L’observatrice civile indépendante déplore le « racisme systémique » vis-à-vis des autochtones et le manque de transparence du BEI

(Québec) Près de 200 dossiers d’enquête criminelle concernant des allégations formulées par une personne autochtone à l’encontre d’un policier ont été ouverts au Québec depuis les évènements troublants de Val-d’Or en 2015, dévoile l’observatrice civile indépendante, MFannie Lafontaine, qui écorche au passage le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) pour son « opacité ».

« La façon de mener les enquêtes sur des policiers doit changer quand des victimes autochtones sont impliquées », conclut MLafontaine dans un rapport costaud de 265 pages sur son évaluation de l’intégrité et de l’impartialité lors d’enquêtes du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) impliquant autochtones et policiers.

MLafontaine affirme sans ambages que les commissions d’enquête récentes ainsi que les cas relatés, notamment lors de la première phase des travaux (après Val-d’Or), « ont mis en lumière des pratiques policières discriminatoires et permettaient de déceler l’existence du racisme systémique au sein des forces policières ».

« Pour moi, c’était le constat de départ », souligne-t-elle en entrevue à La Presse. « Je l’écrivais en 2016 dans mon premier rapport. Je veux dire : le SPVM le dit, la GRC le dit. Il y a eu [le rapport] Viens ensuite. Mes travaux, c’est justement d’identifier des solutions pour renverser [le racisme systémique] », explique-t-elle.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

MFannie Lafontaine, observatrice civile indépendante

Elle avance 25 propositions formulées pour « contribuer à la décolonisation des institutions en charge des enquêtes sur la police et au développement d’une offre de service fondée sur la sécurisation culturelle » des communautés autochtones.

L’Assemblée des Premières Nations du Québec-Labrador a salué « la qualité exceptionnelle du rapport » de MLafontaine et exhorte le gouvernement Legault à mettre en œuvre ses propositions « concrètes et urgentes » pour « rétablir la confiance entre les services policiers et les Premières Nations ».

Le cabinet de la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a dit dans une déclaration « prendre acte » du rapport de MLafontaine et assuré qu’il allait « alimenter la réflexion » des corps policiers, notamment du BEI, et celle du Comité consultatif sur la réalité policière. « Il est clair qu’on peut améliorer certains aspects du travail des policiers », souligne-t-on.

Le nouveau ministre responsable des affaires autochtones, l’ex-policier du SPVM Ian Lafrenière, n’avait pas encore réagi au rapport, jeudi en soirée.

Dans son rapport marquant la phase 2 de ses travaux, MLafontaine produit une analyse détaillée des enquêtes menées par le SPVM à la suite de 61 dossiers de plaintes déposées par des autochtones à l’encontre de divers corps de police. Ces dénonciations ont été faites entre le 6 avril 2016 et le 17 septembre 2018. Quatre dossiers ont mené à des accusations au criminel et deux autres à des ordonnances du tribunal.

La phase 1 avait porté sur les enquêtes liées aux allégations de femmes autochtones de Val-d’Or concernant des abus de la part de policiers de la Sûreté du Québec. MLafontaine a été nommée par le gouvernement Couillard pour superviser l’enquête du SPVM. À l’époque, 38 plaintes avaient été analysées par les autorités policières.

Aucune plainte visant directement les évènements de Val-d’Or ne s’est traduite par le dépôt d’accusations au criminel. Des accusations avaient été portées seulement dans deux dossiers d’agressions sexuelles survenues dans les années 1980 à Schefferville.

Plaintes d’infractions criminelles commises par des policiers à l’endroit d’autochtones

PHASE 1 – 23 octobre 2015 au 4 avril 2016 : 38 plaintes

PHASE 2 – 6 avril 2016 au 17 septembre 2018 : 61 plaintes

Dossiers ouverts au BEI : 100 dossiers, enquêtes indépendantes non comprises

Total : « Près de 200 » dossiers ouverts de 2015 à juillet 2020

LE BEI EST TROP « OPAQUE »

C’est le Bureau des enquêtes indépendantes qui a pris le relais au SPVM, en octobre 2016, dans la foulée d’allégations relatives à une infraction à caractère sexuel commise par un policier. Si MLafontaine estime que les enquêtes policières ont été menées de façon intègre et impartiale, elle réclame des « changements majeurs » au BEI.

« Tout le travail à bâtir la confiance des autochtones envers les enquêtes sur la police sera vain si des changements majeurs ne sont pas apportés immédiatement dans le processus qui est désormais en place et qui a été confié au BEI », souligne-t-elle.

Le BEI est marqué par une opacité et un manque de représentativité inacceptable

Me Fannie Lafontaine

« C’est bien que le BEI soit là pour » enquêter sur la police. « Sa création donne confiance », résume-t-elle au bout du fil. « Mais le public n’a plus de façon de voir, il n’y aura plus de rapport comme le mien. On doit tirer des leçons de ces cinq dernières années de travaux. Il y a encore du travail à faire », ajoute la professeure.

Elle souligne que le déclenchement d’une enquête criminelle par le BEI ne fait l’objet d’aucun communiqué détaillé alors que c’est le cas lors d’enquête indépendante (déployée lorsqu’il y a mort d’homme ou un blessé grave lors d’une opération policière).

« Il m’apparaît d’une importance cruciale que des changements visant à accroître la transparence du BEI soient apportés rapidement afin d’améliorer les perceptions négatives quant à son objectivité », note-t-elle.

MLafontaine estime que des changements sont « nécessaires » au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) pour assurer une meilleure communication aux victimes lors des procédures. Elle estime que le délai moyen de l’analyse des dossiers lors de la phase 2 par le DPCP est de 300 jours.