L'adolescente Athéna Gervais est morte par noyade avec une composante possible d'hypothermie, dans un contexte de consommation excessive d'une boisson sucrée à haute teneur en alcool, conclut le coroner Martin Larocque dans son rapport rendu public ce mercredi matin.

À la suite de cette mort tragique, le coroner fait une série de recommandations pour resserrer la commercialisation et le marketing entourant les boissons sucrées à haute teneur en alcool.

L'adolescente est morte le 26 février 2018 après avoir partagé avec ses copains trois canettes de FCKD UP, une boisson sucrée d'une teneur en alcool de 11,9 % durant la période du diner de l'école secondaire qu'elle fréquentait. Ce jour-là, après avoir consommé cette grande quantité d'alcool en peu de temps, la jeune fille a été portée disparue.

Une importante enquête concernant sa disparition est déployée le jour même par les autorités policières de Laval. L'adolescente de 14 ans est retrouvée morte quelques jours plus tard, le 1er mars par des pompiers participant aux recherches, dans un ruisseau situé à l'arrière de l'école.

Une autopsie a été pratiquée. L'expertise quant à l'alcool démontre une concentration sanguine d'éthanol de 192 mg/100 ml. À titre indicatif, la limite légale pour conduire un véhicule automobile est de 80 mg/100 ml.

Le coroner Larocque recommande ainsi d'établir des normes de commercialisation des produits alcoolisés afin qu'il y ait obligatoirement des composantes neutres quant à leur mise en marché, tant au niveau de l'apparence du produit que de leur accessibilité et leur positionnement stratégique dans les points de vente, et notamment d'interdire la commercialisation de boissons alcoolisées dont le nom ou l'image banalise la consommation excessive d'alcool, l'ébriété ou la dépendance à l'alcool.

Il suggère aussi d'appliquer la recommandation du Comité permanent de la santé de la Chambre des communes, à l'effet de restreindre la teneur en alcool dans les boissons alcoolisées pré-mélangées à teneur élevée en sucre à l'équivalent d'une seule consommation standard, et non pas une et demi comme dans le projet de règlement actuel.

Dans l'esprit d'une des recommandations du Comité permanent de la santé de la Chambre des communes, le coroner Larocque propose finalement d'étudier tous les moyens pour que les dispositions du Code de la publicité radiodiffusée en faveur de boissons alcoolisées deviennent applicables aux médias sociaux et à Internet.

Décès accidentel

« L'autopsie n'a révélé aucun signe d'agression. Aucune lettre de suicide n'est retrouvée. Aucun élément de l'enquête ne nous permet d'ailleurs de tirer une telle conclusion quant à la cause de son décès. En fait, il s'agissait d'une personne appréciée qui menait une vie active propre à son âge », souligne le coroner dans son rapport de six pages diffusé ce mercredi matin.

Cette journée-là, Athéna Gervais commence sa consommation d'alcool à midi et la termine peu après 12 h 24, avant de rentrer à l'intérieur de l'école. « Il en résulte qu'Athéna Gervais a consommé une quantité importante d'alcool à l'intérieur d'une très courte période de temps. En fait, les trois canettes totalisent pas moins de 1,7 litre de boisson à haute teneur en alcool. Une telle consommation représente l'équivalent de 12 verres de vin », explique le coroner.

« Une certaine partie de l'alcool a été partagée avec d'autres étudiants, mais il reste qu'Athéna Gervais en a consommé la plus grande proportion, poursuit le coroner. Les résultats de l'analyse toxicologique sont d'ailleurs conformes à cette situation de fait. L'importance de la concentration sanguine d'éthanol retrouvée dans le corps d'Athéna Gervais est compatible avec un état d'ébriété sévère au moment du décès. »

Le phénomène de calage populaire auprès des jeunes consommateurs n'a pas été sans conséquence dans le cas d'Athéna Gervais, ajoute le coroner. L'alcool a été ingurgité très rapidement, probablement en moins d'une demi-heure, rappelle-t-il.

« Il faut retenir du décès d'Athéna Gervais qu'il est impératif qu'un ensemble de mesures soit adopté afin de prévenir les dangers inhérents à la consommation excessive d'alcool, tant auprès des enfants mineurs que des jeunes adultes », affirme le coroner qui doit présenter ses conclusions lors d'un point de presse prévu plus tard aujourd'hui.

Le coroner se dit préoccupé par les statistiques concernant les intoxications aiguës à l'alcool et aux boissons sucrées alcoolisées. Un rapport de l'Institut national de santé publique du Québec révèle qu'entre le 1er janvier et le 26 novembre 2017, les services d'urgence du Québec ont reçu pas moins de 2332 jeunes âgés de 12 à 24 ans pour des cas d'intoxications aiguës à l'alcool, soit l'équivalent de sept patients par jour. Selon la même étude, parmi les consultations d'urgence recensées pour cette même période au Centre hospitalier de l'Université de Sherbrooke, le quart des jeunes patients âgés de 12 à 24 ans avait un niveau de priorité indiquant que leur vie était en danger.

« Les données recueillies ne permettent pas de conclure quelle est la proportion en cause des boissons alcoolisées sucrées sur l'ensemble des cas d'intoxications aiguës vus aux urgences en 2017, poursuit le coroner. Toutefois, force est de constater que ces statistiques mettent en évidence une problématique de santé publique réelle et préoccupante. »

Tout est mis en oeuvre afin d'atteindre le consommateur ciblé, fait remarquer le coroner. « Les canettes de ces produits sont positionnées dans des présentoirs installés à des endroits stratégiques afin d'assurer un maximum de visibilité. Les canettes et le présentoir sont constitués de couleurs vives et attrayantes afin de dynamiser l'attrait de leur consommation. Le présentoir sur lequel Athéna Gervais a pris les canettes affichait le slogan REND FUCKUP ; non pas à titre préventif, mais bien pour mousser auprès des jeunes l'attrait relié à la consommation d'un tel produit alcoolisé », énumère le coroner.

Le coroner est également préoccupé par le volume des canettes en regard du pourcentage élevé d'alcool qu'elles contiennent, l'impossibilité de refermer les canettes une fois ouvertes, l'effet stimulant des boissons sucrées à haute teneur en alcool, masquant l'effet dépressif de l'alcool, le faible prix d'achat ainsi que l'accessibilité dans les dépanneurs et les marchés d'alimentation.

Les dangers auxquels sont exposés tant les enfants mineurs que les jeunes adultes face à une consommation excessive d'alcool sont banalisés, plaide le coroner qui rappelle que la consommation d'alcool engendre des coûts extrêmement élevés pour l'ensemble de la société. Il cite un rapport de juin 2018 du Centre canadien sur les dépendances et l'usage des substances qui estimait que, en 2014, l'alcool a engendré des coûts de 14,6 milliards de dollars en soins de santé, en perte de productivité, en justice pénale et en autres coûts directs.

Peu après le décès d'Athéna Gervais, le fabricant de FCKD UP a retiré le produit du marché.

En juin 2018, le gouvernement du Québec a aussi adopté de nouvelles mesures législatives qui limitent à 7 % la concentration d'alcool autorisée pour les boissons alcoolisées sucrées (mélanges à la bière) vendues dans les dépanneurs et les épiceries. De son côté, en décembre 2018, Santé Canada a proposé des modifications au Règlement sur les aliments et drogues, dans le but de réduire les risques de consommation excessive d'alcool. Les modifications réglementaires envisagées fixent la teneur en alcool à 1,5 verre standard pour les contenants de 1000 ml ou moins.

Dans un rapport sur les boissons alcoolisées pré-mélangées à teneur élevée en sucre rendu public en juin 2018, le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes recommandait d'ailleurs de limiter la teneur en alcool de ces produits à une seule consommation standard, soit 13,5 g ou 17,05 ml.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le coroner Martin Larocque.