Ils sont légion. Ils se relaient nuit et jour dans leurs bases d'Abidjan, en Côte d'Ivoire, et écument le web à la recherche de proies à détrousser. Les Québécois constituent une cible de prédilection pour eux. Ils s'en sont plutôt bien tirés jusqu'ici, mais la contre-attaque s'organise.

Voilà en gros l'état de la situation tracé hier à l'École nationale de police de Nicolet, lors d'une présentation fort courue sur les «brouteurs», ces escrocs ivoiriens qui multiplient les arnaques sur le Net en inventant de toutes pièces des scénarios destinés principalement aux hommes francophones à la recherche d'affection.

À l'invitation de Francopol, le réseau international francophone de formation policière, des policiers de partout au Québec sont venus rencontrer le commandant Guelpetchin Ouattara, grand patron de la Direction de l'informatique au sein de la police ivoirienne.

«La Côte d'Ivoire ne croise pas les bras. Elle répond, avec les moyens qu'elle a. Nous faisons beaucoup, même si les budgets sont maigres. Nos pays sont des pays pauvres, en voie de développement, qui consacrent beaucoup à gérer ce problème», a lancé le commandant à ses homologues québécois.

Arnaque

Ceux-ci connaissaient tous le phénomène. L'arnaque est simple: une jeune et jolie femme entre en contact avec un internaute sur un site de rencontres ou un réseau social comme Facebook. Elle le charme, entame une conversation à teneur sexuelle, incite parfois son interlocuteur à se dénuder et se caresser devant sa webcam. Elle trouve ensuite un moyen de lui extorquer de l'argent sous divers prétextes, parfois même en le menaçant de rendre publics ses conversations ou l'enregistrement de ses ébats en ligne.

Des centaines de Canadiens avouent s'être fait prendre chaque année, mais ils ne représentent qu'une infime portion des victimes réelles, dont plusieurs souffrent en silence sans dénoncer, croient les autorités.

Le gros des suspects est situé à Abidjan, où la technologie leur permet d'être actifs, mais où le manque de moyens policiers et législatifs leur a laissé le champ libre pour proliférer. L'image du pays en souffre énormément. 

Le commandant Ouattara a avoué hier être venu au Canada sans carte de crédit, car sa carte ivoirienne n'est pas acceptée par les institutions d'ici, qui craignent les fraudes.

«On demande votre indulgence, mais également votre coopération active», a-t-il déclaré hier aux policiers québécois, avant de décrire les maigres moyens dont il dispose. À peine cinq policiers sont chargés de pourchasser les innombrables «brouteurs» qui écument les cafés internet d'Abidjan.

Son équipe élucide environ 550 affaires par an. Une goutte d'eau dans l'océan. À titre d'exemple, il estime que la police ivoirienne a répondu à seulement 27% des quelque 10 000 courriels de plaintes de victimes reçus l'an dernier.

Aide réclamée

La Côte d'Ivoire dit travailler très fort à contrer ce phénomène: des lois désuètes ont été modernisées, l'État a instauré un contrôle plus serré des cafés internet (ils doivent maintenant tenir un registre des clients) et créé un laboratoire de criminalistique numérique pour traiter la preuve recueillie. Mais les Ivoiriens réclament aussi de l'aide.

«Nos pays ont besoin de se connaître, de savoir ce qu'il y a en place, d'établir des canaux de coopération», insiste le commandant. Il souligne que souvent, ses troupes ont du mal à obtenir des réponses de grandes sociétés multinationales du web.

«On n'a pas de coopération avec de grosses boîtes comme Google ou Microsoft. Ce n'est pas faute d'avoir essayé!», dit-il.

Le lien avec les victimes au Canada ou ailleurs dans le monde serait aussi plus facile pour les enquêteurs ivoiriens s'ils pouvaient passer par des policiers locaux. «Quand on trouve le numéro de téléphone d'une victime au Canada, par exemple, et qu'on l'appelle en disant que c'est la police de Côte d'Ivoire, elle raccroche. Les gens pensent que c'est une autre arnaque!»

Intelligence et bonne volonté

Évidemment, M. Ouattara convient qu'une aide technique et financière serait la bienvenue. «Forcément, c'est quelque chose qu'on recherche. On ne crache pas sur l'argent. Mais nous sommes conscients que pour obtenir des ressources, nous devons d'abord faire la preuve de toute la bonne volonté et de toute l'intelligence que nous consacrons à ce problème.»

Du côté de la Sûreté du Québec, le capitaine Frédéric Gaudreau croit que la coopération accrue entre le Québec et la Côte d'Ivoire portera bientôt ses fruits. Il veut redonner espoir aux victimes qui refusent de dénoncer les arnaqueurs. 

«Il y a une dizaine d'années, en ce qui concerne l'exploitation sexuelle des enfants sur l'internet, on avait la même impression: qu'est-ce que ça change si je dénonce quelque chose qui se passe en Thaïlande ou ailleurs dans le monde? Puis les services de police se sont réunis, aujourd'hui on arrive à faire quelque chose. Je pense que le même phénomène peut se répéter dans le cas présent.»