Un homme d’affaires multimillionnaire devra verser 2,4 millions à son ex-conjointe à la suite de leur séparation, même si le couple n’a jamais été marié, selon trois juges de la Cour d’appel, qui viennent ainsi confirmer la décision du tribunal de première instance.

La Cour d’appel accepte ainsi la demande de l’ex-conjointe de fait, qui affirmait que, si son ancien conjoint a réussi à faire fortune, c’est en partie grâce à son apport à la famille – ce qu’on appelle, en langage juridique, l’enrichissement injustifié.

Dans un premier jugement rendu en septembre 2018, le juge Robert Mongeon, de la Cour supérieure, avait ordonné au riche homme d’affaires de verser 2,4 millions à son ex-compagne pour reconnaître le fait que sa présence à la maison, auprès des enfants, pendant qu’ils vivaient en union libre, lui avait permis de se consacrer au projet d’entreprise qui l’a rendu millionnaire.

L’homme, que l’on ne peut nommer puisque le jugement découle d’un litige en matière familiale, contestait ce jugement devant la Cour d’appel.

Les couples mariés qui divorcent ont droit au partage du patrimoine familial, constitué des actifs accumulés pendant la vie commune, mais pas les conjoints de fait, selon la loi en vigueur au Québec.

« Père invisible »

C’est donc sur la base du concept d’enrichissement injustifié que le juge Mongeon avait accordé un montant à cette femme, parce qu’elle avait aussi contribué à sa façon à l’enrichissement du ménage. Quand un couple décide d’avoir des enfants, il démontre généralement un engagement, un projet commun, une « coentreprise familiale », qui s’accompagne d’attentes raisonnables de part et d’autre, explique le jugement.

L’homme d’affaires a lui-même admis avoir été un « père invisible » quand ses enfants étaient petits, alors que sa conjointe, compréhensive, assurait les deux rôles parentaux à la fois.

Le juge Mongeon soulignait dans son jugement que l’ex-conjoint avait commencé à planifier la séparation au moment où il s’enrichissait grâce à la vente de son entreprise, qui lui a rapporté 17 millions. Il avait alors l’intention de moins travailler, mais voulait que sa compagne conserve son emploi pour éviter qu’elle ne soit financièrement dépendante de lui.

« Ce n’est pas seulement une victoire financière pour ma cliente, c’est aussi une victoire de dignité, qui arrive huit ans plus tard », a souligné l’avocate Suzanne Pringle, qui représentait l’ex-conjointe dans ce litige.

L’avocat de l’ex-conjoint, Luc Arnault, a préféré ne pas commenter la décision.

Dans le jugement de la Cour d’appel, rendu le 27 novembre, le juge Stéphane Sansfaçon note que, dans la vaste majorité des cas semblables, « l’appauvri est celui qui a pris la charge des enfants alors que l’autre amassait la richesse ». Il estime donc que « l’approche a l’avantage d’éviter de dévaluer sa contribution et d’ainsi contribuer au phénomène de la féminisation de la pauvreté ».

Sa collègue de la Cour d’appel, la juge Manon Savard, souligne cependant que la théorie de « coentreprise familiale » ne s’applique « pas systématiquement à tous les conjoints de fait ayant mené à terme leur projet commun d’avoir des enfants ».

Meilleure protection pour les conjoints de fait

Dans sa décision, en première instance, le juge Mongeon critiquait aussi le gouvernement, qui n’agit pas pour « faire coller le droit à la réalité socioéconomique du XXIe siècle », selon lui.

« Sauf semble-t-il le législateur, tous s’accordent à dire qu’en 2018 les conjoints de fait ont droit à une meilleure protection et à une plus grande reconnaissance de leurs droits de la part du système judiciaire », a écrit le juge Mongeon.

Un rapport sur le droit de la famille, déposé en 2015, concluait que la venue d’un enfant, plutôt que le mariage, devrait créer des obligations entre conjoints en cas de séparation. Un conjoint ayant sacrifié une partie de son salaire pour consacrer plus de temps à la famille pourrait ainsi obtenir une compensation, qu’il ait été marié ou non, pour reconnaître la proportion grandissante des couples en union de fait. Mais ce rapport n’a toujours pas eu de suite.