Après plusieurs jours de tergiversations, la Ville de La Prairie a décidé de sévir contre le promoteur Luc Poirier, qui menait des travaux sur le site d’une ancienne briqueterie. Le promoteur juge toutefois qu’il est dans son droit et entend poursuivre ses « travaux de préparation » pour remblayer son terrain destiné à un important projet immobilier. Une querelle juridique dont l’issue pourrait avoir d’importantes conséquences dans le monde municipal. Voici la séquence des événements.

18 janvier 2019

Le promoteur et investisseur Luc Poirier achète le terrain de 1,1 million de mètres carrés de la briqueterie Meridian Brick pour 25 millions de dollars. Le journal Le Reflet rapporte alors que le promoteur a l’intention d’en faire « un ensemble résidentiel » et que les travaux vont « commencer d’ici un an ».

11 octobre

Dans un communiqué paru sur son site web, la Ville de La Prairie dénonce la désinformation qui circule « entre autres sur les médias sociaux ». Quant aux travaux en cours, le maire Donat Serres rappelle que la municipalité ne peut rien y faire. « Le propriétaire est chez lui. Il a tout à fait le droit de faire tout ce qui lui est permis légalement », a-t-il affirmé. Sur Facebook, la page Carrière vivante animée par deux citoyens, Alain Branchaud et Andrée Gendron, dénonce les travaux illégaux en cours.

14 octobre

Andrée Gendron signale par écrit à la Ville que les travaux en cours ne respectent pas le Règlement de contrôle intérimaire de la MRC de Roussillon entré en vigueur le 4 décembre 2017. Le règlement interdit dans la carrière « tous travaux de remblai et de déblai, toute nouvelle utilisation du sol, toute nouvelle construction ». Le maire et le directeur général de la Ville reçoivent eux aussi une copie de la lettre, qui indique que les travaux ont commencé le 30 septembre. Le lendemain, la Ville l’informe que « la demande est présentement sous analyse ». Entre-temps, les travaux de remblai se poursuivent. En entrevue, Mme Gendron, signale aussi qu’une route temporaire a été aménagée dès la fin de septembre pour permettre le déplacement de la machinerie lourde.

16 octobre

Andrée Gendron et son conjoint, Alain Branchaud, reçoivent chacun une mise en demeure du promoteur Luc Poirier. « En prétendant que notre client effectue des travaux illégaux dans la carrière alors que c’est tout le contraire, vous tenez sciemment des propos qui sont de nature à jeter du discrédit sur ses activités et qui portent atteinte à sa réputation. » Le promoteur leur demande « de cesser immédiatement [leur] campagne de diffamation sur les réseaux sociaux et dans les médias ». Fait à signaler, Luc Poirier avait mis en demeure deux citoyens de Varennes en 2012, leur reprochant de faire du porte-à-porte pour faire signer une pétition qui s’opposait à l’un de ses projets immobiliers.

17 octobre

Mme Gendron porte plainte au ministère de l’Environnement. Le promoteur a déposé une demande d’autorisation pour des travaux de remblai avec des sols de type AB sur son terrain, mais celle-ci est toujours à l’étude et n’a pas été autorisée. Andrée Gendron dit aussi s’inquiéter du niveau de contamination des matériaux utilisés pour le remblai, niveau qui doit être vérifié quotidiennement par le promoteur. Un inspecteur a été dépêché sur les lieux le 22 octobre. Alain Branchaud estime que le promoteur a aussi détruit des milieux humides sans aucun certificat d’autorisation.

21 octobre

La Presse tente de joindre le service des communications de La Prairie. Dans notre message, nous mentionnons que notre demande concerne les travaux en cours sur les terrains de l’ancienne briqueterie. On ne nous a pas rappelé le jour même ni le lendemain ni le surlendemain.

23 octobre

La Prairie fait parvenir à La Presse un communiqué indiquant que « la Ville émet un avis d’infraction au propriétaire du terrain [de l’ancienne briqueterie] ». L’avis aurait été transmis au promoteur par huissier le 21 octobre. La Ville signale que les travaux sont « effectués en contravention au Règlement de contrôle intérimaire no 190 ».

Les explications du promoteur

Selon la porte-parole du promoteur, Marie Beaubien, celui-ci est dans son droit puisqu’il juge que le Règlement provincial sur les carrières et sablières a préséance sur les règlements d’une MRC. La dernière mouture du Règlement entré en vigueur le 4 avril stipule à l’article 118.3.3 que « tout règlement pris en vertu de la présente loi prévaut sur tout règlement municipal portant sur le même objet, à moins que le règlement municipal ne soit approuvé par le ministre, auquel cas ce dernier prévaut dans la mesure que détermine le ministre ». M. Poirier entend donc poursuivre ses travaux et contester tous les avis d’infraction qui lui seront transmis par la Ville. Il veut aussi déposer une requête en jugement déclaratoire pour faire valoir ses droits, en vertu des avis juridiques qu’il a obtenus. Selon Mme Beaubien, la Ville avait été prévenue des intentions de son client. De plus, le promoteur utilise actuellement du remblai de catégorie A-, ce qui le dispense d’obtenir une autorisation ministérielle. Sur Facebook, Luc Poirier se dit d’ailleurs à la recherche de terre de catégorie A pour un site à La Prairie « et qu’il [lui] en faut beaucoup ».

Les explications de La Prairie

En décidant de mettre à l’amende Luc Poirier, la Ville de La Prairie semble avoir une autre interprétation juridique du dossier. Malheureusement, la municipalité n’a pas rappelé La Presse pour donner sa version à ce sujet. Mais une source nous a signalé que le service juridique de la Ville avait été consulté au cours des derniers jours. Si le promoteur avait gain de cause, la nouvelle constituerait une onde de choc dans le monde municipal, qui se verrait privé de pouvoirs importants en matière d’aménagement du territoire.

Une version antérieure de ce texte qualifiait d’illégaux les travaux menés par le promoteur, alors que la question n’a pas été tranchée par les tribunaux.