Québec prévoit annoncer ce vendredi qu’un comité d’experts conclut que le directeur de la Sûreté du Québec, Martin Prud’homme, relevé provisoirement de ses fonctions depuis mars 2019, a commis une faute déontologique suffisamment grave pour être destitué.

Le principal intéressé n’a pas attendu l’annonce pour nier toute faute grave et reprocher au gouvernement de ne lui avoir donné aucune chance de s’expliquer.

« On a voulu acheter mon silence, arrêter le processus actuel en échange de ma retraite », a-t-il soutenu en entrevue à La Presse, tard jeudi soir. « L’après-midi encore, on discutait de ma retraite possible et en soirée, sans être averti, j’ai su qu’un rapport sur ma destitution allait être déposé vendredi. Je suis extrêmement déçu du gouvernement alors que l’on doit plus que jamais avoir confiance envers nos institutions. »

Martin Prud’homme a confirmé avoir été relevé de ses fonctions à la suite d’une plainte déposée par la directrice des poursuites criminelles et pénales, MAnnick Murphy, au sujet d’une conversation téléphonique qu’il avait eue avec elle. Il raconte l’avoir appelée parce que des procureurs « s’amusaient à faire du salissage » sur ses relations avec Guy Ouellette et son beau-père, Robert Lafrenière, alors commissaire de l’Unité permanente anticorruption (UPAC).

PHOTO SYLVAIN MAYER, ARCHIVES LA PRESSE

MAnnick Murphy, directrice des poursuites criminelles et pénales

« Je n’ai jamais été impoli avec MMurphy, le ton n’a jamais monté », s’est-il défendu.

Martin Prud’homme affirme que cette conversation a eu lieu le 23 octobre 2017, et que ce n’est que 16 mois plus tard, le 6 mars 2019, que MMurphy a porté plainte.

Le matin même de la plainte, le 6 mars, j’ai été allégué et relevé de mes fonctions. Les éléments de la plainte auraient d’abord dû être corroborés, ce qui n’a pas été fait.

Martin Prud’homme

Les allégations criminelles ont été formulées par les enquêteurs du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) affectés au projet Serment, qui porte sur les fuites à l’UPAC et sur la façon dont l’UPAC a dirigé l’enquête qui a mené à l’arrestation de Guy Ouellette en octobre 2017.

MMurphy s’est donc retrouvée plaignante dans une enquête qu’elle a elle-même demandée.

Martin Prud’homme se demande pourquoi il a fallu 16 mois pour que la directrice du DPCP porte plainte.

Il ne comprend pas pourquoi le gouvernement considère aujourd’hui qu’il a commis une faute grave alors qu’après le fameux appel du 23 octobre 2017, il était toujours l’administrateur provisoire et l’homme de la situation pour redresser la barre au SPVM, et qu’il était encore la bonne personne pour revenir à la tête de la SQ en décembre 2018.

Un monologue de quatre heures

Après deux ou trois mois d’enquête, les enquêteurs du BEI ont déposé en mai 2019 leur rapport à un procureur qui a décidé de ne pas porter d’accusation contre Martin Prud’homme – qui dit n’avoir jamais été rencontré par les enquêteurs.

Puisque le poste de directeur de la Sûreté du Québec relève du Secrétariat aux emplois supérieurs du gouvernement et qu’il est soumis au Règlement sur l’éthique et la déontologie des administrateurs publics, une enquête administrative a été ouverte en mars dernier.

On m’a demandé de me présenter devant un comité. J’y suis allé alors que je n’étais pas obligé. J’ai fait un monologue durant quatre heures sans qu’on me pose une seule question. J’ai demandé à plusieurs reprises de faire témoigner deux témoins, mais ils ont refusé.

Martin Prud’homme

C’est le dépôt du rapport de ce comité que Québec doit annoncer ce vendredi. La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, s’en remettra à la Commission de la fonction publique qui fera enquête à son tour et émettra une recommandation qui pourrait de nouveau être la destitution.

La Loi sur la police prévoit que le directeur de la SQ ne peut être destitué que par l’Assemblée nationale, sur motion du premier ministre, avec l’approbation des deux tiers des membres, après que le ministre de la Sécurité publique a reçu un rapport écrit de la Commission de la fonction publique.

Martin Prud’homme ne sait pas s’il a envie de prendre part à ce troisième processus d’enquête.

Une poursuite à venir ?

Des rumeurs le renvoyaient à la tête du SPVM un jour, mais il croit que sa carrière de policier est terminée. « Pour moi, c’est une destruction complète de ma carrière actuelle et future », dit-il.

Il n’exclut pas de poursuivre le gouvernement. « Pour le moment, je n’ai pas pris de décision », conclut-il.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Geneviève Guilbault, ministre de la Sécurité publique, et Johanne Beausoleil, chef intérimaire de la Sûreté du Québec

Depuis que Martin Prud’homme a été relevé de ses fonctions, Johanne Beausoleil l’a remplacé à la tête de la Sûreté du Québec de façon intérimaire. Des sources indiquent toutefois qu’elle serait nommée officiellement et que son mandat serait prolongé.

Déclenchée il y a maintenant deux ans, presque jour pour jour, l’enquête Serment du BEI sur les fuites médiatiques à l’UPAC et sur l’enquête Projet A – qui a mené à l’arrestation du député Guy Ouellette – se poursuit toujours.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.