Des échanges acrimonieux entre la directrice du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), Me Madeleine Giauque, et les présidents des syndicats de policiers ont eu lieu l'an dernier au sujet de la présence, durant les interrogatoires, des avocats des policiers qui faisaient l'objet d'une enquête du BEI.

Celui-ci, qui est fonctionnel depuis 2017, a été créé pour enquêter sur tous les événements au cours desquels il y a eu une victime - morte ou blessée - impliquant des policiers ou des personnes en autorité.

Depuis sa création, les syndicats réclament que les policiers aient droit au silence et à l'avocat. Ils ont d'ailleurs déposé un recours au civil qui contient cette demande en juin dernier.

Même si cela n'est pas écrit dans le Règlement sur le déroulement des enquêtes du Bureau des enquêtes indépendantes, Me Madeleine Giauque a permis que les policiers soient conseillés par un avocat durant leurs rencontres avec les enquêteurs du BEI. 

Mais au printemps 2018, Me Giauque a émis une série de reproches contre les avocats des policiers dans une lettre que La Presse a obtenue en vertu de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

Un comportement discutable

Dans sa missive envoyée le 20 mars 2018 à l'ancien président de la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec (FPMQ) Robin Côté, Me Giauque énumère une série de rencontres auxquelles ont participé certains avocats de policiers qui ont agi, selon elle, « toujours de manière inacceptable » ou qui ont eu « un comportement très discutable ».

La patronne du BEI relève, par exemple, le cas d'un avocat qui est intervenu au cours d'un interrogatoire pour corriger la réponse d'une policière en lui en suggérant une autre, et qui, après l'entrevue, a apostrophé les enquêteurs du BEI pour se plaindre des règlements et de la longueur de la rencontre.

Ce même avocat aurait cité en exemple une enquête où les policiers impliqués « se seraient sentis traités comme des criminels pendant des entrevues qui auraient duré 6 ou 7 heures ». Me Giauque se défend en écrivant qu'après vérifications, il y a eu trois entrevues qui ont duré 1 h 37 min, 3 h et 3 h 52 min.

Elle cite les cas d'un avocat qui, lors de l'interrogatoire d'un policier, « aurait donné tout haut la réponse d'un autre policier impliqué à la même question posée », d'un avocat qui aurait « évalué à haute voix la performance de l'enquêteur du BEI », d'un autre qui aurait « rapporté et dénigré certaines façons de faire du BEI », d'un avocat qui aurait « propagé une histoire erronée concernant un manque d'enquêteurs au BEI pour honorer toutes les entrevues planifiées » et d'un autre qui aurait « gribouillé, pianoté sur la table, envoyé des courriels et s'est même permis de manger, perturbant les personnes présentes ». 

Atmosphère tendue

La directrice du BEI soutient que des rencontres prévues avec des policiers ont été retardées ou déplacées en raison des avocats, que les policiers concernés croyaient que la faute revenait au BEI et qu'ils se mettaient en colère contre ses enquêteurs.

« Cette situation a fait en sorte que l'atmosphère a été plus tendue qu'à l'habitude et la collaboration plus difficile à obtenir », a décrit Me Giauque dans l'un des cas.

Madeleine Giauque, qui a le titre d'avocat, souligne également certains comportements non déontologiques que les représentants légaux des policiers auraient eus, en plus de parfois manquer de compassion envers les policiers.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Me Madeleine Giauque, directrice du Bureau des enquêtes indépendantes

« Doit-on y voir la preuve qu'il avait beaucoup plus à coeur la situation syndicale dans son ensemble que l'intérêt de ses clients à titre individuel ? »

- MMadeleine Giauque, au sujet de l'un des avocats visés dans la lettre

« [...] votre relation des faits relève davantage de l'interprétation, et surtout qu'il faut s'abstenir de considérer vos conclusions comme s'il s'agissait d'une vérité absolue. La nuance s'imposait, mais vous avez préféré le recours au ton accusateur et aux conclusions brutales », a, visiblement piqué au vif, répondu l'ex-président de la FPMQ Robin Côté, dans une missive datée du 26 avril 2018.

Elle interdit, puis se ravise

Dans sa lettre du 20 mars, Me Giauque annonce que ses enquêteurs ne permettront plus la présence d'un avocat lors des rencontres avec les policiers qui font l'objet d'une enquête, que tout policier qui refusera de répondre aux questions de ses enquêteurs sera considéré comme étant en infraction avec le Règlement sur le déroulement des enquêtes du Bureau des enquêtes indépendantes et que tout avocat qui agira en contravention au code de déontologie de la profession sera dénoncé au syndic du Barreau.

Mais quatre mois plus tard, Me Giauque a accepté de permettre de nouveau la présence des avocats durant les rencontres avec les policiers, après s'être entretenue avec M. Côté et le président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, Yves Francoeur.

Depuis, les avocats peuvent être présents durant les interrogatoires, mais ils doivent garder le silence sauf si leur client leur demande un conseil.

« C'est pas fort. Ça s'est calmé un peu depuis, mais c'est fragile », a affirmé le président de l'Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ), Pierre Veilleux, au sujet de la relation actuelle entre le BEI et l'APPQ.

« Les relations sont bonnes. Nous avons des échanges réguliers et chaque fois, j'ai une bonne écoute. »

- Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal

Nous n'avons pu obtenir hier les commentaires du nouveau président de la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec, François Lemay. 

Les enquêtes du BEI sont de nature administrative, mais le statut d'un policier qui fait l'objet d'une enquête peut changer en cours de route ; il peut devenir suspect et être accusé au criminel. 

Les trois syndicats ont présenté une requête au civil pour que tout policier qui fait l'objet d'une enquête ait le droit au silence et à l'avocat, comme n'importe quel citoyen, disent leurs présidents.

« C'est un droit constitutionnel. Les enquêtes indépendantes fonctionnent différemment en Ontario et en Alberta », affirme Yves Francoeur.

Les syndicats veulent également que les premiers rapports d'événement des policiers soient mis sous scellé, « pour ne pas qu'ils s'incriminent eux-mêmes », et qu'ils aient droit aux cartes d'appel du service 911, aux extraits audio et aux images vidéo de caméras de surveillance, le cas échéant, renchérit M. Veilleux.

Le BEI a refusé de commenter l'échange de lettres de l'an dernier en raison de la requête déposée au civil par les syndicats de policiers.

- Avec William Leclerc, La Presse

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l'adresse postale de La Presse

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal