C’est une histoire d’isolement, de détresse et de regrets. Celle de deux frères vieillissants liés pour la vie. D’un aidant naturel à bout de souffle qui tue « presque accidentellement » son frère souffrant de démence d’Alzheimer à un stade avancé en le poussant contre un mur.

« Le bien dépasse largement le mal dans ce dossier », conclut le juge Marc David. Ému, Robert Dubuc ferme les yeux en apprenant son sort : un sursis de peine de trois ans. L’homme de 65 ans évite ainsi la longue peine de prison demandée par la poursuite pour l’homicide involontaire de son frère Richard, duquel il s’était reconnu coupable.

Le Tribunal retient de la preuve que ce décès n’est pas le résultat d’un suicide assisté, d’un homicide par compassion, ni d’une mort désirée. Il survient en raison d’une exaspération momentanée et de l’épuisement d’un frère dévoué agissant comme aidant naturel.

Marc David, juge de la Cour supérieure

Malgré certaines ressemblances, la cause de Robert Dubuc ne s’apparente pas au cas très médiatisé de Michel Cadotte, cet aidant naturel condamné en avril dernier à deux ans de prison moins un jour pour avoir étouffé sa femme afin de mettre fin à ses souffrances. Mais dans les deux cas, le juge a refusé de suivre la peine de huit ans de détention réclamée par la Couronne.

Frères inséparables

Depuis leur enfance difficile, les frères Dubuc sont inséparables. Toute sa vie, Robert s’occupe de son petit frère, son « premier compagnon de vie ». Après avoir pris soin de son père vieillissant, l’aidant naturel se consacre ainsi à partir de 2013 à son frère Richard, très malade. Son implication est « sans répit » pendant quatre années « éprouvantes ».

Maintenant dans la soixantaine, Richard souffre de démence avancée. Son état de santé dépérit constamment jusqu’à sa mort, en octobre 2017. Des hallucinations visuelles entraînent des comportements agressifs de sa part. Son frère doit voiler tous les miroirs de leur appartement de Montréal-Nord pour éviter ces épisodes.

Dans les derniers mois de sa vie, Richard doit porter des couches, dort peu la nuit et refuse constamment de manger et de prendre ses médicaments. Son grand frère s’occupe de lui jour et nuit. Néanmoins, l’aidant naturel refuse de placer son frère dans un centre d’hébergement spécialisé, puisque sa mère ne lui a jamais pardonné de l’avoir placée dans un tel établissement.

Pour contrôler son frère, Robert use parfois de violence. Il lui saisit fermement la mâchoire ou le bras, ou lui fait une clé de bras. Isolé socialement, Robert est épuisé et dépressif. Le jour fatidique, il ne dort plus depuis un mois. À bout de nerfs, il « pète sa coche » et projette son frère contre le mur. Un geste fatal.

Le coup n’est même pas assez puissant pour endommager le mur. Mais en raison de sa démence avancée, la tête de Richard est si fragile que le coup le tue, même sans causer de fracture. Ainsi, conclut le juge, on est très loin ici d’un « quasi-meurtre ».

« Le geste posé ne s’excuse pas, mais il s’explique. Il ne s’excuse pas parce que la victime était dépendante et vulnérable. Il ne s’excuse pas parce que le système judiciaire ne veut pas lancer le message que la violence soit acceptable à l’égard de quelque membre vulnérable de notre société, soit-il jeune, vieux ou malade », souligne le juge David.

Néanmoins, ajoute le juge, le crime de Robert Dubuc s’explique par son « épuisement physique et psychologique », par la « lourdeur » de son travail d’aidant naturel et par son refus de demander de l’aide en raison de ses « sentiments de loyauté, d’attachement et de culpabilité ».

Le juge relève aussi la « détresse » de l’accusé, ses « énormes remords » d’avoir causé la mort de son frère et son dévouement « altruiste ».

Son sentiment de culpabilité est palpable. Le bonheur semble inexistant dans la vie de cet homme depuis le 5 octobre 2017.

Marc David, juge de la Cour supérieure

« Très ému »

Devant les journalistes, Robert Dubuc s’est dit « très ému » par la décision. « J’ai senti que la justice avait compris un peu ce que j’ai vécu. […] Une peine de prison, ça aurait été mourir une deuxième fois, revivre l’instant que je revis tous les jours, mais dans des conditions vraiment désolantes », a-t-il commenté.

Sa cause, ajoute-t-il, ne présente absolument aucune ressemblance avec celle de Michel Cadotte. « Du tout, du tout. J’étais là 24 heures par jour, je ne dormais pas, il ne dormait pas. C’était très stressant, ce qu’on a vécu », plaide Robert Dubuc, qui était défendu par Me Louis Miville-Deschênes. Me Amélie Rivard représentait le ministère public.

Pendant trois ans, Robert Dubuc demeurera sous l’emprise judiciaire et devra respecter une série de conditions de probation. Il devra effectuer 240 heures de travaux communautaires. Le juge rappelle que la « sévérité n’est pas l’apanage de l’emprisonnement » et que dans le cas présent, un sursis de peine est la peine appropriée pour un homme sans antécédent judiciaire et qui ne risque pas de récidiver.