Une riche famille de Montréal, les Cacciatore, vient de s'adresser à la Cour supérieure du Québec pour éviter d'avoir à payer 16 millions de dollars à l'Agence du revenu du Canada.

Ce litige fiscal touchant des particuliers est l'un des plus importants dont la Cour ait été saisie dans les dernières années. Il est lié à un possible stratagème d'évitement fiscal, c'est-à-dire à une méthode de réduction des impôts qui respecte la lettre mais non l'esprit de la loi, qui interdit l'évitement fiscal abusif.

«Je suis dans les affaires depuis 50 ans et je n'ai jamais eu de problème avec les questions de légalité des impôts», dit Vincenzo Cacciatore, patriarche de la famille.

L'homme d'affaires s'est fait connaître au Québec au cours des années 80 et 90 avec les supermarchés Bonanza et le distributeur de fruits et légumes Savico. Il était alors considéré comme l'un des 100 entrepreneurs les plus riches du Québec, selon le magazine Affaires Plus. L'homme d'origine sicilienne possède également des centaines d'hectares de vignobles en Californie. Il s'est retiré à la fin des années 90 de ses principales affaires, qu'il a vendues aux chaînes IGA et Metro-Richelieu.

Selon les requêtes signifiées en Cour, le holding de la famille Cacciatore a versé 27,4 millions de dollars à ses quatre actionnaires en 2009 en ayant recours à une planification fiscale complexe. Les Cacciatore croyaient apparemment que leur structure fiscale était conforme aux règles et leur permettait un transfert libre d'impôt.

Quatre requêtes

Or, en juillet dernier, une lettre de l'Agence leur a apporté la mauvaise nouvelle: la planification fiscale était refusée. Les calculs de l'Agence se traduisaient par une facture nette d'impôt de 16 millions, intérêts et pénalité compris, mais non les réclamations de Revenu Québec, selon M. Cacciatore.

La Cour supérieure a été saisie de quatre requêtes, au nom des quatre entreprises familiales concernées par cette affaire. Dans ces requêtes, la famille Cacciatore se défend d'avoir contrevenu aux règles et dit avoir agi en toute bonne foi. En fait, elle soutient même que les vérificateurs de l'Agence lui avaient donné le feu vert pour sa planification fiscale en 2008.

Forts de ce consentement, les actionnaires ont réalisé les transactions menant au transfert des fonds en 2008 et en 2009. Ainsi, la conjointe de M. Cacciatore et lui-même ont reçu environ 5 millions de dollars et les deux enfants, chacun 11 millions. Ce total de 27 millions a été versé libre d'impôts, les sommes ayant été déclarées comme des dividendes du compte en capital plutôt que des revenus courants.

Consentement implicite

Aujourd'hui, les Cacciatore demandent à la Cour supérieure d'annuler ces transactions. Les deux enfants ainsi que le père et sa femme s'engagent même à remettre les millions à l'entreprise familiale pour revenir à la case départ.

«L'entreprise n'aurait jamais distribué ces profits [27,4 millions] aux actionnaires sans l'assurance implicite de l'Agence du revenu du Canada, car les risques de pénalité sont importants», dit la requête.

Selon les Cacciatore, ce consentement implicite est venu du vérificateur responsable du dossier à Revenu Canada, Frantz Sully: «Il a confirmé que notre position serait acceptée, que les transactions étaient réelles.»

Fonctionnaire visé par une enquête de la GRC

L'Agence aurait pris cette décision quelques mois après une rencontre, le 22 octobre 2007, entre les comptables de la famille Cacciatore et deux membres de l'Agence, M. Sully et son patron, Elias Kawkab.

M. Kawkab a récemment fait parler de lui dans les médias. Le 30 mars 2011, il a été arrêté par la GRC après une enquête pour corruption, selon des documents produits en cour.

La GRC soutient que M. Kawkab fait partie d'un groupe de cinq vérificateurs qui ont réclamé des pots-de-vin à des restaurateurs contre une réduction de leur facture fiscale. Dans un cas, M. Kawkab aurait reçu 50 000$ en coupures de 100$. Elias Kawkab est également copropriétaire d'un immeuble à revenus financé par un contribuable qui a bénéficié d'une réduction d'impôt en 2008.

Vincenzo Cacciatore affirme qu'il n'a jamais rencontré M. Kawkab, qu'il ne le connaît pas, qu'il n'a jamais été question de pots-de-vin. «Son nom est simplement apparu sur un rapport de l'Agence. C'est M. Sully et Monique Boivin qui ont fait les vérifications dans notre dossier, pas M. Kawkab», dit M. Cacciatore, qui a répondu volontiers à toutes nos questions.