Voici trois témoignages d’intervenantes de la DPJ qui illustrent bien le type de violences extrêmes auxquelles celles-ci sont confrontées dans l’exercice de leurs fonctions.

Sara

« J’ai eu un choc aigu. »

Sara se souvient de la mère enceinte de six mois qui se jette au sol en hurlant : « Si mon bébé meurt, ça va être de ta faute. »

D’un des frères de la fratrie qui l’attrape par la taille, la soulève du sol et la retourne sans ménagement pour qu’elle fasse face au groupe en colère.

Ils sont une vingtaine – des oncles, des tantes, des cousins – à crier contre elle dans une langue qu’elle ne connaît pas.

Du père, soupçonné d’avoir maltraité ses enfants, qu’elle sent collé derrière son dos.

De sa course folle qui s’en suit dans un corridor du palais de justice, à la recherche d’un endroit où se réfugier.

C’est sa première fois au tribunal. Sara vient tout juste d’obtenir son diplôme de l’université. Cela fait deux mois à peine qu’elle travaille à la DPJ à l’évaluation de signalements.

Elle vient de retirer d’urgence plusieurs enfants de cette famille pour les protéger du père violent.

Ce jour-là, le juge n’a pas le temps d’entendre la cause et la remet au lendemain. Aucune décision n’est prise.

Le report suffit à provoquer l’ire de la famille.

Sara parvient à trouver une petite salle de rencontre qui se verrouille de l’intérieur. Elle s’y enferme avec une collègue. Le groupe fait le pied de grue devant la porte. « On ne pouvait pas sortir. On était comme séquestrées », décrit-elle.

La police, appelée en renfort, va mettre une heure à « maîtriser tout le monde », ajoute la jeune intervenante qui va remettre sa démission ce jour-là.

Sa gestionnaire va la convaincre de rester. Mais cinq ans plus tard, l’intervenante devenue mère de famille va quitter la DPJ « pour de bon », incapable de se faire traiter de « kidnappeuse d’enfant » au quotidien. Ou encore de se faire lancer des phrases de parents désespérés du genre « on va mourir ensemble ».

« La menace : tu m’enlèves mon enfant, je t’enlève le tien. Quand je n’avais pas d’enfant, ça ne me dérangeait pas, dit celle qui travaille aujourd’hui au CLSC. Mais maintenant que j’en ai une, ça prend un tout autre sens. »

D’autant plus qu’une fois, l’intervenante s’est fait suivre jusque chez elle par un père dont aucune collègue ne voulait le dossier. Il leur avait fait peur l’une après l’autre en multipliant les allusions sexuelles. Elle ne s’est rendu compte de rien. Ce n’est qu’à leur prochain rendez-vous qu’il lui a décrit le chemin qu’elle avait emprunté ce jour-là, sa maison, son chien.

« Watche-toi », lui a-t-il répété sans aucune subtilité aux rencontres subséquentes jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus. Elle a transféré son dossier à un collègue masculin à qui le père s’est empressé de dire : « Si j’étais toi, je les aurais toutes déjà fourrées. »

Alice

« J’avais baissé ma garde. »

Ce jour-là, Alice a compris qu’elle pouvait être attaquée à n’importe quel moment par un parent mécontent.

La jeune intervenante de la DPJ avait les yeux rivés sur son cellulaire à sa sortie du palais de justice lorsqu’une mère qui fumait à l’extérieur l’a reconnue.

Suivant la recommandation d’Alice, un juge venait d’ordonner que les enfants de cette femme restent en famille d’accueil. Depuis l’arrivée de la DPJ dans leur vie, les parents étaient hostiles, « passifs-agressifs », raconte l’intervenante.

Un cas de négligence parentale, comme Alice en voit toutes les semaines, dans la grande région de Montréal.

Cette fois-ci, ça n’en prenait pas plus pour qu’elle serve de punching bag à une mère en colère.

Cette maman s’est mise à l’insulter et à la pousser jusqu’à la coincer dans un coin, à l’abri des regards. Puis, elle lui a asséné plusieurs coups de poing. L’agression a duré quelques minutes qui lui ont paru une éternité.

« J’étais en état de choc. Dans ma tête, ça ne pouvait pas m’arriver », raconte l’intervenante ayant deux ans d’expérience, qui a passé plusieurs mois en arrêt de travail. Elle a été « chanceuse » de s’en sortir avec quelques contusions et un choc post-traumatique.

« L’instabilité des parents est très concrète pour moi maintenant », dit-elle. Depuis, la jeune intervenante à l’application des mesures est devenue hyper prudente. Elle ne se gare plus devant les maisons des familles. Elle s’assure d’être toujours près d’une porte de sortie lors de ses visites à domicile. Et elle essaie, dans la mesure du possible, de ne plus aller témoigner seule au palais de justice.

Ariane

Dans sa très petite équipe de travail, trois intervenantes ont été attaquées ces deux dernières années. C’est au mieux le tiers. Au pire, la moitié de l’équipe. C’est qu’elles sont de cinq à dix intervenantes en raison du roulement de personnel.

Ariane est l’une des trois.

« Au cours des huit années précédentes, c’était très, très rare [des agressions physiques], souligne celle qui a une dizaine d’années d’expérience. Dans les trois cas récents, c’est arrivé au tribunal, en prison et dans une école. Des lieux sécurisés ! Imaginez maintenant à quel point on est craintifs d’aller à domicile. »

Elle-même a été agressée à l’école dans une intervention. « En une fraction de seconde, la mère s’est levée, elle m’a poussée et a essayé de me frapper à la tête. »

Ariane était en état de choc.

Une enseignante m’a accompagnée jusqu’à mon auto et elle m’a dit : “Ça fait partie du risque de ton travail.” Ça m’a tellement fâchée !

Ariane, intervenante de la DPJ

Diagnostic : choc post-traumatique. Elle a été en arrêt de travail durant plusieurs mois.

« J’étais incapable de travailler, décrit-elle. Le sentiment de sécurité, c’est très difficile à rebâtir. »

Cela s’ajoute aux menaces de mort ou à celle de découvrir où elle habite. « Ça, c’est chaque semaine. »

Et aux « clients harcelants qui envoient 500 courriels par semaine, qui remplissent notre boîte vocale de bureau, de cellulaire ».

Cela aussi, c’est très fréquent. « Parfois ils se présentent au bureau si souvent qu’on doit demander des ordonnances pour assurer notre sécurité. »

Lorsqu’elle croise des clients en ville, avec ses enfants, cela lui arrive de devoir changer de trottoir pour « ne pas avoir de trouble ». Elle ne distribue même plus de bonbons à l’Halloween. « L’année où je l’ai fait, le nombre de mes clients qui ont sonné à ma porte… Je ne l’ai jamais refait. »