Le racisme insidieux fait couler beaucoup d'encre, mais le racisme vieille école n'est pas mort pour autant. Deux Québécois qui ont utilisé l'une des pires insultes racistes pour s'en prendre à des Noirs devront verser chacun plusieurs milliers de dollars aux individus qu'ils ont injuriés.

Dans deux décisions complètement distinctes, le Tribunal des droits de la personne a accordé, au début de février, 4000 $ et 6500 $ à deux Montréalais qualifiés de « nègres » au cours d'altercations.

Marius Tchakounte Nyassa travaillait comme téléphoniste chez Bell lorsqu'il a été insulté par Serge Levasseur, un client insatisfait, en mars 2013. « Un autre maudit nègre qui ne comprend rien. Eh maudit que vous êtes fatigants », a asséné M. Levasseur.

Lucner St-Éloi, lui, était en guerre ouverte avec Normand Rivard, le propriétaire de son immeuble d'habitation, en avril 2015, lorsque celui-ci l'a appelé pour lui formuler des reproches. Après deux appels où M. St-Éloi a raccroché la ligne, son propriétaire a rappelé. Le locataire lui a dit se sentir harcelé et lui a affirmé qu'il ne voulait plus lui parler. « Va donc chier, tabarnak d'hostie de nègre sale », a répliqué le propriétaire.

C'est le juge Mario Gervais qui a rendu les deux décisions. Il a qualifié les propos de Serge Levasseur « d'intrinsèquement choquants » et ceux de Normand Rivard d'« outrageants ».

« En invoquant la couleur de la peau de la pire manière, M. Rivard a cherché intentionnellement à blesser, humilier et rabaisser M. St-Éloi et, a contrario, affirmer sa supériorité », a écrit Mario Gervais quant au second dossier.

Il a déterminé que les insultes violaient la Charte des droits de la personne du Québec et devaient donner lieu à une réparation. Dans les deux cas, les propos eux-mêmes n'étaient pas contestés : les appels chez Bell sont archivés et M. St-Éloi enregistrait ses appels avec son propriétaire.

Satisfaits

Les victimes insultées se sont dites satisfaites du jugement rendu en leur faveur. « C'est une bonne décision », a affirmé Lucner St-Éloi au téléphone. « Mon client se voit reconnaître comme victime par un tribunal qui reconnaît sa douleur », s'est félicité Me Willy Ndongo Nguele, au nom de M. Nyassa. Le juge Gervais décrit ce dernier comme « encore profondément affecté » par la situation.

M. Levasseur a rapidement rappelé chez Bell pour retirer ses propos. « Mon client déclare que c'est un incident regrettable pour lequel il a tenté de présenter ses excuses immédiatement et de réparer son erreur », a fait valoir son avocate, Me Annie Tardif, par courriel. M. Rivard a aussi offert ses excuses.

M. St-Éloi et M. Nyassa ont d'abord porté plainte à la Commission des droits de la personne, qui a dans les deux cas conclu que leurs allégations étaient fondées. Normalement, la Commission prend alors en charge les poursuites. Mais dans ces cas, elle a décidé de ne pas le faire.

« Dans les deux dossiers dont vous nous faites mention, nous sommes heureux que les plaignants aient poursuivi leur démarche auprès d'un tribunal et aient eu gain de cause », a indiqué par courriel Meissoon Azzaria, chargée des communications. Elle a précisé qu'il arrivait « exceptionnellement » que la Commission refuse des dossiers pourtant fondés parce qu'ils ne soulèvent pas de questions complexes et que la discrimination n'y est pas systémique.