Consumé par la haine et le ressentiment, le terroriste montréalais Amor Ftouhi souhaitait se faire remarquer par Donald Trump lorsqu’il a tenté de trancher la gorge d’un policier à Flint, au Michigan, en 2017. L’ancien concierge du collège Mont-Saint-Louis aurait planifié son attentat pendant des mois à Montréal sans jamais se faire remarquer, selon des documents judiciaires déposés en prévision du prononcé de sa sentence, demain.

Le 21 juin 2017, une fourgonnette Dodge Caravan immatriculée au Québec se gare à l’aéroport international de Flint, au Michigan. Un homme en sort avec un sac à dos et entre dans le terminal, où il observe attentivement les allées et venues des agents de la police aéroportuaire.

Cet homme, c’est Amor Ftouhi. Il a l’air d’un voyageur comme les autres. Mais depuis des mois, il prépare un attentat terroriste pour tuer un maximum d’employés du gouvernement américain, afin de poursuivre l’œuvre d’un de ses héros, Oussama ben Laden. Endetté jusqu’au cou, incapable de subvenir aux besoins de sa famille, se croyant victime de discrimination et d’islamophobie, il veut mourir en martyr et accéder au paradis.

PHOTO DÉPOSÉE EN COUR

Amor Ftouhi, capté par une caméra à l'aéroport de Flint le jour de l'attentat

Il n’a parlé de son plan à personne. Sa femme et ses trois enfants croient qu’il est en train de faire une livraison en tant que camionneur. Personne dans sa famille ne le croirait capable du moindre acte violent.

Et pourtant. Lorsque le lieutenant Jeffrey Neville, de la police de l’aéroport, s’avance dans le terminal pour aller déplacer une voiture de patrouille, Amor Ftouhi s’élance derrière lui, un grand couteau de 30 cm à la main. Il poignarde le lieutenant dans le dos puis, de toute ses forces, tente de lui trancher la gorge.

La victime survivra grâce à une opération d’urgence, mais un médecin déclarera plus tard que quelques millimètres de plus auraient suffi pour qu’elle soit condamnée.

Alors que Ftouhi lève son couteau pour frapper le lieutenant à nouveau, un employé d’entretien lui saute dessus et intercepte son bras en plein mouvement. L’employé roule à terre et lutte avec le forcené. Un pompier arrive, puis le chef de la police aéroportuaire. Ils réussissent à menotter le Montréalais, qui se débat avec rage.

PHOTO PAUL SANCYA, LA PRESE CANADIENNE/ASSOCIATED PRESS

Un agent du FBI montre une photo d'Amor Ftouhi lors d'une conférence de presse à Detroit en juin 2017, au lendemain de l'attaque.

Le récit détaillé de l’attaque est contenu dans des dizaines de pages de documents judiciaires déposées devant un tribunal du Michigan à l’intention du juge qui devra lui imposer une peine de prison demain pour terrorisme, acte de violence dans un aéroport et interférence avec la sécurité aéroportuaire. Un jury a déclaré Amor Ftouhi coupable des trois accusations en novembre. La poursuite réclame une peine de prison à vie, alors que la défense demande plutôt une détention de 25 ans.

« Une génération de tueurs »

Une fois maîtrisé, le jour de l’attaque, Ftouhi est conduit dans une cellule sous la surveillance de la capitaine Leigh Golden, de la police de Flint. Toujours menotté, le terroriste tente de plonger vers elle pour saisir son pistolet. Une enregistreuse capte la scène.

« N’y pense même pas. Je vais te mettre une balle… Non, n’y pense même pas », lui lance la policière, dont le collègue est entre la vie et la mort, tout près.

« Donne-le-moi. Donne-le-moi pour te tuer », rage Ftouhi en la couvrant d’insultes et de crachats.

« Tu es contente ? Contente ? Tu tues des enfants en Irak ? En Syrie ? Tu es une tueuse », poursuit le suspect.

« Je n’ai jamais tué personne », réplique calmement la capitaine.

« Oui. Oui, toi. Toi et ton pays. Vous êtes un pays de salauds. […] Vous êtes une génération de tueurs », dit-il.

Aucun remords

En interrogatoire avec trois agents du FBI peu après, Amor Ftouhi n’exprime aucun remords. Il dit souhaiter ardemment que sa victime succombe à ses blessures et se montre déçu de ne pas avoir été tué lors de l’intervention policière, ce qui aurait fait de lui un martyr. Il dit vouloir continuer à tuer des policiers jusqu’à ce qu’il soit tué lui-même.

Il explique aux agents qu’il est un « soldat d’Allah » qui croit que le gouvernement américain mène une guerre contre les musulmans. Il dit soutenir l’idéologie d’Oussama ben Laden et avoir célébré les attentats du 11 septembre 2001, notamment parce que le soutien de Washington à Israël l’a toujours dérangé. Il explique qu’il voulait attaquer un employé du gouvernement américain dans un lieu qui pourrait attirer l’attention du monde et que « Donald Trump l’entendrait ».

« Ftouhi voulait que les autres musulmans voient ses actions et n’aient pas peur de combattre les ennemis d’Allah. »

— Un agent du FBI dans un document judiciaire

Mais il souligne que ce sont ses difficultés financières et familiales qui l’ont mené à quitter Montréal pour passer à l’action. « Si j’avais un emploi stable et une vie de famille, je ne serais pas ici », concède-t-il.

Pauvreté au Canada

Il explique avoir travaillé comme enseignant de sociologie en Tunisie. Pour échapper à la pauvreté, il a immigré au Canada avec sa famille en 2007. Mais il n’a pu trouver que des emplois précaires, non qualifiés, qui payaient à peine plus que le salaire minimum. Il a dû entasser sa famille dans un appartement à une seule chambre, puis un autre à peine plus grand qui comprenait deux chambres mais demeurait beaucoup trop petit.

Il prétend avoir vécu de la discrimination au Canada. Alors qu’il était concierge pour une firme d’entretien ménager sur le site du collège Mont-Saint-Louis, son employeur lui aurait refusé des pauses pour la prière, alors que d’autres collègues pouvaient s’arrêter pour fumer. Devenu camionneur, il soupçonnait qu’on lui donnait moins de livraisons parce qu’il ne voulait pas transporter d’alcool. Engagé comme gardien de sécurité à l’aéroport de Montréal, il découvre qu’on ne lui donne jamais assez d’heures pour bien gagner sa vie.

Même après avoir obtenu un diplôme d’expert en sinistre, il n’a pu trouver un emploi qualifié et dit soupçonner que c’est en raison de sa religion.

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Amor Ftouhi avec son diplôme d'expert en sinistre

Il explique avoir accumulé des dettes et passé de longues journées assis seul à la maison. Il dit n’avoir ni amis, ni passe-temps, et entretenir des relations conflictuelles avec sa femme en raison de ses problèmes financiers.

Pas d’armes pour les Canadiens

Après l’interrogatoire, le FBI et la Gendarmerie royale du Canada (GRC) commencent à enquêter sur le parcours de Ftouhi. En révisant l’historique de ses recherches sur Google, les policiers découvrent qu’il a commencé à planifier son attaque trois mois plus tôt, à la fin de mars. Mais personne n’avait remarqué le moindre signe, la moindre parole, le moindre changement d’attitude. Il avait réussi à passer complètement sous le radar.

De son appartement de la rue Bélair, près du métro Saint-Michel, Ftouhi a visionné de la propagande islamiste radicale et fait plusieurs recherches sur la façon dont les autorités pouvaient surveiller les suspects de terrorisme et déjouer leurs plans. Il a sauvegardé des vidéos d’entraînement au tir et sur les techniques pour recharger une carabine le plus vite possible dans le feu de l’action. Une autre vidéo enseignait des techniques de combat au corps à corps pour s’emparer de l’arme à feu d’un adversaire.

Ftouhi avait aussi fait des recherches poussées sur les États américains où il est plus facile d’acheter une arme à feu sans permis. Il avouera lui-même que c’est ce qui lui a fait choisir le Michigan comme destination.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

À la suite du drame, les policiers de la Gendarmerie royale du Canada ont perquisitionné dans le logement d’Amor Ftouhi, dans le quartier Saint-Michel, à Montréal.

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Notes manuscrites d'Amor Ftouhi sur les endroits où il pourrait acheter des armes.

Il avait pris en note une longue liste de salons des armes à feu et de magasins où il pourrait s’équiper.

Amor Ftouhi avait presque 30 000 $ de dettes accumulées sur ses cartes de crédit. Il n’avait pas un sou pour organiser son attentat. Le 15 juin, il dépose une enveloppe vide au guichet automatique et la fait passer pour un dépôt de 1000 $. Il prend l’argent et se dirige vers les États-Unis.

Il conduit jusqu’à un salon des armes à feu dans la petite ville de Gibraltar, au Michigan, et tente d’acheter un AR-15, une puissante carabine semi-automatique dotée d’un chargeur de 30 balles. Le vendeur refuse de la lui vendre car il est citoyen canadien.

C’est la citoyenneté de Ftouhi qui l’empêchera de s’équiper comme il le voulait, dans un État américain où les règles entourant la vente d’armes à feu sont pourtant particulièrement libérales. Ftouhi tente sa chance dans une foule de magasins, incluant le Walmart, mais personne ne veut vendre une arme à un citoyen d’un pays étranger. Le Montréalais se contente d’acheter un grand couteau et planifie de tuer un policier pour s’emparer de son arme, comme il l’expliquera lui-même lors de son interrogatoire.

Un bar gai comme cible ?

Au Michigan, il dort dans son véhicule et mange au Subway, au McDonald’s et au buffet chinois, toujours en payant comptant. Il cherche aussi un lieu où passer à l’attaque, selon le FBI. Il multiplie les recherches pour trouver un aéroport international, mais aussi un bar gai. À ce moment-là, l’attentat terroriste au club gai Pulse, en Floride, en encore frais dans la mémoire des Américains.

« Ftouhi évaluait, semble-t-il, différentes cibles possibles pour son attaque », note un agent du FBI dans son rapport. Il choisit finalement l’aéroport international de Flint pour passer à l’action.

Son crime s’avérera une surprise totale pour sa femme, ses deux filles et son fils, qui ne lui ont jamais connu le moindre penchant violent ou extrémiste.

Sa femme expliquera plus tard à la GRC que son mari est « un homme bon » qui a été brisé par des traumatismes à l’enfance. Selon elle, le père d’Amor Ftouhi était alcoolique. Ses deux parents étaient violents envers lui. Ils n’étaient pas particulièrement religieux.

Dépression chronique

Selon sa femme et ses enfants, Ftouhi a développé une dépression chronique qui l’accablait encore plus parce qu’il se sentait incapable d’être un bon père pourvoyeur qui subvenait aux besoins de sa famille. C’est la dépression qui l’aurait poussé à chercher un réconfort dans une interprétation extrémiste de la religion musulmane, selon eux.

« Même si M. Ftouhi n’a pas été élevé dans un foyer particulièrement religieux et qu’il n’a pas été un musulman particulièrement dévot pour la plupart de sa vie, il a effectivement cherché un guide dans le Coran à travers sa dépression », écrit son avocate, Joan E. Morgan, dans ses observations au tribunal.

« M. Ftouhi est une personne désespérée, traumatisée, dépressive, pas un extrémiste idéologique normal. »

— Joan E. Morgan, avocate d’Amor Ftouhi

La famille d’Amor Ftouhi tente maintenant de refaire sa vie sans lui. Ses enfants lui ont écrit des lettres déchirantes qui ont été soumises au juge dans l’espoir d’éviter l’incarcération à perpétuité. Dans leurs missives, sa fille aînée et son fils se montrent tristes qu’il soit parti de cette façon.

« Je n’aurais jamais pensé qu’un jour tu prendrais la décision de ne plus vouloir nous voir. Je sais que ta décision était grandement influencée par la dépression du manque d’argent », écrit sa fille en lui demandant de « rester beau » pendant ses années d’incarcération.

Sa plus jeune fille, qui sait à peine écrire, a soumis un dessin d’elle-même avec son père devant un bonhomme de neige et un arc-en-ciel. À côté, elle a griffonné quelques mots d’un main mal assurée. « Je t’aime papa très fort. J’ai 6 ans et j’ai enlevé 4 dents. Bisous. »

Amor Ftouhi recevra sa peine demain à 9 h 30.