Piégé par un fonctionnaire corrompu de l'Agence du revenu du Canada (ARC) devenu agent d'infiltration, Reza Tehrani, ancien propriétaire de l'Institut technique Aviron de Montréal, reconnaît avoir versé de nombreux pots-de-vin pour éviter des millions de dollars d'impôts. Malgré la gravité des crimes, il écope d'une « clémente » peine de 14 mois de prison dans sa résidence cossue.

L'homme d'affaires de 61 ans a plaidé coupable le mois dernier au palais de justice de Montréal à plusieurs chefs de corruption de fonctionnaire, de fraudes envers le gouvernement et de complot pour des crimes commis en 2005, en 2006 et en 2011. Reza Tehrani fait partie d'une dizaine de personnes accusées depuis 2012 dans le projet Coche de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sur la corruption de fonctionnaires à l'ARC.

Le résumé des faits présenté en cour lève le voile sur les multiples tentatives de corruption de Reza Tehrani et l'audacieuse opération d'infiltration pour le piéger. Au coeur de cette opération, le fonctionnaire Jean-Guy Ouellet. Approché en 2005 par un collègue de l'ARC, également accusé de corruption, il exige 10 000 $ pour accélérer le versement d'un crédit de recherche et développement de 145 000 $ à l'entreprise 2M Automation, détenue par Reza Tehrani et sa conjointe, Liora Suissa.

Mais la direction de l'ARC bloque le versement, puisqu'un litige judiciaire gèle le crédit. Une fois le montant versé dans les règles à l'été 2006, Reza Tehrani donne 10 000 $ en argent comptant et un téléviseur à écran plat à Jean-Guy Ouellet pour « son aide dans sa tentative d'accélérer [fast track] le paiement du crédit ».

Informateur

Trois ans plus tard, Jean-Guy Ouellet devient informateur pour la police fédérale. Il dénonce ainsi de nombreux individus soupçonnés de corruption à l'ARC. Devenu retraité, l'ex-fonctionnaire corrompu devient agent civil de la GRC en 2011 et accepte de participer à des opérations d'infiltration pour obtenir des « confessions » de Reza Tehrani.

Muni d'un dispositif d'enregistrement caché, Jean-Guy Ouellet approche son ancien complice qu'il n'a pas vu depuis deux ans et demi. « Est-ce que t'accepterais un travail comme avant ? », lui propose Reza Tehrani. « Non, j'attends une offre de vous, là ; vous me trouvez quelque chose », rétorque l'agent de la GRC, selon un document de la cour.

L'homme d'affaires évoque ses problèmes actuels d'impôts auprès de Jean-Guy Ouellet, qui prétend avoir des alliés au sein de l'ARC. Ils échafaudent ensuite un plan pour se débarrasser de ces « problèmes » en payant des fonctionnaires. 

Au cours de sept rencontres en juin et en juillet 2011, Reza Tehrani accepte de payer 60 000 $ à l'agent d'infiltration et à deux fonctionnaires fictifs pour éluder environ 3 millions d'impôts pour lui, son frère et ses entreprises L.R. PrintSol et l'Institut technique Aviron. L'homme d'affaires verse 6000 $ en « dépôt » pour amorcer le plan fictif.

Deux jours plus tard, Reza Tehrani offre 120 000 $ en pot-de-vin à son complice - qui enregistre toujours leurs conversations - et aux fonctionnaires fictifs en échange d'un remboursement d'impôt de 370 000 $ pour deux de ses entreprises. Il verse alors un autre « dépôt » de 10 000 $ à M. Ouellet.

Également accusée dans cette affaire, Liora Suissa s'en sort indemne. Les accusations portées contre elles ont fait l'objet d'un arrêt conditionnel à la demande de la poursuite.

« Peine particulièrement clémente »

Reza Tehrani a été condamné à 14 mois d'emprisonnement avec sursis à purger dans la collectivité, le 18 juin dernier. Pour la première moitié de sa peine, il devra rester en tout temps dans sa résidence cossue de Côte-Saint-Luc, évaluée à 1,7 million. Un couvre-feu lui sera ensuite imposé. Il pourra toutefois conserver un emploi légitime chez L.R. PrintSol ou à l'Institut technique Aviron, maintenant détenu par un certain Vincent Tehrani. L'école de formation professionnelle n'a pas rappelé La Presse.

« Je reconnais que la peine est particulièrement clémente considérant la nature des crimes. Mais je prends en considération qu'il n'y a pas eu de perte pour l'ARC, malgré les intentions répréhensibles », a indiqué la juge Lori Renée Weitzman, en entérinant la suggestion commune de la procureure de la Couronne fédérale, Me Anne-Marie Manoukian, et de l'avocat de la défense, Me Anastasios Paraskevopoulos.

La juge précise toutefois que la « clémence » de la peine n'est pas son « opinion », puisque la loi a changé depuis que les crimes ont été commis. Ceux-ci ne sont maintenant plus admissibles aux peines avec sursis. La juge relève aussi dans sa décision l'absence d'antécédents judiciaires de M. Tehrani et ses « remords ».

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Liora Suissa, conjointe de Reza Tehrani