L'enquête du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) sur les fuites à l'Unité permanente anticorruption (UPAC) promet d'être longue, si l'on se fie au Procureur général du Québec qui demande un autre ajournement à la Cour suprême dans le litige qui oppose la journaliste Marie-Maude Denis et l'ancien vice-président de la firme de génie Roche, Marc-Yvan Côté.

Ce dernier, l'ancienne vice-première ministre du Québec Nathalie Normandeau et d'autres personnes sont accusés de fraude, de corruption et d'abus de confiance depuis leur arrestation par l'UPAC en 2016 à l'issue d'une enquête portant sur l'octroi de financement politique en échange de contrats publics.

Les accusés, dont Marc-Yvan Côté, ont toutefois présenté une requête en arrêt des procédures. Les avocats de M. Côté arguent que les fuites médiatiques ont causé un préjudice à leur client et ils veulent forcer la journaliste Marie-Maude Denis à dévoiler la source qui lui a fourni les informations à la base de ses reportages et qu'ils soupçonnent d'être un haut dirigeant de l'UPAC.

La Cour du Québec a donné raison à la journaliste, mais la Cour supérieure a infirmé la décision. La Cour d'appel a refusé d'entendre la cause qui est maintenant devant la Cour suprême.

Des allégations loin d'être « frivoles »

Le plus haut tribunal du pays a accepté d'entendre la cause de façon accélérée, et les parties doivent être entendues le 16 mai prochain.

Mais vendredi, le Procureur général (PG) du Québec, qui a déjà demandé et obtenu un premier ajournement l'automne dernier, a demandé un nouveau report vendredi à la Cour suprême, en raison de l'enquête du BEI sur les fuites à l'UPAC et sur l'enquête Projet A qui a mené à l'arrestation du député Guy Ouellette en octobre 2017.

Le Procureur général prévient le juge en chef du Canada, l'honorable Richard Wagner, que l'enquête du BEI pourrait apporter des éléments nouveaux, autres que ceux qui ont déjà été apportés et mis sous scellés en décembre dernier, qui feraient en sorte que la Cour suprême n'aurait pas en main actuellement tous les éléments pour trancher adéquatement la question.

« Si cette Cour [suprême] rendait un arrêt dans le présent dossier en fonction des faits tels que présentés devant les juridictions inférieures, elle ne pourrait pleinement apprécier le bien-fondé des représentations de l'intimé [Marc-Yvan Côté] quant à la nécessité pour lui d'obtenir ou non le dévoilement des sources journalistiques », peut-on lire dans la requête.

Me Robert Rouleau, représentant du Procureur général et procureur en chef adjoint au Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec, indique dans sa requête que les démarches d'enquête effectuées à ce jour par le BEI démontrent « qu'il ne s'agit pas d'allégations frivoles ou sans fondement ».

Six jours pour un seul témoin

Dans une déclaration sous serment au soutien de la requête, Me Rouleau écrit que l'enquête du BEI est complexe, que les enquêteurs doivent faire la lumière sur différents événements supposément survenus sur une période d'au moins six ans (de 2012 à 2018), qu'un « nombre important de témoins » devront être rencontrés et que ceux-ci ne seront pas rencontrés pour un seul événement.

À titre d'exemple, Me Rouleau précise que l'interrogatoire du premier témoin par les enquêteurs du BEI a nécessité six jours de rencontres à lui seul. Il ajoute « que des autorisations judiciaires devront être obtenues pour valider certains faits et que l'exécution de celles-ci générera un volume important de données qui devront être analysées à leur tour ». 

Me Rouleau anticipe également que la preuve qui devra être divulguée « sera considérable », ce qui laisse croire que l'enquête du BEI pourrait encore durer des mois.

Me Rouleau est conscient que cette demande d'ajournement est exceptionnelle, « à plus forte raison une deuxième demande ». Il parle d'une situation « des plus inhabituelles », demande à ce que l'audience du 16 mai soit reportée à l'automne prochain et s'engage à tout mettre en oeuvre pour qu'une autre demande de report ne soit pas présentée.

L'enquête sur les enquêtes

Toutes les personnes qui ont travaillé de près ou de loin dans les enquêtes de l'UPAC dans lesquelles il y a eu des fuites depuis 2012 et dans l'enquête Projet A sont ciblées par le BEI, dont l'ex-commissaire de l'Unité permanente anticorruption, Robert Lafrenière.

L'enquête Projet A ordonnée par ce dernier et réalisée par une équipe réduite et triée sur le volet d'enquêteurs au sein de l'UPAC portait sur les fuites de l'enquête Mâchurer sur le financement du Parti libéral du Québec (PLQ) visant l'ancien premier ministre Jean Charest et l'ancien argentier du PLQ, Marc Bibeau. Elle a mené à l'arrestation du député Guy Ouellette, qui n'a jamais été accusé.

C'est dans la foulée de cette enquête du BEI que des allégations supposément criminelles ont été acheminées à la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, contre le directeur de la Sûreté du Québec, Martin Prud'homme, qui a été temporairement relevé de ses fonctions en attendant la suite de l'enquête. M. Prud'homme n'est actuellement accusé de rien.

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