(Québec) Citant des délais déraisonnables et des « inconduites policières », la Cour du Québec a ordonné vendredi l’arrêt des procédures contre Nathalie Normandeau, Marc-Yvan Côté et leurs quatre coaccusés, quatre ans et demie après leur arrestation ultra-médiatisée

Le juge André Perreault s’est rangé derrière les arguments de la défense qui invoquait l’arrêt Jordan. La Cour a conclu que les procédures traînaient en longueur à cause de fuites médiatiques en provenance de la police.

« Le droit des accusés à un procès en délai raisonnable a été violé», a conclu le juge. Il a calculé les délais à 52 mois, bien au-delà des 18 et 30 mois prescrits par l’arrêt Jordan.

Le directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) faisait valoir que ces fuites policières n’étaient pas de son ressort. Mais le juge a vu les choses autrement.

« Le DPCP a bien tenté d’atténuer, mais il a dû se contenter d’être à la remorque des inconduites policières dans le dossier des requérants », écrit le magistrat.

Il souligne également dans son jugement – largement caviardé pour protéger des enquêtes policières en cours –, que le DPCP et le tribunal avaient été « dupés ». Par qui ? Par quoi ? Le passage est caviardé.

Rappelons que selon la thèse de la défense, un acteur important de l'UPAC a divulgué des informations aux journalistes pour faire mal au gouvernement libéral.

Le DPCP « va déterminer dans les prochaines semaines s’il est pertinent d’aller en appel de cette décision », a dit l’un de ses procureurs, Richard Rougeau. Il a 30 jours pour le faire. Sans quoi l’ancienne vice-première ministre du Québec ne subira pas de procès

L’homme, à la mine déconfite, s’est dit « déçu » de la décision.

Normandeau soulagée

Nathalie Normandeau s’est présentée devant les journalistes aux côtés de son avocat, devant le palais de justice de Québec. « On m’a volé quatre ans et demi de ma vie », a-t-elle lâché. « Ces années perdues, je ne pourrai jamais les retrouver », a ajouté l’ancienne politicienne, en retenant ses larmes.

Elle souhaite désormais refaire sa vie et notamment se trouver un travail.

« C’est extrêmement difficile de vivre avec des accusations au criminel. Je vais vous le dire, bien honnêtement, je ne souhaite pas ça à mon pire ennemi. Ma vie a été mise en suspens, ma famille et moi avons énormément souffert », a commenté l’ancienne élue libérale. « Jamais je n’aurais dû être accusée. Jamais. »

« C’est terminé, ça faisait 4 ans », s’est contenté de dire Marc-Yvan Côté. L’ancien ministre libéral, devenu cadre pour la firme de génie-conseil Roche, a refusé de répondre aux questions des médias.

Les six coaccusés étaient soupçonnés d’avoir participé à un stratagème de financement électoral. Nathalie Normandeau était accusée d’abus de confiance, de souscription frauduleuse à une caisse électorale et d’actes de corruption dans les affaires municipales.

Le directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) avait abandonné en août 2019 cinq des huit chefs d’accusation initiaux, dont ceux de fraude, de corruption et de complot.

Ils sont innocents, insiste le juge

Le juge Perreault a tenu à rappeler à la population qu’avec la fin des procédures, les accusés étaient réputés innocents.

« Il s’en trouvera probablement certains pour clamer la chance qu’ont les requérants d’échapper ainsi à une condamnation, d’autant plus que certains des requérants sont des personnalités plus publiques que d’autres. Ceci est injuste», a insisté le magistrat.

« Ils sont donc tout aussi innocents que quiconque vous pourriez croiser dans la rue aujourd’hui. »

Ce jugement représente un important revers pour les procureurs de l’État, mais aussi pour l’appareil policier, passablement malmené dans ce dossier. Le magistrat admet que l’affaire était complexe et « pourrait expliquer un certain dépassement, mais pas celui dont il est question ici ».

« N’eut été des fuites et de l’enquête bidon du Projet A, le procès serait fort probablement terminé depuis l’été 2018 », écrit le juge Perreault.

Le Projet A est cette enquête sur les fuites médiatiques à l’Unité permanente anticorruption (UPAC).

« En ce qui nous concerne, nous estimons avoir fait notre travail d’enquête dans les règles de l’art dans ce dossier », a réagi Mathieu Galarneau, porte-parole de l'UPAC.

Le procès des six coaccusés n’aura donc jamais véritablement commencé. Les procédures se sont étirées sur plusieurs années au fil des requêtes de la défense et de la poursuite.

C’était d’ailleurs la deuxième requête pour arrêt des procédures de type Jordan dans ce dossier. La première avait été rejetée par la cour.

La défense tentait aussi de faire avorter les procédures à cause des nombreuses fuites dans les médias. Ces fuites selon elle privaient les accusés d’un procès juste et équitable.

- Avec Tommy Chouinard