Deux officiers de l’Unité permanente anticorruption visés par l’enquête sur les fuites à l’UPAC demandent à ce que celle-ci, qui est menée depuis deux ans par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), soit transférée au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) « parce que l’équipe de l’enquête Serment, telle qu’actuellement constituée, n’a plus la compétence et la légitimité » pour la poursuivre.

« Que le BEI continue à faire progresser l’enquête Serment malgré toutes ses violations à la loi et à ses manquements déontologiques, jette un discrédit irréparable sur l’administration de la justice en général en plus de mettre en péril la protection des droits fondamentaux des requérants en particulier », peut-on lire dans une requête de 65 pages présentée par André Boulanger, ex-patron des enquêtes à l’UPAC, et la lieutenante, Caroline Grenier-Lafontaine, que La Presse a obtenue.

M. Boulanger et Mme Grenier-Lafontaine ont été directement impliqués dans l’enquête Projet A de l’UPAC visant à découvrir les auteurs de la fuite de documents sensibles de l’enquête Mâchurer sur le financement du Parti libéral du Québec.

C’est durant cette enquête que le député Guy Ouellette a été arrêté puis relâché sans jamais avoir été accusé. Même les mandats le visant ont été abandonnés.

Après que la directrice du DPCP, MAnnick Murphy, eut demandé au BEI d’enquêter sur les fuites à l’UPAC et sur la façon dont le Projet A a été mené, Boulanger et Grenier-Lafontaine ont fait l’objet d’allégations de nature criminelle dans la foulée de l’enquête baptisée Serment et ont été suspendus.

Ils sont en congés de maladie depuis.

Jamais interrogés

Les deux policiers, qui forment un couple dans la vie, affirment n’avoir jamais été interrogés par les enquêteurs du BEI malgré le fait qu’ils aient fait plusieurs demandes en ce sens.

Devant l’absence de réponse de la part du BEI, ils ont envoyé des déclarations de 200 pages aux enquêteurs de l’enquête Serment entre le 28 août et le 30 septembre 2019.

Le 23 août 2019, André Boulanger a envoyé une mise en demeure aux enquêteurs du BEI.

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André Boulanger, l’ex-patron des enquêtes à l’UPAC

Six jours plus tard, ceux-ci l’ont rencontré dans leurs bureaux et ont saisi sur lui un objet dont la description a été caviardée dans la requête, mais dont on peut penser qu’il s’agit d’un appareil électronique ou de communication.

Cette saisie, qualifiée d’illégale et abusive par le policier Boulanger, a fait l’objet de requêtes en Cour supérieure (de type Lavallée) visant à protéger le privilège de la relation client-avocat.

Or, les deux policiers affirment que les procédures ont démontré que les garanties entourant le processus d’exécution du mandat n’ont pas été respectées, ni les modalités de la protection du privilège avocat-client, et qu’il y a eu atteinte à leur vie privée.

Ils demandent donc à la Cour supérieure de déclarer nuls les mandats lancés contre eux et d’exclure la preuve obtenue en vertu de ceux-ci.

Ils veulent que la preuve non contaminée de Serment soit transférée au DPCP qui, selon leurs demandes, devra rendre une décision dans les 30 jours.

Les deux policiers ont déposé trois plaintes contre les enquêteurs du projet Serment au Commissaire à la déontologie policière qui les a accueillies et dit qu’il enquêtera une fois l’enquête Serment terminée.

« Dans les circonstances actuelles, il est impossible pour le BEI de reculer les aiguilles d’une montre et prétendre que l’enquête peut continuer », écrivent les avocats des deux policiers, MDominique Bertrand et MGuy Bertrand.

Délais prolongés inutilement

Vendredi dernier, l’ancienne vice-première ministre Nathalie Normandeau, le vice-président de la firme Roche Marc-Yvan Côté et d’autres individus, qui étaient notamment accusés d’abus de confiance et de fraude, ont bénéficié d’un arrêt de processus judiciaire en vertu de l’arrêt Jordan sur les délais judiciaires.

La divulgation d’une partie de la preuve accumulée durant l’enquête Serment rendue nécessaire dans la cause de Mme Normandeau et de ses coaccusés explique certains délais soulignés par le juge André Perreault de la Cour du Québec dans son jugement étoffé de plus de 80 pages.

André Boulanger et Caroline Grenier-Lafontaine affirment que les délais auraient été moindres s’ils avaient été interrogés par les enquêteurs du BEI.

« Au-delà des violations propres aux droits fondamentaux des requérants, il est important de mentionner que l’enquête Serment a également des impacts considérables sur des procès actuellement en cours. Les requérants allèguent ici que tous les délais qui ont actuellement lieu dans les procès en cours sont prolongés inutilement du fait que le BEI refuse de les entendre », font valoir leurs avocats.

Les deux policiers se questionnent également sur la durée de l’enquête Serment qui implique 14 enquêteurs.

« Les requérants soutiennent que les membres du BEI ne respectent ni les enseignements des tribunaux, ni les principes de justice fondamentale inhérents au travail policier, ni les règles de l’art en matière d’enquête criminelle, en plus de faire preuve d’une très grande négligence et d’insouciance dans la gestion de l’enquête Serment », écrivent encore leurs avocats.

Les deux policiers, qui disent avoir beaucoup souffert depuis leur suspension, déplorent avoir fait l’objet de 258 articles ou reportages. Il a notamment été dit sur Mme Grenier-Lafontaine qu’elle aurait faussement orienté l’enquête Projet A, et M. Boulanger a été décrit comme un délateur.

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Le député libéral Guy Ouellette a été arrêté dans le cadre de l’enquête Projet A, de l’UPAC, puis a été relâché sans jamais avoir été accusé.

« Le coulage illégal de renseignements appartenant à l’UPAC depuis avril 2017, l’attitude et les attaques malhonnêtes des médias à la suite de l’arrestation du député Guy Ouellette, en plus de la non-révélation de la preuve concernant l’Affaire Ouellette, ont grandement affecté la santé du requérant Boulanger », peut-on lire dans la requête.

Enquête bidon

Le juge Perreault, à la lumière du témoignage d’un enquêteur du BEI qui a toutefois été caviardé dans son jugement, qualifie de « bidon » l’enquête Projet A.

Il ajoute toutefois « qu’il se peut que l’enquête Serment évolue et que la preuve diffère à moyen ou à long terme, mais que le Tribunal ne peut spéculer ».

Or, selon nos informations, outre M. Boulanger et Mme Grenier-Lafontaine, l’ancien commissaire de l’UPAC, Robert Lafrenière, et un autre acteur important du Projet A, le lieutenant Vincent Rodrigue, n’ont toujours pas été interrogés par les enquêteurs du BEI.

Des dizaines de fuites sont survenues à l’UPAC depuis 2012 et des policiers et observateurs consultés par La Presse ne croient pas qu’elles résultent toutes, surtout celles de documents sensibles d’enquête, d’une action concertée des anciens dirigeants de l’UPAC.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le (514) 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.