Malgré une accusation de fraude pour laquelle il a comparu cette semaine, une action collective autorisée et une demi-douzaine de poursuites intentées au cours de l’année aux petites créances, le fondateur de la Fédération des inventeurs du Québec, Christian Varin, continue d’exploiter son entreprise d’obtention de brevets que d’anciens clients qualifient de « services fictifs ». 

Fondée en 2014 par M. Varin, qui en est le président et unique administrateur, la Fédération des inventeurs du Québec dit fournir à ses clients des « services professionnels » pour « faciliter l’ensemble des étapes nécessaires à la protection et à la promotion de leurs inventions ». Elle le fait moyennant des honoraires oscillant entre 2000 $ et 5000 $.

Mardi dernier, M. Varin a comparu au palais de justice de Montréal pour une accusation de fraude, un chef qui pourrait lui valoir jusqu’à 14 ans de prison s’il était reconnu coupable. La Couronne l’accuse d’avoir « par la supercherie, le mensonge ou autre moyen dolosif, frustré Benjamin Bérubé » et quatre autres personnes de sommes dépassant 5000 $. 

Une autre accusation similaire de fraude a aussi été déposée contre M. Varin au palais de justice de Longueuil, en septembre dernier, pour une fraude alléguée de moins de 5000 $. Le dossier doit être entendu en août prochain, a précisé hier la procureure qui y est affectée. 

« Pas une petite histoire »

Malgré ces recours, l’homme d’affaires continue d’exploiter son entreprise : « Il y a actuellement certaines allégations visant à discréditer la Fédération des inventeurs du Québec. Il s’agit clairement d’interventions de certains compétiteurs et il est cependant clair qu’il n’y a pas fraude criminelle dans aucun dossier de la Fédération, a-t-il affirmé dans une déclaration transmise par courriel à La Presse. La Fédération continue à offrir des services spécialisés et abordables aux inventeurs du Québec. »

Depuis plusieurs mois, Christian Varin et sa fédération sont dans la ligne de mire de l’inventeur et ex-policier Daniel Paquette, fondateur d’Inventarium, une entreprise concurrente qui accompagne aussi les inventeurs dans leurs demandes de brevets. 

M. Paquette dit avoir été contacté par plusieurs clients de M. Varin qui, après avoir payé des milliers de dollars en honoraires à sa fédération, se seraient rendu compte que leur invention était déjà brevetée ailleurs dans le monde. Il a incité au fil des mois plusieurs d’entre eux à porter plainte contre la Fédération, les aidant même à rédiger des mises en demeure.

M. Paquette a aussi fait des démarches pour convaincre le gouvernement Legault d’intervenir dans le dossier, en plus de faire pression sur des enquêteurs du SPVM et sur la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP) pour que des accusations criminelles soient portées contre M. Varin. 

« Je n’arrive pas à m’expliquer comment ça a pu prendre près de deux années et demie pour porter des accusations contre lui, alors que je leur ai remis en janvier 2017 un rapport d’enquête très détaillé démontrant les pratiques de Varin. » — Daniel Paquette, ex-policier et fondateur d’Inventarium

« Il a fallu que je fasse une plainte au ministère de la Sécurité publique pour que les choses bougent. J’ai transféré 42 noms de personnes qui voulaient porter plainte à la SQ, dit-il. On veut que le DPCP comprenne que c’est une grosse fraude ; que ce n’est pas une petite histoire qui touche seulement 10 personnes. »

Action collective autorisée

Une des six victimes présumées de l’accusation de fraude criminelle déposée cette semaine, Benjamin Bérubé, est le représentant d’une action collective intentée au civil par l’avocat Marc-Antoine Cloutier contre M. Varin et sa fédération. Une centaine d’anciens clients s’y sont joints jusqu’à maintenant, se disant victimes de « gestes constituant ou s’apparentant à de la fraude ». 

Les demandeurs y allèguent notamment que M. Varin a faussement fait croire que son entreprise « était composée d’une équipe d’experts en gestion de brevets » et était membre « d’importantes organisations internationales », dont l’Intellectual Property Owners Association. 

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

L’avocat Marc-Antoine Cloutier

« C’est un recours pour lequel on espère recouvrer des sommes, mais aussi pour que ça [la situation] cesse. Je reçois encore à ce jour-ci des appels de gens qui me disent qu’ils viennent de signer avec M. Varin. Il continue son manège ! À ce stade-ci, il n’y a que la police qui peut l’arrêter. » — Me Marc-Antoine Cloutier

L’action collective a été autorisée en août dernier par le juge Frédéric Bachand, de la Cour supérieure, qui estime les allégations suffisamment « nombreuses et précises » pour qu’elle ait « une chance de réussite ». Le juge a aussi ordonné à M. Varin et à son entreprise de remettre à Me Cloutier une liste de près de 620 clients de la Fédération qui pourraient vouloir se joindre à la démarche. Des publicités sont diffusées sur Facebook afin de trouver d’anciens clients qui se qualifieraient pour y participer. 

L’Office de la protection du consommateur dit pour sa part avoir reçu depuis deux ans 37 plaintes contre la Fédération des inventeurs du Québec. « Vingt de ces plaintes étaient pour pratiques trompeuses ou déloyales. Des vérifications sont en cours », a indiqué le porte-parole Charles Tanguay. 

Un « Pavillon des inventeurs » 

La Fédération des inventeurs du Québec affirme depuis longtemps qu’elle s’apprête à ouvrir un pavillon des inventeurs, à Shefford, où ses clients pourront bénéficier d’un « centre de recherche et de documentation », ainsi que de salles de conférence et d’une « imprimante 3D et […] des outils et matériel pour la fabrication de prototype ».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

La Fédération des inventeurs du Québec affirme depuis longtemps qu’elle s’apprête à ouvrir un pavillon des inventeurs, à Shefford, où ses clients pourront bénéficier d’un « centre de recherche et de documentation », ainsi que de salles de conférence et d’une « imprimante 3D et […] des outils et matériel pour la fabrication de prototype ».

Alléguant qu’ils n’ont pas été payés pour les travaux de construction qu’ils ont effectués à cet immeuble, au moins trois entrepreneurs ont intenté des recours distincts contre M. Varin et la Fédération des inventeurs du Québec. L’un d’eux, intenté en Cour supérieure par l’entreprise Vitrerie Claude, de Granby, a été transféré à la cour des petites créances à la demande de M. Varin. « Il s’achète du temps », estime l’avocat Philippe Gaudet, qui représente l’entreprise.

— Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron, La Presse