L’échange de coups de feu survenu dans la nuit de samedi à dimanche entre un suspect et des policiers dans le Vieux-Port pourrait être l’un des plus importants, sinon le plus important, à survenir à Montréal depuis la tuerie de Dawson, en 2006. Selon nos informations, au moins 31 coups de feu auraient été tirés au total. Un des trois policiers impliqués aurait vidé son chargeur de 16 balles, selon nos sources.

Cette fusillade survient alors que les incidents violents se multiplient dans le Vieux-Montréal depuis quelques mois. Le phénomène fait craindre aux policiers qu’une culture des armes à feu soit en train de s’installer dans les gangs de la ville, comme c’est le cas dans d’autres grandes villes canadiennes.

D’après nos informations, tout a commencé vers 2 h lorsque le présumé suspect, Adam Pichette, 33 ans, aurait eu une altercation avec un individu qu’il connaissait, aux Terrasses Bonsecours. Les deux hommes ont été expulsés de l’établissement, mais leur dispute s’est poursuivie dehors.

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Adam Pichette

Pichette aurait alors extirpé une arme de poing de son sac en bandoulière et aurait tiré en l’air, vraisemblablement pour faire peur à l’autre homme, qui a pris ses jambes à son cou.

Un témoin aurait ensuite avisé des policiers qui circulaient à vélo. Lorsque ceux-ci se sont approchés, le suspect, qui aurait été intoxiqué par l’alcool ou la drogue, aurait alors ouvert le feu vers eux, sans avertissement.

Les policiers, qui seraient expérimentés, selon nos sources, auraient immédiatement dégainé leur pistolet et répliqué dans un chassé-croisé qui aurait pu avoir de bien plus graves conséquences.

Selon nos informations, le présumé tireur aurait reçu au moins quatre balles. Il a été transporté à l’hôpital où, durant un certain temps, on a craint pour sa vie. Son état s’est toutefois stabilisé depuis.

L’un des tirs du suspect a atteint un policier à un mollet. Trois civils ont aussi reçu des projectiles et souffrent de blessures mineures.

Adam Pichette a plusieurs antécédents criminels.

Comme c’est le cas lorsqu’une personne est blessée par un policier lors d’une intervention, le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) a ouvert une enquête.

On craint un 2e Toronto

« On touche du bois, on se considère très chanceux qu’aucun policier n’ait été tué », a réagi le président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, Yves Francœur.

Récemment, un article de La Presse a fait état des inquiétudes de résidants du Vieux-Montréal qui disaient constater une recrudescence de la violence dans leur quartier.

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a réagi en augmentant la présence policière dans ce secteur et d’autres, comme Montréal-Nord.

C’est une très mauvaise idée de l’administration Plante de parler de diminuer le financement du SPVM quand des événements comme ceux-là surviennent et qu’il y a de l’insécurité dans des quartiers, tel le Vieux-Montréal. Nos concitoyens méritent mieux que ça.

Yves Francoeur

Selon une compilation effectuée par La Presse, au moins 22 événements de coups de feu, principalement des tentatives de meurtre, sont survenus à Montréal depuis le début de l’été, le 20 juin. Certains de ces événements seraient attribuables aux gangs de rue, d’autres non.

Comme l’affirmait le criminologue Marc Ouimet en novembre 2019, de plus en plus de policiers montréalais parlent « d’une culture des armes à feu » au sein des gangs de rue, c’est-à-dire que des membres de gangs ont une arme à feu et n’hésitent même pas à afficher leur pistolet ou leur revolver dans des vidéos diffusées sur l’internet ou dans les réseaux sociaux.

« Les policiers et la direction du SPVM craignent que le phénomène de fusillades qui frappe Toronto et Ottawa arrive ici de la même façon. Les policiers du poste de quartier 21 (centre-ville) affirment qu’il y a un à deux événements de coups de feu par semaine dans le Vieux-Montréal. Les policiers constatent qu’il y a de plus en plus d’armes de poing en circulation », déplore Yves Francœur.

Défuntes sections Gangs de rue

En 2016, les sections Gangs de rue que le SPVM avait postées dans ses quatre régions ont été démantelées au profit de quatre nouvelles escouades appelées Crimes de violence (CDV), sous prétexte que le phénomène des gangs était en diminution.

Ce changement avait fait grincer des dents de nombreux policiers au départ, mais l’expérience a tout de même fini par être acceptée par les troupes, car elle permettait l’entrée en scène d’une force de frappe nécessaire en cas de besoin particulier.

Mais l’an dernier, les escouades CDV ont été dissoutes à leur tour, notamment pour que les enquêteurs aillent prêter main-forte à leurs collègues des enquêtes générales.

Il reste dans les quatre régions des escouades Stupéfiants qui relèvent de la Division du crime organisé (DCO), qui elle aussi compte maintenant une équipe en moins.

En réponse aux événements de coups de feu qui ont commencé à augmenter l’an dernier, le SPVM a lancé un projet baptisé Quiétude, dont les enquêteurs ont arrêté au moins 60 individus et saisi 25 armes à feu.

Mais des sources ont confié à La Presse que, dans les faits, ce sont au moins 40 enquêteurs spécialisés dans la collecte d’informations et le recrutement de sources, permettant la saisie d’armes à feu, qui ne sont plus sur le terrain ou qui y sont moins présents.

Elles affirment également que les crimes initiés par des informations de sources font moins l’objet d’enquêtes, et que des enquêteurs ne veulent plus contrôler de sources en raison de situations qui ont éclaboussé le SPVM ces dernières années.

« En centralisant et en éloignant les enquêteurs du terrain, on a perdu le pouls du terrain et, en même temps, beaucoup d’informations qui permettaient de remonter rapidement à la présence d’armes et à leur saisie. Je sais que la direction du SPVM est préoccupée et qu’il y a des changements dans l’air », conclut le président de la Fraternité.

Le phénomène semble également avoir gagné Laval, où au moins une douzaine d’événements de coups de feu sont survenus depuis l’an dernier.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.