D'ex-enquêteur vedette à taupe envoyée à l'ombre pour avoir vendu des informations à un motard, la vie de Benoit Roberge a basculé en octobre 2013. Deux ans après sa sortie de prison, La Presse vous raconte son long chemin vers la rédemption.

Benoit Roberge croit que le contrôle des sources policières cache bien des zones grises et que les enquêteurs devraient être mieux formés et encadrés pour y faire face.

Deux ans et demi après avoir fait ses premiers pas vers la liberté, l'ancien enquêteur vedette du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et contrôleur de plusieurs informateurs, condamné pour avoir vendu des informations à un motard, sort de l'ombre et se confie à La Presse.

Benoit Roberge, dont l'arrestation a eu l'effet d'une bombe en 2013, pense que les policiers et enquêteurs devraient avoir une meilleure formation technique et éthique, et un meilleur encadrement administratif et psychologique, pour éviter de « tomber dans le piège », dit-il.

« La sécurité est souvent compromise, car les policiers manquent toujours de temps », ajoute-t-il, admettant qu'il ne connaît pas toutes les règles adoptées par les corps de police à la suite de son arrestation. Benoit Roberge estime que les enquêteurs devraient être mieux formés, entre autres, sur la façon de se comporter avec une source, la rédaction des rapports, la confidentialité et la sécurité des informateurs.

Il croit aussi que les policiers contrôleurs de sources devraient avoir des rencontres régulières avec des psychologues. « Le lien de confiance vient souvent de l'amitié. C'est humain. Si cela est mal géré, on met à la fois la source et le policier à risque », explique-t-il.

Faire partager son expérience

Roberge, 55 ans, veut maintenant refaire sa vie et sa réputation en donnant des conférences dans lesquelles il explique pourquoi « il a franchi le Rubicon » et quoi faire pour éviter de le faire.

« Je veux faire le bien avec le mal que j'ai fait. J'ai tellement souffert. Je me dis : il faut que ça serve à quelque chose. »

« Si le fait de partager mon expérience peut aider même seulement une personne à éviter de passer par où je suis passé, de faire du mal à la population, à sa famille et à son organisation, je pourrai dire que j'aurai réussi ma vie - et non pas dans la vie », précise-t-il. « Mon message est plus important que ce que je suis », ajoute l'ancien expert des motards criminels.

La Presse a rencontré plusieurs fois Benoit Roberge depuis 2016, d'abord au pénitencier de La Macaza, puis dans sa maison de transition et, enfin, à sa résidence et ailleurs.

Le Benoit Roberge de 2019 a meilleure mine que celui d'il y a trois ans, mais il n'est pas complètement retombé sur ses pieds, après avoir été déboulonné de son piédestal.

Conditions difficiles

À la suite de son arrestation en octobre 2013, et avant de plaider coupable à des accusations d'abus de confiance et de gangstérisme en mars 2014, Roberge était détenu dans l'aile de protection à l'établissement Rivière-des-Prairies, dans un secteur où il a été enfermé dans sa cellule 23 heures sur 24.

« Je n'avais pas d'oreiller. Pas de banc pour m'asseoir. Ils avaient été arrachés par d'autres détenus avant moi, pour défoncer des portes et faire du trouble. J'ai passé six mois à manger sur mon lit, mais au moins, il y avait des livres, j'avais du temps pour analyser la preuve et les gardiens ont été très humains avec moi », décrit-il.

L'ex-enquêteur a eu de la difficulté à trouver un avocat. Ceux auxquels il avait d'abord pensé avaient déjà défendu des motards, donc étaient en conflit d'intérêts. Un autre n'était pas disponible car il était déjà engagé dans un long procès. Enfin, certains ne voulaient pas le représenter. « J'étais dans un no man's land. Personne ne voulait ou ne pouvait me défendre », se rappelle-t-il.

Après avoir été condamné à huit ans de pénitencier, Roberge pensait qu'il serait envoyé au Centre régional de réception de Sainte-Anne-des-Plaines, mais il a été dirigé vers le pénitencier de Springhill, en Nouvelle-Écosse, pour sa protection, lui a-t-on dit.

« Mais si c'était pour ma protection, pourquoi m'ont-ils gardé sous mon vrai nom et que les détenus ont su qui j'étais en moins de deux jours ? », se demande l'ancien policier.

Loin de chez lui

Roberge a passé neuf mois à Springhill. Il affirme qu'à trois reprises, il a demandé à être rapatrié dans un pénitencier au Québec, mais que les trois fois, le transfert a été annulé. Il a passé le dernier mois au trou, mais il refuse de dire pourquoi.

Roberge déplore qu'à Springhill, on lui ait donné une cote de dangerosité de niveau moyen plutôt que minimum. Il dit qu'il avait les mêmes conditions que dans un pénitencier super maximum : il n'avait droit qu'à deux heures de marche, aucune lorsqu'il pleuvait. Il aurait dû avoir droit à la salle de gymnase, mais il n'a jamais pu y aller. Ses codétenus et lui étaient souvent confinés dans leur cellule (lockdown) pour des raisons diverses.

« Même si des détenus disent qu'ils n'ont pas de difficulté en dedans, c'est faux. C'est l'enfer. Tout le monde souffre, même les plus tough, c'est une façade. Pour un être humain, être emprisonné, perdre sa liberté, être menotté, être épié, n'être jamais cru, je ne crois pas à ça, que n'importe qui du crime organisé, comme un Hells Angel, fasse de la prison et que cela ne le dérange pas. Il y a le décompte à 22 h, et pack ! la porte de la cellule se ferme. Et là, le gardien passe et regarde dans ta cellule, pas pour voir si ça va bien, pour voir si tu n'es pas pendu. »

« Lorsque tu entres en prison, tu apprends à vivre selon des castes, à ne pas parler aux gardiens, à ne plus être un citoyen. Au lieu d'apprendre à être humain et à socialiser, c'est déshumanisant. »

« C'est atroce, perdre ta liberté, ne pas voir ta famille. Le plus dur, c'est que tu n'es pas là pour ceux que tu aimes. J'ai causé des problèmes aux gens que j'aime et c'était ma plus grande souffrance. »

Roberge a eu des pensées suicidaires en détention. Il dit que c'est pour ne pas faire de mal à des proches qu'il n'est pas passé à l'acte.

Un homme brisé

Après Springhill, au début de 2015, Roberge a été envoyé au pénitencier de La Macaza, dans les Laurentides, où ses codétenus étaient pédophiles, délateurs, violeurs, batteurs de femmes, etc.

Roberge avait toujours eu l'air sûr de lui dans le passé. Mais il était apparu voûté, amaigri, mal rasé, nerveux et sur la défensive quand La Presse l'a visité pour la première fois, dans la salle commune de l'établissement.

Il s'inquiétait que des micros aient été fixés sur les tables et balayait constamment la salle de regards furtifs.

À partir d'août 2016, il était encore un homme brisé lorsqu'il a été envoyé dans une maison de transition du nord de la métropole, qui avait presque des allures de l'aile psychiatrique d'un hôpital, avec certains pensionnaires à l'air hagard, lorsque La Presse s'y est rendue. Benoit Roberge était affecté au ménage, dans des conditions parfois à la limite de la salubrité.

Roberge cherchait alors une vieille machine à écrire, pour immortaliser son expérience sur papier. Durant sa détention, il dit avoir lu plus de 100 livres, dont plusieurs biographies : Mario Pelchat, Marcel Béliveau, le commandant Piché, Patty Hearst et de Nelson Mandela. Ce dernier a été l'un des seuls livres en français - en plus de Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne - qu'on lui a prêtés au pénitencier de Springhill et qu'il a lus ironiquement... au trou.

La psychologie comme bouée de sauvetage

La moitié des livres que Roberge a lus en détention sont des livres de psychologie et cela paraît dans ses propos. « L'obsession du but » est une expression qu'il avait utilisée pour se dépeindre et expliquer son crime devant les commissaires aux libérations conditionnelles. « L'ego, le pouvoir, la moralité élastique, la vengeance, etc. » sont des mots qui reviennent dans son discours et ses conférences. La Presse a d'ailleurs assisté à sa première conférence, à la fin de l'été 2018.

Des zones toujours grises

Roberge refuse de parler de sa relation avec le défunt motard René Charlebois, des informations confidentielles qu'il a fournies et des circonstances et du moment précis où il a décidé de donner ces informations enregistrées par un complice de Charlebois, ce moment charnière qu'il appelle « le franchissement du Rubicon ». Il ne veut pas non plus parler de l'argent qu'il a obtenu en échange de ces informations. « J'ai honte », dit-il, en précisant toutefois qu'il a reçu bien moins que ce que les médias ont avancé et que c'est lui-même qui a mené les policiers à l'endroit où les sommes étaient cachées.

Lorsque ça chauffe, l'ancien policier ne veut pas - ou ne peut pas - répondre aux questions. Son histoire contient encore beaucoup de zones grises, dont des éléments critiques.

Il refuse par exemple de parler du fait qu'il était accompagné d'un autre individu lorsqu'il s'est rendu à un rendez-vous fixé par un agent double de la police au Quartier DIX30, le jour de son arrestation en 2013.

« Tout ce qui a fait partie de mon dossier devant les tribunaux, je ne réponds pas à cela. Je ne veux pas mettre de la chaleur sur des gens. »

Sentiment de trahison

Il affirme toutefois que ce n'est pas à une, mais à deux occasions qu'il s'est senti trahi par son employeur, le SPVM : lorsqu'il a été muté, contre son gré, dans une autre division et lorsqu'un collègue aurait torpillé sa candidature dans un concours pour un poste de lieutenant-détective. Ce sont ces « trahisons » qui ont servi de déclencheur à ses actions.

« Quand j'ai été tassé, je n'ai jamais soigné ça. Je n'ai pas consulté. J'ai fait cavalier seul avec mon ego de police tough. J'ai ruminé. Mon solage était fissuré. J'ai oublié, mais je n'ai pas pardonné. »

Il regrette de ne pas avoir demandé de l'aide lorsque Charlebois a commencé à le faire chanter, dit-il.

« J'aurais peut-être perdu ma deuxième carrière - à l'Agence du revenu. J'aurais probablement eu une petite sentence. Mais au lieu de perdre deux doigts, j'ai mis la main dans l'engrenage et tout le bras y est passé », dit-il.

Contrairement à ce que la population pourrait penser, il croit que les Hells Angels ne sont pas ressortis plus forts de l'opération SharQc, dont le seul superprocès a fini abruptement à l'automne 2015. « Ils ont bien plus peur du système qu'avant. Ils savent qu'ils peuvent être mis K.-O. L'impact psychologique n'est pas négligeable », analyse-t-il.

Pour annoncer ses conférences, Benoit Roberge a créé un site internet. Il mène d'autres projets de front. L'ex-enquêteur, qui connaît bien des secrets, ne veut pas faire de règlement de comptes.

« J'ai purgé une lourde peine. J'ai subi de grosses conséquences, l'organisation, ma famille et moi. Cela fait quatre ans que je braille ma vie. J'ai fait des actes répréhensibles, mais il y a des événements qui tentent d'expliquer ce qui s'est passé. Que tu me croies ou non, cela t'appartient. Mais je crois avoir payé fort et je vais payer toute ma vie pour ce que j'ai fait », conclut-il.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l'adresse postale de La Presse.

Extraits de la première conférence de Benoit Roberge

« Je me souviens comme si c'était hier du moment où j'ai été arrêté. J'ai été arrêté par l'escouade tactique de la Sûreté du Québec. Ils m'ont couché par terre, m'ont menotté les mains dans le dos. Je me souviens encore du 12 qu'ils m'ont crinqué dans les oreilles lorsqu'ils m'ont interpellé. »

« Le plus beau cadeau que la vie m'a fait, c'est que je me prenne en main et que je décide de changer. J'ai amorcé une longue réflexion qui m'a mené à la résilience. J'ai réalisé que le Benoit Roberge qui était entré dans la police avait bien changé au fil des ans. J'ai eu une moralité élastique avec le temps. La vie peut nous corrompre, un peu tout le monde, quelque part. »

« Là où ça s'est gâté, c'est dans le contrôle des sources. Il y a beaucoup de zones grises, pas blanches ni noires. Il y a beaucoup de place où tu peux jouer, faire des magouilles. Pour faire du bien - notre travail de policier -, on faisait des choses plus ou moins bien. C'est là que j'ai été téméraire, que j'ai pris tellement de risques que ça m'a mené où je suis. »

« Quand j'étais dans la police, j'ai eu un cours d'éthique. Ce que j'ai principalement retenu, c'est qu'on nous disait que lorsque tu fais une chose pas correcte, imagine que tes parents t'observent. Moi, ce que je vous dis, c'est que lorsque vous faites une chose pas correcte, imaginez que vous êtes sur écoute. »

Photo Armand Trottier, archives La Presse

Benoît Roberge en 2000