Pendant que Québec demande des comptes à Ottawa à la suite du meurtre brutal d’une jeune femme, mercredi soir à Québec, par un assassin qui avait obtenu une semi-liberté, l’organisme Stella reproche à la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) d’avoir délibérément orienté un homme dangereux vers une travailleuse du sexe.

Interrogée par La Presse canadienne, la directrice générale de l’organisme de défense des droits des travailleuses du sexe, Sandra Wesley, cachait difficilement sa colère, vendredi, après avoir pris connaissance du rapport de la Commission sur Eustachio Gallese, 51 ans, qui est accusé du meurtre sans préméditation de Marylène Lévesque, 22 ans.

« Le rapport de la Commission évoque très clairement que son agente de libération conditionnelle a développé une stratégie pour qu’il puisse rencontrer des femmes pour ses besoins sexuels », a-t-elle souligné, rapport en mains.

« Donc, ces gens-là savaient que cet homme, qui était considéré très dangereux pour les femmes, n’était pas prêt à avoir des relations amoureuses avec des femmes, qu’il avait un historique de violence extrême envers les femmes, qu’on le laissait aller voir des travailleuses du sexe et il n’y a rien là-dedans qui se préoccupe de la sécurité des travailleuses du sexe. »

« Des sous-femmes, sous-humains »

L’auteure, ex-escorte et militante pour les droits des travailleuses du sexe Mélodie Nelson abonde dans le même sens.

« Il y a un non-sens dans le fait que l’on reconnaît qu’il y a un risque et qu’on donne plus d’importance aux besoins sexuels d’un homme qu’au risque que d’autres femmes courent. Ç’a vraiment été fait avec l’accord de son agent correctionnel […] et je ne suis pas vraiment capable de commenter là-dessus, je trouve ça vraiment horrible », laisse-t-elle tomber, visiblement bouleversée.

« On est une autre catégorie, comme des sous-femmes, sous-humains. Ici, (les travailleuses du sexe) ont été utilisées pour protéger le reste de la population, parce que même si c’était un risque modéré, il y avait un risque et on s’est dit que c’était moins grave », a-t-elle déploré.

Québec veut des réponses

La ministre de la Justice, Sonia LeBel, qualifie de troublants et préoccupants les faits entourant le meurtre de la jeune femme de 22 ans et exige des explications du ministre fédéral de la Sécurité publique, Bill Blair.

Eustachio Gallese avait été condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 15 ans en 2006 pour le meurtre particulièrement violent de sa conjointe commis en 2004. La Commission, qui voyait en lui un « risque élevé de violence envers une partenaire » en 2007, avait révisé son évaluation depuis ce temps pour conclure à un « risque modéré ». Après des sorties supervisées amorcées en 2016, il avait obtenu une semi-liberté en maison de transition en mars dernier.

« Les libérations conditionnelles doivent effectivement prendre en compte les principes de réinsertion sociale, mais ils ont comme principe prépondérant d’abord et avant tout la sécurité de nos citoyens, la sécurité des gens », a rappelé la ministre LeBel, selon qui il est important « de bien comprendre les raisons qui ont mené à cette décision-là et de voir si les commissaires sont bien outillés, suffisamment outillés pour faire l’évaluation du risque ».

Dans un bref courriel à La Presse canadienne, le ministre Blair soutient notamment que « la protection du public est le critère prépondérant dans toutes les décisions prises par la Commission des libérations conditionnelles » et que « les actes de violence commis par les personnes en semi-liberté sont extrêmement rares ».

Conséquence directe de la criminalisation

La victime était une travailleuse du sexe oeuvrant dans un salon de massage érotique. Selon plusieurs sources, Gallese aurait été expulsé du salon après avoir posé des gestes de violence envers d’autres masseuses et Marylène Lévesque aurait accepté de le voir dans un hôtel du secteur Sainte-Foy, où le drame s’est produit.

Or, cette expulsion permet à Sandra Wesley de tirer une conclusion difficilement contestable : « Pour nous, c’est clair que le fait que le travail du sexe soit criminalisé a eu un impact direct sur la séquence d’événements », fait-elle valoir.

« On ne peut pas rapporter ces choses-là à la police lorsqu’on travaille dans un contexte comme un salon de massage ou une agence d’escortes. Si le salon avait rapporté ces informations à la police, il y a des très fortes chances que les conséquences auraient été que les propriétaires du salon auraient été arrêtés avec des accusations de proxénétisme ou d’autres similaires, que le salon aurait été fermé, que les personnes qui y travaillent auraient perdu leur emploi.

“Si ces gestes de violence avaient été commis envers une femme qui avait la capacité de le rapporter à la police, il serait retourné en prison et n’aurait pas eu l’opportunité après d’escalader encore sa violence envers une autre femme », conclut-elle.

Mélodie Nelson confirme sans hésiter : « Si je me mets à leur place, si j’avais subi la violence de cet homme-là, je ne sais pas si je serais allée me plaindre. On ne peut pas porter plainte sans mettre en danger soit notre vie ou notre travail, notre autonomie financière. Pourtant, on a toutes besoin de cette protection », glisse-t-elle avec tristesse.

Hostilité, mépris et normalisation de la violence

Sandra Wesley estime que cette affaire « en dit très très long sur comment on voit les travailleuses du sexe et comment on normalise la violence contre nous ».

« On se bat pour que justement les travailleuses aient le droit de travailler, le droit de gérer leurs conditions de travail, le droit d’avoir des mesures de sécurité et nous ne sommes pas du tout intéressées à être sur les premières lignes pour tester si un homme est encore trop violent pour les autres femmes. »

Coïncidence, la directrice générale de Stella témoignait mardi devant la Commission parlementaire sur l’exploitation sexuelle des mineurs, où elle dit avoir été reçue comme un chien dans un jeu de quilles par des intervenants unanimement opposés au travail du sexe.

« J’ai été reçue avec une extrême hostilité de la part des élus, beaucoup de mépris et c’est ce qu’on vit tous les jours comme travailleuses du sexe. On est reçues avec un mépris total. Tout le monde veut parler de nous, tout le monde s’inquiète en théorie de notre sécurité, mais lorsqu’on exprime ce dont on a vraiment besoin, lorsqu’on ne joue pas le rôle de la victime totale et qu’on n’adhère pas à l’idée que la seule solution c’est d’éliminer toute l’industrie du sexe, on ne nous écoute pas et nous méprise.

“J’espère que ça va mener à une prise de conscience du public. Comment est-on venu à ce point où on déshumanise les travailleuses du sexe ? », s’interroge l’intervenante.

Meurtre d’une violence inouïe

Eustachio Gallese s’est rendu de lui-même aux policiers mercredi soir et a été accusé jeudi du meurtre non prémédité de Marylène Lévesque. Il a été renvoyé en cellule jusqu’à la suite des procédures.

En 2004, il avait assassiné sa conjointe, Chantale Deschênes, 32 ans, qui avait été sauvagement battue à coups de marteau avant d’être poignardée à plusieurs reprises.

L’affaire avait fait grand bruit à l’époque dans la Vieille-Capitale en raison de la violence inouïe dont avait été victime Mme Deschênes.

L’homme avait aussi des antécédents de violence conjugale avec une conjointe précédente en 1997.