L’un des chefs de clan de la mafia les plus influents des 30 dernières années a été tué hier matin à Montréal. Tout indique qu’Andrew Scoppa a été, comme le fut son frère Salvatore en mai dernier, victime des Siciliens qui veulent ainsi venger des meurtres commis en 2016. Durant cette année chaude, Daniel Renaud avait rencontré Andrew Scoppa dont il nous dresse le portrait.

Andrew Scoppa avait du respect pour le défunt parrain de la mafia montréalaise Vito Rizzuto, qui s’est éteint naturellement en décembre 2013, mais pas pour ses successeurs.

La Presse s’est entretenue avec lui en mars 2016, presque un mois après le meurtre de Lorenzo Giordano, dont la police croit qu’il a été l’un des commanditaires. 

D’ailleurs, Scoppa est mort comme Giordano, en arrivant à son centre de conditionnement physique. 

Scoppa, qui s’est rallié à Vito Rizzuto au retour de ce dernier à Montréal, en octobre 2012, après six ans de détention aux États-Unis, n’était pas sur la même longueur d’onde que les successeurs du parrain. Alors que Vito Rizzuto était gravement malade, chez lui, quelques jours avant sa mort, il aurait convoqué Andrew Scoppa et d’autres acteurs influents du milieu dans le but de les inviter à régler de potentiels différends, appréhendant peut-être que lorsque le chat ne serait plus là, les souris danseraient.

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Andrew Scoppa, qui s’est rallié à Vito Rizzuto au retour de ce dernier à Montréal, en octobre 2012, après six ans de détention aux États-Unis, n’était pas sur la même longueur d’onde que les successeurs du parrain.

Lors de sa rencontre avec La Presse, Andrew Scoppa a dit que Vito Rizzuto était respecté dans le milieu et qu’il serait le dernier parrain à Montréal. Il a décoché quelques flèches à ses successeurs en disant qu’ils n’avaient pas fait leurs preuves, qu’ils n’étaient pas de « bonnes personnes », qu’ils avaient fait tuer des gens « pour rien » et que les conflits auraient pu se régler. 

Le pourvoyeur

Scoppa, de son vrai prénom Andrea, aurait vécu son enfance dans le quartier Parc-Extension dans la misère. Abandonnée par son mari, sa mère a élevé seule et sans le sou plusieurs enfants. « J’enfilais les bottes de ma mère pour aller à l’école », s’est-il souvenu. Ils s’échangeaient leurs vêtements entre frères et sœur. Il nous a dit avoir fait ses débuts dans le crime à l’âge de 14 ans, pour aider sa famille.

Selon une personne interrogée par La Presse et qui l’a passablement connu, Andrew Scoppa aurait commencé comme commissionnaire pour des criminels de son secteur.

Il a appris le métier à un très bas âge. Pendant que les autres enfants jouaient au parc et allaient à l’école, Scoppa transportait de l’argent et de la drogue.

Une connaissance d’Andrew Scoppa

De fil en aiguille, avec l’aide de Grecs biens établis dans Parc-Extension et le Mile End, Andrew Scoppa a commencé à vendre des drogues et à monter sa propre organisation dans ces quartiers qui sont devenus son fief, et où il possédait des bars. 

« On disait de Scoppa qu’il ne savait ni lire ni écrire. Au milieu des années 80, lorsque les policiers patrouillaient dans le Mile End, tout le monde parlait de lui, mais il ne se faisait jamais prendre », se souvient un policier à la retraite.

Scoppa traitait parfois bien ses complices. Le même ex-policier se souvient qu’un jour, le voisin du chef de clan a été appréhendé. Après l’arrestation, un enquêteur a réalisé qu’il avait oublié quelque chose dans la maison et est retourné sur ses pas. Sur le comptoir de la cuisine reposaient 6000 $, qui n’étaient pas là lors du premier passage des policiers. Ceux-ci croient qu’ils ont été donnés par Scoppa pour aider la femme de l’homme qui venait d’être arrêté.

Mais d’autres fois, Scoppa, son frère Salvatore et leurs hommes de main pouvaient être d’une violence inouïe. Gare aux vendeurs et livreurs qui ne marchaient pas droit ; ils pouvaient être intimidés, battus et même torturés. C’était leur façon de maintenir la discipline. 

Andrew Scoppa a fait son nom dans le trafic d’héroïne, si bien que les membres de son organisation savaient où trouver les héroïnomanes de Montréal. Un jour, l’une d’elles a enlevé son fils, dont elle n’avait pas la garde. Pour la retrouver, car ils craignaient pour la sécurité de l’enfant, les policiers ont communiqué avec le clan Scoppa pour lui demander de les aider. Un membre du clan a brandi une liasse de 10 000 $ à des héroïnomanes en faisant miroiter de leur donner s’ils l’aidaient à retrouver la femme et son enfant. Quelques heures plus tard, les deux étaient retrouvés sains et saufs.

Dispute à coups de bombes

Le mot « redoutable » a commencé à être apposé à Scoppa durant les années 90. En novembre 1995, il a été victime de trois attentats à la bombe ou à la voiture piégée, desquels il s’est miraculeusement tiré indemne. Le 24 novembre 1995, un certain Giuseppe Ierfino, 30 ans, est mort dans l’explosion de sa voiture sur le pont du boulevard Pie-IX, qui enjambe l’autoroute 440. Selon des rapports de renseignements, la police a soupçonné Scoppa, qui n’a toutefois jamais été arrêté pour ce crime, dont le mobile pourrait être un conflit pour la vente d’héroïne dans l’est de Montréal.

En mars 2003, Andrew Scoppa a été à couteaux tirés avec un Hells Angel, Yves « Led » Leduc, en raison de la vente de stupéfiants dans un bar près de la Petite-Italie. Selon la preuve obtenue par les enquêteurs de l’enquête antimafia Colisée, le motard a menacé de tuer Scoppa, et c’est Moreno Gallo – assassiné en 2013 au Mexique – qui est intervenu pour résoudre le conflit lors d’une rencontre au Solid Gold.

En 2004, la présence d’un camion bourré d’explosifs a semé l’émoi au centre-ville de Montréal. Andrew Scoppa a été au centre de toute cette affaire ; en attente d’une peine dans une affaire d’importation de cocaïne par les États-Unis, il aurait aidé la police à saisir cet arsenal, dans le but d’éviter une extradition aux États-Unis. Nombre d’enquêteurs de la police de Montréal de différentes régions et escouades ont tiré la couverture chacun de leur côté, pour s’arroger la saisie. Ce fut là un des premiers chapitres d’une lutte d’ego devenue une guerre de clans au SPVM qui éclatera au grand jour des années plus tard.

Avec habileté, Scoppa a toujours su profiter de ces tiraillements de clans au sein de la police tout au long de sa carrière criminelle.

Un enquêteur à la retraite 

Scoppa en aurait également profité pour jouer sur plus d’un tableau.

La même année, Andrew Scoppa a finalement été condamné à six ans de pénitencier relativement à cette affaire de trafic de cocaïne. Ce sera là l’un de ses seuls antécédents criminels.

Durant la tentative de putsch contre les Siciliens en 2009-2010, on a peu entendu le nom de Scoppa. Il a ensuite été vu en compagnie de Vito Rizzuto, après le retour de ce dernier, en 2013, durant l’enquête Magot-Mastiff.

Le dernier chapitre

Mais après la mort du parrain, tout a changé. Deux ténors du clan des Siciliens, Rocco Sollecito et Lorenzo Giordano, ont été tués en 2016. Andrew Scoppa et son frère Salvatore ont tenté de prendre le pouvoir face aux Siciliens, affaiblis par Magot-Mastiff, selon les théories de la police. 

L’année suivante, Andrew Scoppa a été arrêté dans une affaire de trafic de 100 kg de cocaïne. Durant cette enquête de la SQ, baptisée Estacade, il a donné un aperçu de son manque de respect envers la table de direction de la mafia sicilienne, qu’il surnommait « Table de la grappa », en référence à un alcool fort italien, lors de conversations interceptées par la police. 

Mais encore une fois, le vieux routier s’en est tiré. Il a bénéficié d’un arrêt du processus judiciaire en mai 2018, sans que des explications soient données.

Depuis, Andrew Scoppa était isolé. Son frère Salvatore, avec lequel il a entretenu une relation amour-haine, et lui étaient devenus des parias au sein de la mafia.

Lorsque La Presse a rencontré Scoppa en 2016, il n’entrevoyait pas avec optimisme l’avenir de la mafia italienne. Il a affirmé que les mafieux étaient jaloux, et que ce serait là leur perte.

Il a aussi dit qu’il était retraité. Mais La Presse n’était pas dupe. Ses ennemis non plus. 

Andrew Scoppa a déjà possédé un club d’entraînement, boulevard Saint-Laurent. « Le gym, c’était sa seule discipline de vie, et c’est ce qui l’a tué », ironise un ex-enquêteur. 

« Son époque était finie. C’est une page de la mafia montréalaise qui se tourne », conclut un autre.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 498, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.