que définie par le droit international, environ 45 % des détenus avaient été isolés jusqu’à un mois et 30 % avaient été isolés près de deux mois ; 25 % sont restés dans les unités jusqu’à 380 jours.

Les chercheurs ont aussi observé de grandes variations régionales : le Québec avait la plus forte proportion de séjours considérés comme « isolement cellulaire », au sens du droit international, alors que les prisons de la région du Pacifique affichaient la plus forte proportion de séjours considérés comme de la « torture ». Le professeur Doob y voit une clé pour déterminer ce qui est possible et si les meilleures pratiques dans une institution peuvent être étendues à d’autres.

Le Service correctionnel a répondu dans un communiqué qu’il partageait ses meilleures pratiques pour aplanir les différences entre les régions. L’agence a également déclaré que des observateurs externes indépendants surveillaient les cas où les détenus sont dans les unités d’isolement et ne reçoivent pas le minimum d’heures pendant cinq jours consécutifs, ou pendant 15 jours sur 30.

Or, dans environ 80 % des cas examinés, le personnel correctionnel avait pris toutes les mesures raisonnables pour encourager un détenu à quitter l’isolement, a soutenu le Service correctionnel. L’agence promet enfin de tenir compte des conclusions du rapport des criminologues pour décider des changements qui pourraient être nécessaires dans ces nouvelles unités.