Le 23 octobre 2017, deux jours avant l’arrestation de Guy Ouellette, la directrice des poursuites criminelles et pénales, MAnnick Murphy, aurait refusé d’autoriser un mandat visant à saisir le téléphone cellulaire d’un député, a appris La Presse. Le lendemain, Martin Prud’homme a appelé la patronne du DPCP pour se plaindre de salissage. Autopsie d’une affaire dans laquelle il est possible que le hasard n’ait pas bien fait les choses.

Avril 2017 

Les médias de Québecor publient des documents délicats d’une enquête de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) baptisée Mâchurer sur le financement du Parti libéral du Québec. On apprend notamment que l’ancien premier ministre Jean Charest et l’ex-argentier du PLQ, Marc Bibeau, sont visés par cette enquête.

4 mai 2017 

En pleine commission des institutions à l’Assemblée nationale, le commissaire de l’UPAC, Robert Lafrenière, déclare, au sujet de la personne qui a fait fuiter les documents, qu’il va coincer « le bandit qui a fait ça ».

Mai-juin 2017 

L’UPAC demande à la Sûreté du Québec d’enquêter sur les fuites à l’UPAC, mais la SQ refuse. L’UPAC déclenche donc sa propre enquête baptisée « Projet A ». L’une des cibles est le député Guy Ouellette. L’enquête est menée par une équipe réduite : quelques enquêteurs de l’UPAC et des enquêteurs de l’extérieur (SQ, SPVM et Service de police de la Ville de Québec) appuyés par une équipe de filature de l’Agence du revenu du Québec, parce que Guy Ouellette a beaucoup de contacts et que l’UPAC veut limiter les risques que l’enquête soit éventée.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le député Guy Ouellette

11 septembre 2017

Martin Prud’homme rencontre deux enquêteurs envoyés par l’UPAC. Ce sont des enquêteurs de la GRC qui lui sont dépêchés, pour réduire les risques que l’enquête soit éventée et dissiper les apparences de conflit d’intérêts. Durant la rencontre, Martin Prud’homme affirme notamment qu’il connaît Guy Ouellette depuis 25 ans et qu’il a des communications avec lui environ une fois par mois. Il veut savoir comment agir lorsque Guy Ouellette communiquera de nouveau avec lui et attend une réponse de l’UPAC. Durant une deuxième rencontre le 17 octobre 2017, Martin Prud’homme dit notamment aux enquêteurs qu’il n’a aucun lien avec l’UPAC, hormis ses liens familiaux avec Robert Lafrenière, et qu’il n’est pas au courant des enquêtes de l’unité.

23 octobre 2017

C’est ici que ça se corse. Selon nos informations, la directrice des poursuites criminelles et pénales, MAnnick Murphy, aurait refusé d’autoriser un mandat permettant aux enquêteurs du Projet A de saisir le téléphone cellulaire de Guy Ouellette, parce qu’il est député. Une procureure affectée à l’enquête Projet A aurait auparavant demandé que le nom de Martin Prud’homme soit ajouté à la liste des contacts examinés si le téléphone cellulaire de Guy Ouellette était saisi, mais cela ne se concrétise pas. Il semble qu’une certaine tension règne, depuis quelques jours, entre enquêteurs et procureurs du Projet A.

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Me Annick Murphy, directrice des poursuites criminelles et pénales

24 octobre 2017

Martin Prud’homme appelle MAnnick Murphy pour se plaindre du fait que des procureurs auraient entrepris contre lui une campagne de « salissage » en raison de ses liens avec Guy Ouellette et Robert Lafrenière. Selon nos informations, Martin Prud’homme aurait tout ignoré des tractations de la veille sur l’autorisation de mandats. La conversation n’est pas enregistrée, mais selon des sources, MMurphy aurait demandé son avis à un avocat après l’appel.

25 octobre 2017

Des enquêteurs du Projet A perquisitionnent chez Richard Despaties, un ancien enquêteur de l’UPAC congédié un an plus tôt, car celui-ci est soupçonné d’avoir participé aux fuites des documents de l’enquête Mâchurer. Une enquêteuse du Projet A saisit son téléphone cellulaire et se fait passer pour lui, en vertu d’un mandat autorisé par un juge six jours plus tôt. Elle échange des messages texte avec Guy Ouellette, alors que ce dernier est en commission parlementaire à Québec. Sous un prétexte toujours inconnu, le faux Richard Despaties donne rendez-vous à Guy Ouellette dans une station-service de Laurier-Station. Lorsque Guy Ouellette se présente sur les lieux du rendez-vous, il est aussitôt arrêté par les enquêteurs du Projet A.

28 septembre 2018

Le DPCP reconnaît la nullité des mandats obtenus contre Ouellette et ses complices allégués, après avoir reçu de nouvelles informations dont on ignore toujours la nature aujourd’hui. Des sources ont toutefois indiqué à La Presse que certaines informations pertinentes auraient été absentes des déclarations sous serment des enquêteurs au moment où un juge a autorisé les mandats. Entre autres, qu’à l’automne 2017, Guy Ouellette militait pour que l’UPAC soit soumise à un processus de reddition de comptes et s’opposait aux vues de Robert Lafrenière, durant des travaux parlementaires. Nos sources affirment que si ces informations et d’autres avaient été contenues dans les déclarations sous serment, un juge aurait pu ne pas les autoriser.

25 octobre 2018

Un an jour pour jour après l’arrestation de Guy Ouellette, le ministère de la Sécurité publique déclenche une enquête sur les fuites médiatiques survenues à l’UPAC depuis 2012 et sur la conduite de l’enquête Projet A, après avoir reçu une demande de MMurphy. Le Ministère confie l’affaire au Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), qui déclenche alors une enquête baptisée Serment.

6 mars 2019

Martin Prud’homme est provisoirement relevé de ses fonctions par la ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbaut en raison d’allégations criminelles. On ignore alors la teneur et le contexte des allégations. Même Martin Prud’homme a prétendu qu’il ne le savait pas à ce moment.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault

2 mars 2020

Un an presque jour pour jour après sa suspension, Martin Prud’homme est blanchi des allégations criminelles. Mais puisque son poste relève du Secrétariat aux emplois supérieurs du gouvernement, Québec, dans une démarche inhabituelle, demande à un comité de trois experts d’effectuer une enquête éthique et déontologique sur les actes reprochés au directeur de la SQ.

2 avril 2020

La Presse révèle que c’est MAnnick Murphy qui a porté plainte contre Martin Prud’homme relativement à une conversation téléphonique qu’elle a eue avec le directeur de la SQ à une date encore inconnue. On ignore toujours la teneur de cette conversation et la nature des allégations.

16 octobre 2020

La ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault annonce que le comité du Secrétariat aux emplois supérieurs recommande la destitution de Martin Prud’homme. Ce dernier devance le coup et accorde une entrevue à La Presse dans laquelle il nie tout geste grave et dit être victime d’« une vaste partie de pêche » visant à l’associer aux fuites médiatiques sur la simple présomption de ses liens d’amitié avec Guy Ouellette et de ses liens familiaux avec Robert Lafrenière.

Il dévoile alors la date de la fameuse conversation litigieuse avec MMurphy : le 24 octobre 2017, 16 mois avant que la directrice du DPCP porte plainte. Tout porte à croire que celle-ci a cru que Martin Prud’homme était au courant des discussions de la veille sur les mandats du Projet A et qu’il a voulu entraver l’enquête. Lui dit que son coup de fil était lié à une campagne de « salissage » dont il aurait fait les frais.

La ministre Guilbault invite Martin Prud’homme à rendre public le rapport recommandant sa destitution et dont il possède une copie partiellement caviardée, mais le directeur de la SQ refuse, car il l’estime incomplet et erroné, selon son entourage. La ministre annonce que la Commission de la fonction publique mènera à son tour une enquête éthique sur les actes reprochés à M. Prud’homme.

Certaines de nos informations ont été confirmées par des gens de l’entourage de Martin Prud’homme. MAnnick Murphy a refusé de les commenter « en raison du processus déontologique toujours en cours ». On ignore aussi pourquoi 16 mois se sont écoulés entre l’appel et la plainte de MMurphy.

L’enquête Serment sur les fuites à l’UPAC et la conduite du Projet A se poursuit.

Si la commission de la fonction publique recommande une nouvelle fois la destitution de Martin Prud’homme, celui-ci devra faire face à un vote et obtenir l’appui des deux tiers au moins des députés de l’Assemblée nationale.

C’est Johanne Beausoleil qui assure l’intérim à la tête de la SQ.