Le directeur national de la santé publique, Horacio Arruda, a déposé une plainte à la Sûreté du Québec (SQ) après qu’un internaute ait directement divulgué son adresse postale sur Facebook, il y a quatre jours. Une situation qui relance le débat sur l'influence du traçage de documents en ligne, communément appelé le « doxing ».

Dans une déclaration envoyée à La Presse vendredi, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) affirme avoir « pris connaissance de la publication diffusée sur les médias sociaux ». « Nous déplorons l’existence d’une telle publication à l’endroit de quiconque », y insiste notamment le porte-parole du ministère, Robert Maranda.

Selon les informations du MSSS, le DArruda a remis l’ensemble des informations pertinentes à la SQ au courant de la semaine. Le corps policier « fera son enquête » au cours des prochains jours, ajoute le relationniste. « Nous n’avons pas d’autres commentaires pour le moment », conclut-il, sans vouloir donner plus de contexte. Idem pour la SQ, qui affirme que ce dossier n’est « pas de nature publique ».

C'est lundi, en début d’après-midi, qu'un internaute du nom de Fabrice Descurninges a ouvertement publié l’adresse du domicile de M. Arruda. « Si certains se sentent de bonnes dispositions pour remercier le bon directeur de la santé publique », a-t-il écrit sous sa publication.

L’homme, qui est suivi par près de deux milliers de personnes, s'affiche ouvertement contre le port du masque et relaie des théories du complot. Il a toutefois retiré sa publication contenant l'adresse de M. Arruda des réseaux sociaux. Or, son contenu avait déjà été relayé par des dizaines d’internautes.

Le « doxing » en hausse au Québec?

Pour plusieurs experts, l’intrusion dans la vie privée du Dr Arruda – dont les apparitions publiques se multiplient en temps de pandémie – est symptomatique de la montée du « doxing » au Québec. Il s’agit d’une pratique qui consiste à rechercher ou divulguer sur le Web des informations sur l’identité d’une personne, dans le but principal de lui nuire. Coordonnateur au Laboratoire de recherche en médias socionumériques de l’UQAM, Jonathan Bonneau est de cet avis.

On constate très bien que les gens ont plus de temps pour réfléchir, pour collecter de l’information et, éventuellement, pour se donner une raison de faire du mal.

Jonathan Bonneau, coordonnateur au Laboratoire de recherche en médias socionumériques

Selon le spécialiste, c’est la COVID-19 qui a en grande partie amplifié le phénomène. « On est tous pris chez nous, donc on a tendance à aller chercher des informations qui nous donnent raison. Et lorsqu’on pense avoir raison, ça devient important de faire payer ceux qui s'y opposent », ajoute-t-il.

Avec la multiplication des sources numériques, les gens font de moins en moins attention à qui ils donnent leurs informations, selon M. Bonneau. « On a moins de vigilance sur les formulaires qu’on remplit en ligne. Ainsi, des entreprises peuvent afficher notre adresse sur leur site, sans même qu’on y réfléchisse. Il va falloir que M. Arruda prouve que l’information n’était pas déjà publique sur Google.»

Facebook appelé à donner davantage

Pour le professeur titulaire à l’École des médias, Jean-Hugues Roy, il importe surtout que Facebook donne davantage accès à ses systèmes aux chercheurs. « Si ce n’était pas juste le réseau social qui surveillait ce qui s’y passe, il y aurait moyen de prévenir et de guérir », témoigne-t-il, estimant lui aussi que le doxing gagne en influence.

Si ces individus-là étaient isolés ou en faible nombre, on n’en parlerait pas. Mais on dirait effectivement qu’ils prennent de l’ampleur.

Jean-Hugues Roy, professeur à l'École des médias

Heureusement, il existe des façons de se protéger contre ces pratiques en ligne, rappelle Jonathan Bonneau. « On a des moyens très simples, aujourd’hui, d’automatiser ses systèmes pour qu’une simple alerte nous avertisse que nos informations apparaissent sur un site. Le public doit adopter cette hygiène, comme on l’a fait pour protéger notre crédit dans la foulée du vol de données chez Desjardins », remarque-t-il.

Encore faut-il que le gouvernement veuille bien investir dans des campagnes de sensibilisation à grande échelle. « Il y a des organismes qui sont là, mais leurs outils n’ont souvent pas la chance d’être appliqués. Pour l’instant, on a trop de combats de toute façon, mais il faudra éventuellement s’y attarder », conclut M. Bonneau.