La preuve est close au procès visant le Journal de Mourréal et son cofondateur, Janick Murray-Hall, qui a ouvert son jeu lors de son témoignage, mercredi, devant la juge Micheline Perrault, de la Cour supérieure.

Média QMI, la filiale de Québecor qui chapeaute le Journal de Montréal, veut que le tribunal force M. Murray-Hall à cesser d'utiliser le nom Journal de Mourréal et son logo, identique à deux lettres près à celui de l'entreprise de presse.

M. Murray-Hall, qui assure sa propre défense, a notamment présenté quelques exemples de parodies de journaux et leurs logos survenues dans le passé, notamment « Le Sommeil », « La Paresse » et « Le Monte », parodiant les quotidiens Le Soleil, La Presse et Le Monde, pour tenter d'établir « que c'est une pratique courante ».

Puis, il a invoqué l'article 29 de la Loi sur les droits d'auteur qui prévoit que « l'utilisation équitable d'une oeuvre ou de tout autre objet du droit d'auteur aux fins [...] de parodie ou de satire ne constitue pas une violation du droit d'auteur ».

Le logo et la marque de commerce du Journal de Montréal sont tous deux inscrits au Registre canadien des droits d'auteur, le premier comme une « Marque de type Dessin », le second comme une « Marque de type Mot ».

Loi sur les marques vs. Loi sur les droits d'auteur

Bien que les plaidoiries restent à venir jeudi, il est d'ores et déjà établi que Média QMI invoquera une violation de l'article 20 de la Loi sur les marques de commerce, qui accorde au détenteur des droits exclusifs sur une marque de commerce déposée, alors que Janick Murray-Hall entend plutôt faire porter sa cause sur le droit à la parodie et à la satire, qui jouit d'une exception dans la Loi sur les droits d'auteur, ainsi que le droit à la liberté d'expression garanti par les Chartes canadiennes et québécoises

Par ailleurs, Média QMI demande également aux défendeurs « de cesser toute autre utilisation du nom commercial et d'une marque de commerce utilisant les termes Journal, Montréal et Mourréal ».

Janick Murray-Hall estime toutefois que Média QMI « en aucun cas n'a l'exclusivité sur l'usage des mots "Journal », « Montréal » ou « Mourréal" » et le Registre des droits d'auteur précise que « le droit à l'usage exclusif du mot "journal" en dehors de la marque de commerce n'est pas accordé » à Média QMI pour le Journal de Montréal.

« Gens ordinaires et plutôt pressés »

L'avocat de Média QMI, Me Marek Nitoslawski, a par ailleurs tenté une nouvelle fois de discréditer l'avertissement au lecteur que l'on retrouve sur la page Facebook du Journal de Mourréal, qui se lit comme suit : « Ce contenu ne s'adresse pas à des "gens ordinaires et plutôt pressés" ».

Cet avertissement est lui-même un pied de nez à la poursuite, dont le texte contient ce passage : « La première impression que laisse dans "l'esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé » la vue du nom Journal de Mourréal utilisé par le défendeur, sera celle du Journal de Montréal ».

« C'est devenu un running gag », a laissé tomber Janick Murray-Hall avec un sourire en coin, précisant qu'on l'avait ajouté après avoir reçu la demande d'injonction.

Revenus minimes

Plus tôt dans la journée, le témoignage de M. Murray-Hall avait permis d'établir que le Journal de Mourréal ne génère que des revenus très modestes, voire minuscules, comparativement à ceux produits par le « World News Daily Report » (WNDR), l'autre site web géré par les deux créateurs du site satirique.

Les états financiers partiels déposés par Janick Murray-Hall ont permis d'apprendre que, pour les mois d'août, septembre, octobre et novembre 2018, le Journal de Mourréal lui a rapporté un total de 1109 $.

Le WNDR, un site de fausses nouvelles satiriques qui s'adresse surtout au public américain, a généré presque 70 fois plus de revenus durant les mêmes quatre mois, soit un peu plus de 73 000 $.

Bien que son témoignage n'ait pas permis de détailler la part de chacun des deux sites pour l'année, leurs revenus combinés ont atteint un peu moins de 150 000 $ en 2018.

Janick Murray-Hall a ainsi fait valoir que s'il produisait le Journal de Mourréal dans le but de faire de l'argent, il l'aurait abandonné lorsque Média QMI a intenté sa poursuite.

« Je ne serais pas ici à venir passer une semaine à ne pas être payé, à risquer de ruiner ma famille, le futur de mon enfant et de ma copine », a-t-il affirmé, lui à qui Média QMI réclame, outre de cesser d'utiliser sa marque de commerce, de lui remettre les revenus générés de 2013 à 2016, soit plus de 53 000 $.

« Je prends des risques parce que je suis une personne intègre. C'est un plaidoyer pour la liberté d'expression, pour la parodie et la satire. Si j'avais à en subir les conséquences, je les subirai, mais je ne pouvais pas être de l'autre bord de la clôture dans ce dossier », a-t-il affirmé.

« On a planté tout le monde »

La Cour a été saisie d'extraits d'entrevues radio sur différentes chaînes qui, avec son témoignage, ont raconté la genèse du « Journal de Mourréal ».

On a ainsi appris qu'il avait envoyé des textes satiriques à des sites existants et que ceux-ci les avaient refusés. Dans une entrevue à Radio X, de Québec, il avait dit : « On s'est fait le nôtre, esti, pis on a planté tout le monde. »

Dans ces entrevues, il a répété à tout coup que ce n'était pas sa responsabilité de « prendre les gens par la main » pour leur expliquer qu'il s'agissait de parodie et de satire.

Les limites de l'inexpérience

Janick Murray-Hall a heurté le mur de son inexpérience malgré une préparation étonnante, lorsqu'il a tenté de mettre en preuve des documents pour contester la crédibilité du chroniqueur Jeff Yates, aussi connu sous le nom de l'Inspecteur viral, un des pionniers de la vérification des faits dans les médias québécois.

L'objectif de M. Murray-Hall était de « rétablir sa crédibilité » après que celle-ci eut été mise en cause la veille par des références à des articles de M. Yates où le WNDR était qualifié d'un des pires sites de désinformation au monde. Le jeune homme espérait ainsi établir qu'il produit de la fausse nouvelle satirique et non de la simple fausse nouvelle, puisqu'il le fait avec une intention humoristique.

Me Nitoslawski s'est opposé à cette démarche, tout comme la juge Perrault qui lui a expliqué qu'il ne pouvait prendre cette direction sans faire comparaître M. Yates.

La juge Perrault a, jusqu'ici, fait preuve de beaucoup de compréhension envers M. Murray-Hall, qui n'a aucune formation de juriste, et ce dernier l'a remerciée en lui disant : « Je suis la brebis égarée et vous êtes mon berger ! », ce qui a provoqué la réplique suivante de Me Nitoslawski : « Est-ce que ça veut dire que je suis le loup ? », déridant l'auditoire.

Depuis le début, ce procès qui aurait pu facilement tourner au cirque ou à la foire d'empoigne se déroule au contraire dans une atmosphère étonnamment détendue et respectueuse, malgré quelques écarts de procédure imputables à l'inexpérience de Janick Murray-Hall.